samedi 2 octobre 2021

« Coeur de Tonnerre » (Thunderheart) de Michael Apted (1992)


 

    Merci à Arte pour sa programmation de qualité et sa capacité à dénicher des pépites méconnues. Une fois de plus, voici un film qui ne paie pas de mine… Il a des critiques mitigées, je tombe dessus par hasard 15-20 min après qu'il ait commencé, intrigué par le titre... Et j'accroche direct.

 

Le ton fait penser aux films policiers « burnés » des années 80-90, avec le vieux flic à qui on ne la fait pas et le jeune sorti de l'école tout feu tout flamme, naïf et prêt à en découdre. Par bien des aspects, ce long métrage m'a d'ailleurs fait penser à « Mississipi Burning », sorti 4 ans auparavant. Même duo de flics, et même thématique sociétale sur la spoliation d’un peuple.

 

Ici, le film prend place dans une réserve indienne, où un meurtre a été commis. On dépêche sur place deux agents fédéraux, spécialistes des affaires amérindiennes, pour tenter d'y voir plus clair. Et le moins que le puisse dire, c'est que nos deux cow-boys se heurtent à une autre civilisation, à un autre mode de vie, et ne comprennent rien de rien. Ou plutôt, tout semple trop simple, la vérité est plus complexe, de toute évidence ils sont menés en bateau.

 

Le héros, joué par un excellent Val Kilmer, est un Américain dont une partie de sa famille est d’origine amérindienne. Mais il a renié ses racines et a tout du parfait Yankee arrogant. Alors lorsqu’on l’envoie enquêter sur place, justement en raison de ses origines, il le prend très mal et ses débuts sur le terrain sont pour le moins explosifs.

 

Sam Shepard est lui aussi très bon en vieux flic désabusé qui sait à qui il a affaire. Il connaît bien plus les Amérindiens que son jeune coéquipier, qui n’a d’Indien qu’une partie de son arbre généalogique. Il n’empêche que notre flic aguerri semble lui aussi dépassé par les évènements.

 

Les deux fédéraux auront bien besoin de l’aide de Walter Crow Horse, un policier amérindien flegmatique et perspicace, pour tenter de résoudre l’enquête. Ce personnage, interprété avec talent par Graham Greene, ainsi que celui du vieux chef indien, sont très attachants. Tout comme le personnage de l’institutrice Maggie Eagle Bear, jouée par Sheila Tousey. Ces trois protagonistes sont au cœur de l’intrigue et donnent au long métrage un supplément d’âme.

 

La fin est peut-être un peu trop appuyée, ou plutôt l’avant-dernière séquence, car la dernière est parfaite. Mais dans l’ensemble c’est vraiment un bon film, qui mêle harmonieusement action et émotion, suspense et réflexion politique, culturelle et sociale. Je le recommande vivement !

 

[3/4]

samedi 4 septembre 2021

« Vanko 1848 » – La Fortune des Winczlav, tome 1 de Philippe Berthet et Jean Van Hamme (2021)


 

    Jean Van Hamme s’essaie au préquel, en créant une mini-série de 3 tomes pour raconter les origines du célèbre héros Largo Winch… né Largo Winczlav. Le premier tome de cette trilogie suit les (més)aventures de Vanko Winczlav, jeune médecin monténégrin, ancêtre de notre milliardaire en blue jeans.

 

Ça commence très bien : Vanko est un héros à forte personnalité, aux prises avec les Ottomans dans des Balkans qui se déchirent, au XIXe siècle... Mais de rebondissements en rebondissements, Van Hamme nous perd peu à peu... Notre puis nos héros enchaînent les péripéties mouvementées et passent du coq à l'âne, de l'Europe aux États-Unis, et de New York au Far West... Tout va trop vite, même si le scénario se tient. C’est juste qu’il y avait matière à faire un récit encore plus ample, plus posé, qui nous aurais permis de savourer les séquences avec Vanko notamment, qui reste de loin le personnage le plus intéressant.

 

Si l'on ajoute à cela des passages assez racoleurs, on ne peut qu'être un peu déçu face à un scénario plutôt moyen pour un Van Hamme... Certes, on ne s'ennuie pas une seconde et l'auteur belge a bien plus de talent que beaucoup de ses contemporains. Mais je regrette que ses tics de narration prennent le pas sur l'audace ou l'originalité, et que le départ en fanfare ne tienne pas toutes ses promesses.

