samedi 20 février 2016

« Painting With » d'Animal Collective (2016)

    La première écoute de « Painting With » déroute. Le son est dur, aride, et plein de bruits intempestifs gâchent le plaisir auditif. On les entend beaucoup, et même beaucoup trop : et pour cause, le « reste », ou plutôt l'important à mes yeux, à savoir les mélodies, ont disparu corps et biens... Je dirais même corps et âme... Ce qui ressort de cette première écoute, c'est un sentiment de mollesse mélodique, de vacuité, comme un essai vain, qui n'apporte pas grand chose au schmilblick. Tout comme certains groupes (Radiohead pour ne pas le citer), on commence depuis plusieurs albums à relever des tics récurrents de composition chez Animal Collective (mais aussi dans les albums solo d'Avey Tare et Panda Bear, chacun ayant les siens), et bien évidemment des tics de « mauvaise composition » si j'ose dire, des tics de facilité. Mais ce qui déconcerte le plus, c'est l'absence d'audace dans cet album. Il ne faut pas se fier aux apparences, la structure des morceaux est très convenue, tout comme les mélodies tristement banales, et la production au premier abord « expérimentale » n'est en réalité que poudre aux yeux, je vais y revenir. Car l'expérimentation au service d'un « beau mélodique » (j'y tiens) n'est hélas pas au rendez-vous. 

Et d'ailleurs les membres d'Animal Co ne me semblent pas au rendez-vous non plus, comme s'ils étaient fatigués, usés par le temps et leurs excursions en solo. Comme si l'album avait été sorti en urgence, comme s'ils ne savaient pas quoi en faire et voulaient s'en débarrasser. On sent comme un déséquilibre. Et de fait, « Painting With » est un peu ou prou un album de Panda Bear, Boys Latin servant de matrice à la plupart des morceaux du présent album. On se demande d'ailleurs où est passé le talent d'Avey Tare (si déterminant dans les productions signées conjointement sous le nom d'Animal Collective). La confrontation des deux têtes pensantes Avey Tare et Panda Bear avait jusque là (ou jusque « Centipede Hz ») fait des merveilles. Mais là ils semblent tourner à vide. Car oui la production est riche, très riche... mais trop riche, puisqu'aux dépens de la mélodie, du fond dirais-je (autant que je puisse exprimer avec des mots ce que je ressens). Animal Collective devient presque un groupe d'ambiant, là où leur force, à mon sens, résidait dans des mélodies très très belles, en creusant sous le vernis « foufou » auquel on les résume (et réduit) trop souvent. Cf. l'EP extraordinaire « Fall Be Kind » où chaque chanson est géniale, et surtout d'une grande beauté mélodique. Ici, le trop plein de production masque le manque d'inspiration me semble-t-il. 

Après le décevant « Centipede Hz », de la musique du groupe new-yorkais, il ne reste plus que les zigouigouis... Je dirais d'ailleurs la même chose du dernier Panda Bear. Où sont passées les mélodies « à la Panda Bear » (comme je les appelais il fut un temps qui me paraît loin, aux alentours de 2009 - 2011) ? Les Rosie Oh ? Les I Think I Can ? Les Screens ? La moitié de « Centipede Hz » était réussie, l'autre ratée. De tout « Painting With »... je ne retiens que On Delay, ou plus précisément le morceau à partir de 2 min... le moment où il décolle vraiment, avec un piano magnifique (gâché par un bruit inutile au passage)... et une envolée « à la Panda Bear ». Le mot est galvaudé, mais une envolée... magique. Alors certes, quelques chansons ici et là (Bagels in Kiev, FloriDada, Golden Gal) valent le détour, mais rien ne vaut ce passage... qui ne vaut pas un dixième de « Fall Be Kind » (ou des autres grands albums du groupe : « Feels »,  « Strawberry Jam », « Merriweather »...). 

Je commence à ne plus croire en ce groupe et en sa capacité à se renouveler, à produire encore de la musique de qualité, passionnante ou ne serait-ce qu'intéressante, et ça me fait bien de la peine de le dire...

Note: je n'ai écouté que 3-4 fois l'album, avec le temps mon avis évoluera peut-être en bien comme pour « Centipede Hz »... mais là ils partent de beaucoup plus loin (plus bas), donc pas sûr que je révise mon jugement...

