lundi 1 mai 2023

« Les Trois Mousquetaires - D’Artagnan » de Martin Bourboulon (2023)


 

Le projet d’adapter une énième fois au cinéma le célébrissime roman de Dumas a été accueilli avec une légère circonspection. Si le casting semblait alléchant, le réalisateur choisi, Martin Bourboulon, laissait quelque peu sceptique. Et puis on ne compte plus les adaptations cinématographiques des « Trois Mousquetaires », qu’est-ce que cette version allait bien pouvoir apporter ?

Pour ma part, je n’attendais pas grand-chose de ce film. Toutefois, comme beaucoup je pense, j’étais curieux de cette tentative non dénuée de courage de ressusciter le film de cape et d’épée, genre pour lequel les Français se sont révélés à la hauteur de leurs concurrents anglo-saxons. Certes, on se souvient avec bonheur des « Trois Mousquetaires » de George Sidney (1948), peut-être la meilleure version cinéma à date, même si elle a un peu vieilli, riche d’un excellent casting emmené par Gene Kelly en D’Artagnan et respectueuse du roman de Dumas.

Mais songeons aux films d’André Hunebelle, au diptyque des « Trois Mousquetaires » signé Bernard Borderie (peut-être la meilleure adaptation française du roman), ou encore les films d’époque de Philippe de Broca (« Cartouche », « Le Bossu ») ou Jean-Paul Rappeneau (« Les Mariés de l’An Deux », « Cyrano de Bergerac ») et j’en passe… Non, nous Français n’avons pas à rougir, nous savons – ou du moins savions – réaliser des films de cape et d’épée dignes de ce nom.

C’est donc peu dire que cet opus porté par le producteur Dimitri Rassam était attendu au tournant. D’un côté car le genre du film d’aventure et d’époque est très apprécié en France, même s’il a été abandonné depuis un moment. D’autre part car nous avions des doutes : de tels films ont-ils encore un sens aujourd’hui ? Peuvent-ils encore passionner le public, français d’abord, et pourquoi pas international ?

Le résultat est plutôt positif. Oui, « Les Trois Mousquetaires – D’Artagnan » est un plutôt bon film de cape et d’épée, qui a su moderniser le genre ainsi que le roman de Dumas, en prenant des libertés avec le récit d’origine, mais qui font sens et qui sont bien intégrées dans le déroulement de l’intrigue.

Ensuite, le casting cinq étoiles est vraiment un atout clé du film. On s’attache à nos quatre mousquetaires, notamment François Civil en D’Artagnan et Vincent Cassel en Athos, mais aussi Romain Duris en Aramis et Pio Marmaï en Porthos. C’est une bonne idée d’avoir confié le rôle de Constance Bonacieux à Lyna Khoudri, actrice prometteuse, et Louis Garrel campe un excellent Louis XIII, pusillanime et finalement attachant, lui aussi.

De plus, on sent que Pathé a mis les moyens et tenu à ce que cela se voie à l’écran. Les décors et la direction artistique sont de qualité, même si l’on pourra émettre quelques réserves sur les costumes, notamment ceux des mousquetaires, à l’aspect anachronique (tout comme quelques éléments ici et là).

Enfin, cette version des « Trois Mousquetaires » verse davantage du côté du film d’action que du film de camaraderie. Personnellement je le déplore un peu, certains personnages étant sacrifiés, notamment Aramis et Porthos. Mais d’un autre côté le rythme est soutenu et sans temps morts, plutôt bien équilibré, avec du suspense et une machination politique qui maintient notre attention en alerte.

Venons-en maintenant aux défauts du film. Le premier et le plus criant, c’est la mise en scène de Martin Bourboulon. Elle manque clairement de souffle et de panache. Ce qui est quand même un sérieux problème pour un tel film, adapté d’un roman aussi iconique… Certes, certaines scènes ont un côté épique (trop bref, hélas…), et puis l’humour n’est heureusement pas absent, plusieurs répliques bien senties nous laissent esquisser un sourire, même si elles sont trop rares. On sent aussi qu’à plusieurs moments le réalisateur tente des séquences plus ambitieuses. Mais il va rarement au bout de ses intentions.