 

En fait, plus qu’à la série « Largo Winch » qu’il est supposé annoncer, cet album me fait penser à la saga « Les Maîtres de l’Orge », scénarisée également par Van Hamme. On retrouve cette galerie de personnages entre aïeux et héritiers, ballotés par les évènements avec des hauts et des bas, certains nous « gratifiant » de turpitudes scabreuses histoire d’appâter le chaland… Le tout formant un récit ample mais inégal, avec des protagonistes plus ou moins attachants.

 

Finalement, la bonne surprise c'est le dessin de Philippe Berthet. D'une très grande élégance, il est étonnamment sobre : il ne s'embarrasse pas de détails, mais ça lui réussit plutôt bien. D'autant que son dessin est magnifié par les belles couleurs de Meephe Versaevel. Le tout donne un cachet certain à cette bande dessinée, qui est un ouvrage de qualité, c’est indéniable. Loin des préquels et suites dévoyant des séries phares et historiques, regrettable manie à laquelle nous ont habitué les grands éditeurs de BD.

 

Au total, c'est un album solide que nous offrent les deux auteurs, et on le referme en ayant envie de lire la suite, le pari est donc réussi. Pour autant, avec leurs talents combinés je me dis qu'on aurait pu avoir quelque chose d'encore meilleur, ce que laissait penser le début... Je me pencherai sans hésiter sur les deux prochains tomes et je verrai bien si Van Hamme a eu raison de reprendre la plume.

 

[2/4]

vendredi 27 août 2021

« Gauguin – L'autre monde » de Fabrizio Dori (2016)


 

    Fabrizio Dori n'a pas son pareil pour mêler bande dessinée et peinture classique de façon intelligente, belle et harmonieuse. Il s'attaque cette fois à Paul Gauguin et son œuvre, ainsi qu'à la mythologie et à la culture tahitiennes. Visuellement, c'est superbe, on se croirait plongé dans les toiles de Gauguin.

 

Sur le fond, la partie imaginaire, qui s'appuie sur les mythes tahitiens, est envoûtante, avec une mise en image marquante. Finalement, c'est Gauguin – l'homme et pas l'artiste – qui déçoit. Je ne connaissais pas sa vie, il apparaît ici comme quelqu'un d'égoïste, imbu de lui-même et aigri. Ce que semble confirmer sa biographie sur Wikipédia. Pas franchement quelqu'un de sympathique en somme, ce qui fait qu'on a du mal à s'identifier à lui, alors qu'il est plus ou moins le seul personnage consistant de ce récit.

 

Mais qu'importe, cette BD est avant tout un hommage à la peinture, à l'art, à la poésie et à l'imaginaire, ainsi qu'à la beauté de la Polynésie. Et c'est tout le mérite de Dori que de ne pas avoir voulu en faire une hagiographie à la gloire de Gauguin. L'homme est représenté avec ses contradictions et ses défauts, ce qui permet aussi de mieux comprendre sa démarche et sa relation à l'art et à ses contemporains.

 

Deuxième bande dessinée de Fabrizio Dori que je lis, et deuxième fois que je suis impressionné par son travail. Il me semble clairement être un auteur à suivre, et son dernier ouvrage sorti cette année m'intrigue au plus haut point.

 

[3/4]

jeudi 26 août 2021

« Miss Bengalore » – Le Château des Animaux, tome 1 de Xavier Dorison et Félix Delep (2019)


 

    Le problème de la bande dessinée contemporaine, ce n'est pas tant de trouver de bons dessinateurs – beaucoup ont vraiment du talent – que de bons scénaristes... Ici Félix Delep s'en sort la tête haute au dessin, il n'est pas loin d'égaler la virtuosité graphique de Juanjo Guarnido, le dessinateur de Blacksad. Certes, son découpage et ses cadrages manquent encore un peu de force et d’évidence. Mais le character design de ses personnages est réussi, on sent que c’est un dessinateur qui maîtrise son sujet, et les couleurs qu’il emploie avec l’aide de Jessica Bodard sont suffisamment belles pour une BD actuelle pour que ce soit souligné.