[2/4]

samedi 6 février 2016

« Minuit à Paris » (Midnight in Paris) de Woody Allen (2011) – (2)

    Autant l'annoncer tout de suite : « Minuit à Paris » est la libre adaptation cinématographique de « Paris est une fête », ouvrage écrit par Ernest Hemingway. Au matériau d'origine, dont Woody Allen ne reprend que l'esprit et certains personnages, le réalisateur greffe ses thèmes de prédilection. Ce film est donc composite, tournant autour de deux grandes sensibilités : celle d'Hemingway et celle d'Allen. Et pour tout dire, seuls les passages inspirés par Hem' valent le coup, car pour le reste on a toujours le droit aux mêmes personnages névrosés, à cette figure conflictuelle du couple, à l'infantilité du personnage principal, anti-héros tout ce qu'il y a de plus « allenien », et tout ce qu'il y a de plus horripilant, à cette conception rabougrie de la vie qui me déplaît tant chez ce cinéaste pleurnichard. Si par contre on s'attarde sur ces passages fantasmés, sur ces moments ou l'écrivain joué par Owen Wilson s'aventure dans le Paris de l'entre-deux-guerres, on ne peut qu'être séduit par ces personnages hauts en couleur, et surtout brillamment brossés en quelques traits bien sentis. Adrian Brody en Dali vaut son pesant de cacahuètes, et si je dois bien reconnaître un seul mérite à Woody Allen, c'est de faire revivre avec talent ces personnalités d'alors, l'espace de quelques minutes, à l'image de cet Hemingway qui déclame ses tirades bravaches, droit dans les yeux du héros, comme si sa vie en dépendait, avec son style littéraire si particulier (ce fameux enchaînement de « et » dans ses phrases à rallonge). Gertrude Stein est bien jouée, tout comme Fitzgerald et sa femme Zelda. Et on finit même par se sentir galvanisé, porté par cette énergie créatrice, qui émane avant tout de l'ouvrage génial d'Hemingway. Car il faut bien le dire, « Paris est une fête » est si réjouissant et si puissant dans sa simplicité joyeuse qu'il peut bien donner lieu à des dizaines de films sans que l'on puisse épuiser sa force originelle ! Mais il faut aussi concéder à Woody Allen l'humour avec lequel il redonne vie aux personnages de l'époque. Pour le reste, passés ces moments, on retombe dans du Woody Allen tout ce qu'il y a de plus convenu : une mise en scène flasque, des problématiques d'adulescents, des enjeux maigrelets, une portée extrêmement limitée. Avec une dernière concession : le Paris d'aujourd'hui qui est filmé, même arrangé et grimé, est décidément d'une beauté… Peut-être l'un des meilleurs Allen, ce qui en fait un film moyen, mais agréable tout de même.

[2/4]

samedi 16 janvier 2016

« Paris est une fête » (A Moveable Feast) d'Ernest Hemingway (1964)