Or pour un récit de cette ampleur, une mise en scène aussi plate et aussi peu inspirée, c’est plus que regrettable. En effet, il y a peu, voire pas d’idées de mise en scène. Tout fait très convenu et prévisible, comme si on avait demandé à un débutant de tourner un film d’époque... Ce qui est en fait le cas de Bourboulon, sans doute plus à l’aise dans les comédies familiales qu’il a signées auparavant. Dommage donc, d’autant plus quand on a un aussi bon casting et de tels moyens financiers… C’est vraiment un gros gros loupé de la production… Je sais que Bourboulon fait partie d’une équipe presque d’amis à l’origine de ce long métrage et que c’est un projet collectif, mais je regrette ce choix d’un réalisateur néophyte pour ce genre de films.

Dans cette continuité, on peut aussi évoquer la façon de filmer les combats, complètement brouillonne et illisible. L’avantage, c’est qu’on est plongé dans l’action, avec un côté immersif qui évite de tomber dans les clichés du film de cape et d’épée passéiste et trop propre sur lui, avec des batailles rangées et un côté chorégraphie millimétrée pour le moins artificielle. Le revers, c’est que ces scènes sont fatigantes et qu’on ne comprend plus qui est qui ni ce qu’il se passe…

Clairement, les auteurs et Martin Bourboulon ont fait le choix d’un film avant tout immersif, en témoignent la focalisation sur les personnages (par exemple sur Anne d’Autriche lors de la scène au couvent) et la suramplification des sons, notamment les nombreux coups de feu. L’action est donc très voire trop présente, mais au moins cela évite au long métrage de tomber dans le déjà vu des adaptations précédentes et permet de proposer une nouvelle approche du film de cape et d’épée : plus sobre et plus réaliste.

Pour finir, autres défauts et non des moindres : la direction d’acteurs pas assez précise, semblant laisser les acteurs livrés à eux-mêmes dans des scènes à rallonge, doublée d’un montage qui aurait gagné à être plus sec. En effet, dans de nombreuses scènes, on sent que la caméra reste trop longtemps sur les acteurs, dont certains semblent mal à l’aise. Je pense à François Civil, mais surtout à Lyna Khoudri, leurs scènes à deux étant parfois gênantes et manquant de crédibilité. Je pense aussi à Vicky Krieps, mal à l’aise en Anne d’Autriche, même si c’est aussi le rôle qui veut cela. Ou encore Eva Green en Milady, qui pour le coup surjoue presque alors qu’à la base je trouve que c’est une bonne idée de lui avoir confié ce rôle.

Au total, j’estime que les qualités de ce film dépassent ses défauts. N’ayant pas d’attentes démesurées à l’origine, elles sont plutôt comblées. Je regrette tout de même de ne pas retrouver le panache et l’inventivité des grands films de cape et d’épées du répertoire français (Bébel dans « Les Mariés de l’An Deux » ça avait quand même une autre gueule, à la fois épique et truculent). Néanmoins, je salue la prise de risque et la demi-réussite, en attendant avec impatience de découvrir en salle le deuxième volet, consacré à Milady.

[2/4]

mardi 4 avril 2023

« Takeshi Kitano - Hors catégorie » de Lucas Aubry (2022)

 

Takeshi Kitano est un OVNI au Japon. D’ailleurs, le sous-titre de ce livre est révélateur : Kitano est complètement inclassable, son parcours est unique. A la fois comique irrévérencieux, excessif et fantasque, et acteur/réalisateur de films d’auteurs à la violence sèche, contrebalancée par une certaine poésie, Takeshi Kitano mène de front deux carrières complètement antinomiques depuis des années.

Ce livre à le mérite de retracer l'itinéraire de Kitano, en partant de ses débuts, et nous fait mieux comprendre comment le Japonais a su se frayer un chemin – difficile – pour percer dans le monde de l’art et du divertissement, afin de devenir l’artiste mondialement reconnu qu’il est aujourd’hui.

La vie de Kitano commence dans les quartiers pauvres de Tokyo, avec un père alcoolique et violent qui lui fait honte, et une mère courage qui se sacrifiera pour que ses enfants fassent des études. Mais le jeune Takeshi n’est pas du genre scolaire, au grand dam de sa mère. De petits boulots en petits boulots, il intègre le monde du spectacle, dans des clubs de strip tease et des cabarets miteux.

Homme à tout faire, il tient bon et espère que le grand soir viendra. En attendant, il veut apprendre. Sa rencontre avec le vieil acteur comique Senzaburo Fukami est décisive. Il lui transmet tous ses tours, et peu à peu, Takeshi se découvre un talent d'humoriste.