 

En revanche, une fois de plus, Xavier Dorison me déçoit au scénario... On retrouve son goût pour la violence crue, pour le sang et les tripes étalées. Ce qui fait que cette BD est bien trop adulte pour des enfants, malgré un dessin type Disney, avec des animaux anthropomorphes, doués de parole.

 

Ce qui est nouveau (pour moi en tout cas), c'est le ton un peu bête, voire même niais et facile de ses personnages et de son scénario, qui ne peuvent satisfaire l’adulte que je suis. Un scénario qui ne tient debout que par sa source littéraire, le chef-d’œuvre qu'est « La Ferme des animaux » de George Orwell. Si le bref roman d’Orwell, incisif et brillant, est un coup de poing dans le ventre, le récit de Dorison est beaucoup moins convaincant et marquant.

 

Je reconnais qu’il a du mérite en essayant de « dépasser » ce roman, en voulant montrer « l’après » : comment se passe la sortie du totalitarisme. Seulement, le propos est bien trop schématique et simpliste. Et puis on a rarement vu des « suites » de chefs-d’œuvre, surtout réalisées par d’autres auteurs, se hisser à leur niveau…

 

Ici, les personnages sont très monolithiques, binaires, et l’ascendant de certains animaux sur les autres se fait quasi exclusivement par la force quand Orwell montrait comment par plein d’autres moyens pervers (le dévoiement du langage, la réécriture de l’histoire…) certaines personnes cherchaient à emprisonner non seulement les corps, mais aussi l’esprit de leurs semblables.

 

On est donc beaucoup plus dans une opposition manichéennes entre gentils et méchants, sans l’analyse acérée d’Orwell qui savait nous alerter sur les dangers passés et à venir des totalitarismes de tous bords et leurs mécanismes redoutables. En somme, on est dans les bons gros clichés de la lutte contre l’oppression, sans que Dorison se foule le moins du monde, persuadé que ses « recettes » suffisent.

 

J’ai lu les deux premiers tomes de la série – les seuls sortis à ce jour – et ça ne s’arrange pas. Le second volet adopte le même ton et le même esprit. Je suis donc déçu par cette série qui s’annonçait prometteuse, et dont la très bonne presse qu’elle reçoit ne me semble pas refléter son niveau de qualité plus que moyen, du moins pour ce qui est du scénario… Dommage, Dorison a manqué une belle occasion… 

 

[2/4]

dimanche 1 août 2021

« Peppermint Candy » (Bakha Satang) de Lee Chang-dong (2000)


    « Peppermint Candy » est un film difficile mais nécessaire, où Lee Chang-dong met en scène un anti-héros dont l'histoire personnelle fait écho à l'histoire récente de la Corée du Sud (du début des années 1980 à la fin des années 1990).

Un personnage qui sera broyé par des évènements terribles, qui ont façonné la Corée et en ont fait un pays meurtri, à l'image de ce personnage qui a perdu à jamais son innocence et en souffrira toute sa vie.

Le scénario de Lee Chang-dong, construit à rebours, est ingénieux et nous fait remonter dans le passé de Yongho, pour mieux appréhender comment il en est arrivé là, mais aussi pour comprendre en parallèle ce qui s'est passé en Corée pour influer à ce point sur sa vie.

Ce n'est clairement pas un film léger, il est parfois brutal, souvent désespéré, mais il contient aussi un idéal, une certaine idée de dignité perdue, notamment à travers le personnage de Yun Sunim, l'amour de jeunesse de Yongho.

« Peppermint Candy » est un véritable cri du cœur qui permet de mieux connaître et comprendre le passé tragique de la Corée du Sud. C'est une œuvre qui permet d'ailleurs d’obtenir des clés pour décrypter d'autres films du Pays du Matin Calme, dans lesquels l'histoire de la Corée est parfois tue mais présente, l'air de rien, en arrière-plan, comme par exemple dans « Memories of Murder ».

Il s’agit d’un long métrage ambitieux sur le fond et sur la forme, avec un scénario très bien écrit, des personnages fouillés et qui ne se résument pas à des idéaux-types en deux dimensions, mais aussi une esthétique maîtrisée et de belles prises de vues, Lee Chang-dong ne sacrifiant aucune des composantes de son film et arrivant ainsi à créer une belle harmonie d’ensemble.