    La récente popularité de « Paris est une fête », avec ces tristes évènements de 2015 que l'on connaît tous, m'a, comme bien d'autres, poussé à me pencher sur son cas. Ne sachant pas à quoi m'attendre, je n'avais pas d'idées préconçues, si ce n'est que le titre me paraissait alléchant. Bien m'en a pris, car qui cherche une succession de scènes de fêtes et de réjouissances dans le Paris des années 20 serait déçu. La fête dont parle Hemingway est ailleurs. Paris est une fête car alors tout y semble simple, et Hemingway y vivait heureux avec sa femme. C'était d'ailleurs peut-être le moment le plus heureux de sa vie, avec la période qui a suivi, avec sa seconde femme, Pauline. Cet ouvrage est construit autour d'une collection de « vignettes parisiennes », chaque chapitre formant à peu près une histoire indépendante des autres, visant à illustrer tel ou tel aspect de la vie à Paris d'alors, ou le caractère et le comportement des nombreux personnages que Hemingway avait rencontrés, des plus illustres (Francis Scott Fitzgerald, Gertrude Stein, Ezra Pound…) aux plus humbles (des serveurs de cafés fort sympathiques, le chauffeur de voiture de Fitzgerald exaspéré par ses excentricités, un ex-soldat de la Grande Guerre truculent…). Outre la galerie de personnages sacrément haute en couleur, ce qui fait l'intérêt de ce livre, c'est la retranscription de « l'art de vivre » à la française. Dans un style presque journalistique, concis (ce qui donne d'autant plus de force au récit), Hemingway nous parle de ses repas plantureux, de ces vins fort appréciables, de ces terrasses de café, si belles, et qui nous sont si chères, jusqu'à en avoir coûté la vie à des gens qui profitaient simplement d'un bon moment avec leurs proches… Hemingway travaillait lui-même attablé à un café, la Closerie des Lilas, et il nous raconte avec précision ses sentiments d'alors, et même comment il écrivait, c'est-à-dire son processus d'écriture, sa ou ses méthodes de travail (fort simples au demeurant). Et cet aspect là de « Paris est une fête » est tout bonnement passionnant, on apprend beaucoup, mine de rien, sur ce sujet. Mais ce qui est touchant, c'est avant tout le portrait qu'il fait de sa femme et de son couple. Ils étaient très pauvres, mais aussi (était-ce lié ?) très heureux. Et comme certains passages le suggèrent, le véritable héros, ou plutôt la véritable héroïne de ce récit, c'est Hadley Richardson, sa première femme. Simple et joyeuse, il semble en effet qu'elle et Hemingway se soient beaucoup aimés, et je crois bien que toute sa vie, il garda beaucoup d'affection pour elle. De sorte, d'ailleurs, qu'elle figure en toute première place du dernier ouvrage qu'il ait écrit avant de mourir. Par bien des aspects, ce livre est réjouissant. Si je devais le résumer en quelques mots, je dirais qu'il s'agit d'une belle photographie, d'un bel instantané d'alors. Mais pas une photo sépia ou en noir et blanc : une photo en couleur, comme celles du musée Albert Kahn, prises au début du XXème siècle et qui nous donnent l'incroyable impression d'y être. Un instantané vivant, qui nous fait revivre cette époque, et par dessus tout combien Paris était une ville magnifique, la ville de tous les possibles. Oui, Paris était, et est toujours bien une fête.

[4/4]

dimanche 10 janvier 2016

« Les Huit Salopards » (The Hateful Eight) de Quentin Tarantino (2016)

    S'il y a quelque chose que je ne comprends pas avec Tarantino et ses adorateurs, c'est le fait de trouver jouissif des mecs qui gerbent du sang, qui se font exploser la tête ou couper le bras à coups de machette... Ou pire, de casser le nez et la mâchoire d'une femme à grands renforts de coups de coude ou de pied. Hilarant. Que ça choque, voire que ça fasse rire (jaune) tellement c'est excessif, à la limite... Mais trouver ça « super fun » ou « jouissif », non là ça me dépasse. Car que nous propose Tarantino ? Un petit jeu de massacre gratuit, bête et méchant, que seuls les sadiques en puissance sauront apprécier à sa juste valeur. Expert du copié collé, Tarantino pompe allègrement sur des vrais cinéastes : Kurosawa, Leone, Godard... qui eux, savaient raconter une histoire. Ici ça se traîne invraisemblablement : 2h47 de film, je veux bien si c'est « Les Sept Samouraïs », où chaque plan est à tomber, et pour le moins beau car travaillé (avec talent faut-il préciser, pour éviter tout malentendu et toute confusion avec le piètre faiseur bas du front qu'est Tarantino). Là on a des champs-contrechamps en veux-tu en voilà, des images sans intérêt, des cadrages mous, des objets qui parasitent les plans, bref une paresse honteuse, mal masquée par cet art si révéré de nos jours de la citation, et non plus de la création, car c'est has been de créer quand il suffit de flatter le spectateur et le critique en plaçant quelques références bien senties ici et là. Tarantino nous prend pour des buses et nous refait pour la huitième fois (car c'est son huitième film, on le saura : trop intelligent le mec, il a mis des huit partout. On m'a dit que c'était le double du nombre de ses neurones, ça doit donc être un signe) le coup du scénario en casse-tête chinois. Sauf que là il s'est pas trop cassé la tête, et qu'un flash back suffira à révéler le pourquoi du comment, sauf qu'en fait on s'en fout. Tout ça pour ça ? Je veux dire, un scénario à l'envers, est-ce là tout l'intérêt, toute la puissance de ce film et de Tarantino ? Un simple exercice de style (pour ne pas dire un effet de manche), est-ce que c'est ça le fameux « Hateful Eight » tant attendu ? Hélas oui, j'en ai bien peur. Un exercice de style vain et douteux (mais là je me répète, je dis ça de chacun de ses films). Des acteurs qui cabotinent à n'en plus finir, une pâle resucée de « Reservoir Dogs », qui avait au moins le mérite d'innover (il faut dire qu'à l'époque on découvrait Tarantino, il ne nous avait pas encore saoulé par sa connerie crasse). Et puis les dialogues, il faut en parler des dialogues. Des tirades de 20 minutes pour parler de la pluie et du beau temps, et accessoirement « chier des nègres » (sic, je cite le Grand Monsieur qu'est Tarantino). Jouissif. Trop jouissif. Le mec sort des blagues racistes à faire pâlir Le Pen toutes les 3 secondes ou nous parle de sa bite pendant un quart d'heure, ça c'est vraiment le summum du jouissif. Bref, je vais m'arrêter là de citer Taranticon pour notre bien à tous, et préfère vous prévenir : si vous avec plus de 15 ans d'âge mental, passez votre chemin.