Durant cette période compliquée, un certain Nirō Kaneko, compagnon d’infortune de Kitano, ronge son frein. Ils galèrent alors que d’autres acteurs ont une ascension fulgurante, incompréhensible... Nirō s’associe avec Kitano, et à deux ils forment bientôt les « Two Beats », un duo comique à l’humour ravageur. C’est le début du succès… Année après année, le duo gagne en notoriété. Jusqu’à ce que Kitano, sous le pseudonyme de Beat Takeshi, devienne une célébrité nationale, une star de la télévision, omniprésent et presque omnipotent.

Il multiplie les émissions loufoques et délirantes : « La Télé du génie Takeshi qui donne la pêche », « Tous ceux qui veulent passer à la télé, venez !! », « La Télé la plus intelligente de Takeshi » ou bien sûr le fameux « Takeshi’s Castle »… Dans un Japon très conformiste, Kitano ose tout, en forçant sur le graveleux et l’humour noir… Et ça lui réussit ! Il devient très populaire, notamment auprès des jeunes, et finit même par être désigné comme une des personnalités préférées des Japonais.

Mais Kitano ne veut pas en rester là. Le destin prend les traits de Nagisha Oshima, qui lui offre une opportunité en or. Il lui propose de jouer dans son film Furyo, aux côtés de David Bowie. Star mondiale, Bowie éclipse Kitano, dans le film et sur les plateaux de télé, lors de la promotion du long métrage. Néanmoins le Japonais a déjà gagné : il sait qu’il peut jouer des rôles dramatiques… et en regardant travailler Oshima, il se rend compte que le métier de réalisateur a l’air très intéressant... Pourquoi ne pas essayer après tout ?

La suite, on la connait. Un premier film qui le lance. Des difficultés pour être reconnu comme un cinéaste et un auteur au Japon, son personnage de Beat Takeshi lui faisant de l’ombre. Un violent accident de moto, qui le laisse presque mort, sorte de tentative de suicide ratée, alors qu’il mène une vie à 200 à l’heure. Puis une reconnaissance internationale, qui culmine en 1997 avec le Lion d’Or pour son chef-d’œuvre Hana Bi, le film de la renaissance pour Kitano.

Tout cela, et bien plus, est relaté dans ce bref ouvrage, très dense et très intéressant. Doté d’une belle plume, sèche et incisive, Lucas Aubry raconte avec talent le parcours du wonder boy japonais. Nourri de beaucoup de détails, avec un sens du récit presque visuel, ce petit bouquin est très plaisant à lire et peut faire figure de référence parmi les livres consacrés au cinéaste nippon. Il ne reste plus pour Kitano et ses biographes qu’à écrire la suite, que l’on souhaite heureuse et foisonnante…

[3/4]

dimanche 19 février 2023

« Assise - Une rencontre inattendue » de François Cheng (2014)


Magnifique petit livre sur François d'Assise, l'un des plus grands saints ayant jamais existé, à l'héritage toujours vivant aujourd'hui. François Cheng nous livre sa vision de son saint patron et sa rencontre avec lui, dans la belle cité italienne, nichée dans les collines de l'Ombrie.

Avec raison, François Cheng cherche à déjouer les clichés d'un saint doucereux, « bisounours », pour dresser le portrait d'un homme qui a tout abandonné pour ne garder que l'Amour – des Autres, du Monde et de Dieu. Un homme qui a vécu une vie de grande exigence et tout donné de lui-même pour se consacrer aux autres.

Je pense tout de suite à un autre livre magnifique sur François, « Le Très-Bas », d'un autre poète, l'immense et humble Christian Bobin, qui nous a hélas quitté récemment, et dont l'absence se fait cruellement sentir. Je pense aussi aux deux grands artistes directement inspirés par François, Cimabue et Giotto, les pères de l'art pictural occidental.

Il est incroyable de songer à quel point François d'Assise a été une source d'inspiration pour des hommes et des femmes de tous temps, de toutes conditions, dans tous les domaines : artistes, penseurs, hommes et femmes politiques, soignants, écologistes... et bien sur Jorge Bergoglio, premier pape à se placer directement dans son sillage.

Seul regret : que ce livre soit si bref, il y aurait tant à dire de François - d'Assise, mais Cheng aussi, dont j'aurais voulu apprendre davantage sur sa conversion. Mais je ne peux que remercier le poète pour ce bel ouvrage, qui rappelle combien François d'Assise est une figure toujours actuelle et très inspirante. Le Frère Universel, auteur - entre autres - du bouleversant Cantique des Créatures, qu'il est toujours bon de relire... et méditer.

[4/4]