Signalons enfin des interprètes magistraux (comme souvent en Corée), notamment ceux qui incarnent les deux « héros », Sol Kyung-gu (Kim Yongho) en tête, capable de passer par toutes les émotions et de jouer avec brio différents âges de la vie, et Moon So-ri (Yun Sunim), en jeune femme simple et courageuse, animée par une force admirable, compte tenu de la situation difficile dans laquelle elle vit.

Si vous êtes intéressés par la Corée du Sud et son cinéma, il me semble donc indispensable de découvrir ce long métrage, à la fois œuvre de mémoire, œuvre politique, sociale et œuvre pivot, réalisée alors que le cinéma coréen allait conquérir le monde entier.

[3/4]

dimanche 27 juin 2021

« L'Homme de la Légion » (L'uomo della Legione) de Dino Bataglia (1977)


 

    Une belle BD, quoiqu'assez austère, par son thème et son traitement. Il est question de la Légion Étrangère, corps d'armée prestigieux... mais voué à effectuer le sale boulot. En l'occurrence, ici dans les années 20, a maintenir l'ordre en Algérie Française face aux rebelles, dans un désert hostile et sous un soleil de plomb.

 

Si cette BD n'est pas sans posséder une certaine coloration politique, l'auteur s'attache surtout à illustrer la notion d'honneur, opposant deux personnages, l'un courageux, « simple soldat », et l'autre pleutre, ce dernier ayant le malheur d'être officier et n'étant donc pas à la hauteur de sa fonction... Battaglia en profite ainsi pour esquisser une sorte de méditation sur la condition de soldat, brillamment exécutée.

 

Reste que son style graphique est toujours aussi déconcertant. On reconnaît à peine les visages des personnages d'une case à l'autre. Le ton très mélancolique du récit s'accorde avec ces personnages minéraux, aux visages grisâtres, comme des morts-vivants s'ébattant dans une histoire écrite à l'avance, dont le destin est scellé.

 

Fond et forme se mêlent pour créer une atmosphère particulière, les personnages nous semblant lointains. Ils luttent face à des enjeux qui les dépassent et se révèlent en cela humains, mais on peine en même temps à vraiment s'attacher à eux, l'auteur créant une certaine distance qui empêche cette BD de nous toucher davantage.

 

Pour autant, Battaglia nous livre là un essai parfaitement accompli, et je suis toujours aussi curieux de me plonger dans le reste de ses œuvres.

 

[3/4]

mardi 8 juin 2021

« Che » (Vida del Che) d'Héctor Germán Oesterheld, Alberto et Enrique Breccia (1968)


 

    Une BD complexe, comme le fut la vie de Che Guevara. Indéniablement, il s'agit d'une hagiographie. Guevara nous est montré comme un homme sans défauts, offrant sa vie pour les pauvres et les nécessiteux.

 

Pour autant, ce n'est pas une biographie classique, académique, au contraire. La narration est très particulière : les textes prennent la forme de pensées, brèves, répétitives, parfois confuses. Tout comme les dessins, difficilement lisibles, presque informes, noyés sous des litres d'encre noire, reflet du pessimisme des auteurs, qui ont connu l'enfer des dictatures sud-américaines (Oesterheld et sa famille en mourront dans des conditions atroces...). 

 

Nous sommes ici plongés dans la tête de Guevara et dans le feu de l'action. Le récit est comme haché, avec des allers-retours entre différentes temporalités. Les auteurs nous dressent là un portrait fragmenté et multiple, non linéaire.

 

Il est donc difficile d'appréhender cette BD, du fait de son côté elliptique, mais aussi pour prendre du recul face au personnage, dont la stature et le culte ne peuvent qu'écraser un lecteur contemporain. 

 

Malgré tout, si l'on revient à ce pourquoi Guevara s'est engagé dans la révolution, on ne peut qu'être marqué par l'extrême pauvreté, le dénuement absolu et la santé terriblement précaire des peuples sud-américains auprès desquels Guevara s'est rendu.

 

Quelle que soit la vérité autour de la figure du Che, la situation en Amérique Latine ne pouvait que révolter. C'est l'un des mérites de cette BD, que de rappeler pourquoi Guevara s'est battu. C'est peut-être même la chose la plus importante à garder en mémoire.

 

[3/4]

lundi 24 mai 2021

« Drunk » (Druk) de Thomas Vinterberg (2020)


     Quel plaisir de retourner au cinéma et d'y découvrir un vrai film. Ce sentiment, je l’ai eu pour la dernière fois en allant voir « Parasite » de Bong Joon-ho en salles. D’ailleurs, les deux longs métrages ont certains points communs, outre leur moisson de récompenses.