[0/4]

mardi 5 janvier 2016

« Le Petit Prince » de Mark Osborne (2015)

    Je m'y attendais. La bande-annonce et l'affiche le laissaient entendre : l'adaptation du Petit Prince de Saint-Exupéry se ferait en deux techniques d'animation, en images de synthèse et en stop-motion (animation image par image, ici avec un rendu proche du papier crépon). Très vite la différence se faisait sentir dans ces premiers aperçus du rendu final, et s'est révélée conforme à ce que j'appréhendais lorsque j'ai vu le film : la partie en images de synthèse est très laide, notamment les personnages, qui sont fort disgracieux (sans doute pour ne pas trop faire artificiel s'est-on senti obligé de leur mettre un gros nez et des yeux de travers...). Par contre la partie en stop-motion est belle à pleurer. Ça fait très longtemps que je n'avais pas vu quelque chose d'aussi beau en animation, exceptées les dernières productions du studio Ghibli (et encore). Sans doute faut-il remonter à Youri Norstein, ce grand monsieur de l'animation image par image, hélas proche de la retraite. Oui je le répète, ces quelques moments, qui doivent bien composer le tiers du film, sont à tomber. D'autant que ce sont ces moments qui collent à l'histoire d'origine du Petit Prince, qui faut-il le rappeler, est génialement poétique et profonde. Car oui, j'ai oublié de vous le dire, l'autre partie du film (celle en images de synthèse...) brode autour du matériau originel pour former une autre histoire, sans doute plus proche de la réalité des jeunes enfants d'aujourd'hui. Et là je suis mitigé. D'un côté, la grande machine à « entertainment » anglo-saxonne a encore frappé : humour bancal, merveilleux « forcé » et de pacotille, simili-Ghibli (j'ai d'ailleurs cru voir des références à Chihiro) mais plus proche des défauts des Pixar et autres Dreamworks, fantastique et anticipation déjà vus... Bref, du pilotage automatique. D'un autre côté, cette partie plus actuelle met l'accent sur ce que dénonce à l'origine Saint-Ex dans son ouvrage phare : le désenchantement des adultes, et la prépondérance croissante de l'utilitarisme économique dans notre vie de tous les jours... On n'est pas loin de la fourmilière qu'il redoutait tant et dont il parlait dans d'autres de ses écrits... Donc là, sur ce point, je trouve ça assez bien vu. C'est bien plus grossier que la « vraie » histoire du Petit Prince, mais comparé à n'importe quel long métrage d'animation lambda, ça n'est pas si mal. On retrouve ainsi la dimension philosophique et adulte du Petit Prince tel que pensé par Saint-Exupéry. Pour conclure, je suis donc mitigé en ce qui concerne l'ensemble du long métrage, sorte de matériau composite mal amalgamé... mais conquis par ces passages en stop-motion de toute beauté ! 4/4 pour la partie stop-motion, 1/4 pour la partie en images de synthèse... en arrondissant on arrive à une moyenne de 2/4.

[2/4]