Il s’agit de films multiples, ambivalents, mixant comédie et tragédie, rire et émotion, réflexion et légèreté. Deux longs métrages qui radiographient notre société contemporaine et notamment leur pays. Deux films alliant une brillante interprétation à une réalisation inspirée et efficace.

Je tiens ainsi à saluer en introduction l’interprétation parfaite des différents acteurs, l’immense Mads Mikkelsen en tête. Mais aussi à tirer mon chapeau à Thomas Vinterberg, que j’avais quitté en très petite forme, avec un « Submarino » décevant et manichéen au possible.

La grande force de « Drunk » est son ambiguïté. Vinterberg se cache d’ailleurs un peu derrière pour ne pas prendre position, mais soit, son film perdrait en intérêt sinon. Ce long métrage est ainsi à la fois une célébration et une dénonciation de l’ébriété. Plus encore, c’est un film constamment sur le fil du rasoir, à l’image de ses protagonistes.

En effet, ceux qui l’ont testé le savent : boire peut-être libérateur... Jusqu’à un certain point. Cela permet de se désinhiber, on est plus volubile, plus sûr de soi, parfois même plus lucide sur certains points, plus détendu. Mais, et il y a un gros mais, ça ne vaut qu’avec modération. Dès que la prise d’alcool est trop répétée ou trop importante, le rêve éveillé peut devenir un cauchemar.

Et c’est tout l’enjeu de ce film. Montrer des personnages cinquantenaires, englués dans leur quotidien et la banalité de leur vie, qui décident de renverser la table, de se mettre à boire comme leurs jeunes élèves, à célébrer la vie, mais qui pensent pouvoir se maîtriser. 4 hommes en lutte avec eux-mêmes et qui tentent de retrouver un équilibre… précaire et instable.

Au début, c’est comme un jeu, une boutade, une pseudo-expérimentation qui les fait rire et nous avec. Un psychologue norvégien indique que l’homme est fait pour vivre avec 0,5 grammes d’alcool dans le sang, pas plus, pas moins. Au début, donc, on y croit. Nos (anti)héros sont transformés, métamorphosés, tout semble leur réussir. Ils auraient pu s’arrêter là. Mais non, la démesure humaine les rattrape.

Ils franchissent alors la ligne jaune. Ils perdent le contrôle. Tout s’emballe. Si certains arrivent encore à se raccrocher à des bouées dérisoires, pour d’autres c’est la fuite en avant. Thomas Vinterberg aurait pu en rester là, et faire de ce film une amère condamnation de l’alcool.

Mais il fait un autre choix. D’un côté il semble presque glorifier la saoulerie, qu’elle soit monumentale et impressionnante chez les jeunes étudiants, ou plus discrète mais tout aussi festive pour nos 4 personnages. De l’autre, il montre crument les ravages de l’alcool, avec des conséquences parfois irréversibles.

Vinterberg ne tranche donc pas. D’un côté l’alcool est une fête à lui seul, de l’autre il blesse et tue profondément, le corps comme l’âme. Ce n’est pas l’un ou l’autre, ce sont les deux à la fois. Les deux faces d’une même pièce.

La séquence qui le manifeste le mieux est la dernière, brillante. Une scène survoltée, avec un Mads Mikkelsen en transe. Jusqu’à ce plan final, suspendu. Martin est-il en train de renaître, de revivre, de s’amuser une dernière fois avant de reprendre le contrôle de sa vie ? Ou est-ce vraiment la fin, la fête de trop, puis la mort ?

Le film s’achève, irrésolu. Plein de cette contradiction : l’alcool est synonyme de convivialité, mais aussi de déchéance, de joie et de détresse. Est-il possible – et souhaitable – de rester raisonnable ?

[3/4]

dimanche 16 mai 2021

« Titanic » d'Attilio Micheluzzi (1988)


 

Avec « Titanic », Micheluzzi signe à la fois une tragédie moderne et une critique acerbe de la grande bourgeoisie de l'époque. Parmi tout le gratin des passagers de « l'insubmersible » navire, bien peu trouvent grâce aux yeux de notre implacable auteur et narrateur. Une fois de plus, Micheluzzi nous livre une étude de caractères, avec des personnages hauts en couleur, dont beaucoup ont quelque chose à se reprocher.

 

Les vices des riches passagers sont alors comme une insulte aux pauvres qui ne peuvent s'embarquer à bord, ou à ceux qui doivent se contenter des 2e et 3e ponts, le premier étant réservé à « l'élite ». Pour autant, les personnes issues du peuple ne sont pas toutes représentées sous un jour favorable. Comme par exemple l'anarchiste vindicatif, qui est dépeint comme une grosse brute guère appréciable...

 

Finalement, Micheluzzi adopte un point de vue « surplombant », terriblement objectif, comme le rappelle le 4e de couverture de l'édition Mosquito. « Quand la grande horloge sonne les derniers coups, il est minuit pour tout le monde... Qu'on soit femme de chambre, prince russe, révolutionnaire ou encore millionnaire américain, il suffit parfois d'un simple bloc de glace pour remettre tout le monde sur un pied d'égalité ».

 

Ainsi, bons ou mauvais, les passagers du Titanic sont finalement logés à la même enseigne. La mort frappe aveuglément, quelle que soit sa fortune ou sa grandeur d'âme. La seule différence, peut-être, c’est son attitude lorsque la mort survient. La bande dessinée de Micheluzzi devient alors une méditation sur la vanité, celle d'une époque, celle d'une classe qui se croit supérieure, et plus largement celle d'une humanité faillible qui peine à apprendre de ses erreurs.

 

Toutefois, comme à son habitude, le maestro italien laisse entrevoir une fine lueur d’espoir, avec certains personnages plus vertueux, qui permettent de donner davantage de saveur au récit et qui empêchent qu’il soit monolithique, uniformément noir. Comme à son habitude, Micheluzzi nous offre un récit très nuancé.

 

Le style graphique en noir et blanc ne doit pas nous tromper, Micheluzzi est un auteur qui préfère les nuances de gris, ou de couleurs, à une vision binaire du monde. Et c’est tout sauf du relativisme (moral ou autre). C’est juste que l’auteur italien était un homme de son temps, du 20ème siècle, et qu’il savait que la vie est à la fois simple et terriblement complexe, tout comme nos sociétés humaines.

 

Et je dois dire que je regrette cette subtilité, qu’on ne trouve plus que rarement aujourd’hui, que ce soit dans l’art ou dans d’autres domaines… Un constat qui ne rend que plus précieuse l’œuvre d’Attilio Micheluzzi, talentueux auteur et témoin privilégié d’un siècle de profonds bouleversements.

 

[3/4]

« Dream Songs: The Essential Joe Hisaishi » de Joe Hisaishi (2020)


 

    Une solide compilation, qui reprend les morceaux phares des bandes sons signées Hisaishi, notamment des films de Miyazaki et de Kitano. Il me semble que la majorité des titres ont été réenregistrés par rapport aux bandes originales, car on entend des variations subtiles mais néanmoins perceptibles, sans que cela altère le plaisir qu'on éprouve à les écouter.

 

Un des gros intérêts de cette compilation est qu'elle comporte également des morceaux issus des albums personnels d'Hisaishi, dans un style de musique classique contemporaine mixant harmonieusement influences extrême-orientales et occidentales. Des albums moins bien distribués sur le continent européen et qui comportent quelques véritables pépites.

 

Toutefois, si je devais adresser un reproche, c'est que cette compilation, surtout sur le 2e CD, propose des versions réduites au piano de certains titres phares tirés de BO de films composées par Hisaishi, alors qu'ils sont à la base taillés pour un orchestre symphonique. Je pense par exemple à la suite tirée de Nausicaä, qui est un véritable chef-d’œuvre dans sa version symphonique, dont je ne me lasse pas. Et qui rend forcément (beaucoup) moins bien au piano seul...

 

Pour le fan (que je suis), cette compilation constitue un complément aux albums des BO d'Hisaishi et n'est donc pas un mauvais investissement, car elle permet d'avoir des versions alternatives de certains de ses titres phares. En revanche, pour celui ou celle qui recherche la compilation ultime de Joe Hisaishi, il lui faudra passer son tour... Même si on n'en est vraiment pas passé loin et que je recommande tout de même ce double album, d'une grande qualité.

 

[4/4]