dimanche 13 novembre 2016

« Little Big Man » d'Arthur Penn (1970)

    « Little Big Man » est un film singulier : flamboyante épopée à l’humour ravageur, au premier abord il s'agit d'une vaste fresque sans queue ni tête, mais en fait c'est une puissante dénonciation de la barbarie humaine, baignant dans l’esprit subversif et contestataire des années 60-70 durant lesquelles le long métrage a été réalisé. Ce film suit la vie d’un jeune yankee recueilli par des Indiens à la suite du massacre de sa famille par ces derniers. Mais dès le début, une précision de taille nous est donnée : la tribu qui a recueilli le jeune Jack Crabb n’est pas la même que celle qui a tué ses parents. Les Indiens ne sont donc plus perçus comme un bloc monolithique : des distinctions sont faites entre les courageux, braves et justes Cheyennes (qui s’appellent entre eux Human Being – les Êtres Humains) et les lâches et violents Pawnee. Pour l’une des toutes premières fois à Hollywood, le point de vue de la narration et de l’histoire est bien plus du côté des Indiens que des conquérants blancs. Arthur Penn porte qui plus est un regard plein de dérision et d’ironie sur ces fameux blancs, soi disant civilisés, mais quelque peu hypocrites, comme ce pasteur malfaisant qui recueille Jack après que les Indiens aient subi une défaite. Et la femme nymphomane de cet odieux pasteur n’est pas en reste… Bref tout le monde en prend pour son grade. Et au milieu de tout ça, impuissant, Jack Crabb assiste en témoin de premier plan aux évènements qui voient s’affronter Indiens et cavalerie yankee. Tantôt ce sont les uns qui gagnent, tantôt ce sont les autres. Difficile de trouver un juste milieu : Jack ne sera jamais tout à fait accepté par chacun des deux camps et aura toujours du mal à se positionner, à savoir qui il est vraiment. Toutefois la figure tutélaire de son « grand-père » d’adoption indien, fascinante, l’aidera à se construire : sage, innocent, naïf et pourtant plein de bon sens, lui aussi traverse les évènements sans y pouvoir grand chose. Et à chaque fois, il garde les bras grands ouverts pour accueillir Jack, avec ces paroles pleines d’amour et de bonté pour celui qu’il considère comme issu de son propre sang. Face à l’absurdité de l’Histoire et de ces évènements funestes, il garde la foi jusqu’au bout et est comme une boussole pour notre jeune héros. Il est vraiment l’âme de ce récit, au cœur de toute la complexité de ce qui est évoqué, ces rapports d’amour-haine entre Occidentaux et Indiens. Passionnant de bout en bout, scénaristiquement riche et magistralement interprété, notamment par un Dustin Hoffman au sommet, « Little Big Man» est plus qu’un excellent western original et réussi, c’est un grand film tout court, notamment sur l’histoire mouvementée des Etats-Unis d’Amérique. Un film indispensable en somme.

[4/4]

samedi 1 octobre 2016

« Wall-E » de Andrew Stanton (2008)

    Encensé à sa sortie, « Wall-E » est loin d’être le chef-d’œuvre tant attendu. La fameuse première partie sans dialogues n’est hélas guère émouvante. Difficile de se sentir touché par une machine, malgré toutes les attitudes « humaines » qu’on veut bien lui prêter. Tout semble tellement convenu et déjà-vu qu’on peine à croire qu’un tel film ait pu soulever un tel enthousiasme. On retrouve les personnages stéréotypés des dessins animés américains, qu’ils aient vu le jour sous la bannière Pixar, Dreamworks ou que sais-je encore, et ces bons sentiments de pacotille qui m’horripilent. Paradoxalement, c’est dans sa deuxième partie que j’ai trouvé ce film intéressant, lorsqu’il devient une sorte de dystopie prophétique. Les humains y sont en effet dépeints comme d’obèses personnages, rivés à leurs écrans et ne sachant plus goûter aux joies simples et réelles de la « vraie » vie, et encore moins se parler de vive voix. Le petit robot Wall-E, sorte de trublion irrémédiablement maladroit, vient bouleverser ce monde artificiel et redonner aux hommes le goût de la vie, et l’envie de quitter leur fauteuil confortable - mais funeste - pour vivre une vie digne de ce nom. Le propos nous interroge alors sur l’avenir de notre société, qui semble s’acheminer rapidement et sûrement vers cet état de torpeur malsaine et d’aveuglement mortel qui ne mènera à rien de bien rassurant. Finissant toutefois sur une note optimiste, « Wall-E » fait mine de rien réfléchir un public davantage habitué aux effets spéciaux abrutissants et aux scénarios pré-mâchés. De quoi remonter dans mon estime, ce qui en fait à mes yeux un dessin animé intéressant, mais encore loin d’être un sommet du genre.

[2/4]

« Le Discours d'un roi » (The King’s Speech) de Tom Hooper (2010)

    Dès les premières minutes du « Discours d’un roi » on se sent en terrain connu : mise en scène classique, photographie léchée, presque artificielle, stars du moment au casting… Pas de toute, nous voilà face à un film tout ce qu’il y a de plus académique. Mais assez rapidement une petite musique se fait entendre, celle d’un drame intimiste original, d’autant plus touchant que les deux personnages principaux semblent incapables de dépasser le carcan qui les enserre, malgré des enjeux extraordinaires. L’un est prince de la famille royale d’Angleterre, peut-être voué à régner un jour sur l’Empire britannique, mais bègue depuis son plus jeune âge, impuissant à exprimer en public toute la noblesse de son rang : sa vie n’est qu’autorité bafouée, honte, désespoir. L’autre est semble-t-il un excentrique, un orthophoniste australien aux méthodes étranges, un acteur raté qui veut redonner au premier confiance et le libérer de son incapacité à parler à haute voix. La force de ce film doit beaucoup au face à face entre ces deux hommes, entre un aristocrate fier et orgueilleux mais brisé, détruit par son défaut d’élocution, et cet étranger bienveillant, méprisé de beaucoup, mais aux talents prodigieux. Tous deux doivent surmonter le regard humiliant des autres, essayer sans relâche de prouver leur valeur profonde, de défendre leur dignité face à l’adversité, qui peut se révéler dans son propre frère, un jury inhumain ou un auditeur anonyme. Tous deux, heureusement, peuvent compter sur l’appui d’une épouse combative et aimante. A ce titre, Helena Bonham Carter force le respect par son jeu, pour une fois sobre et sincère. Et peu à peu, en s’apprivoisant mutuellement, le Duc d'York et le « docteur » Lionel Logue vont réussir à grandir ensemble, au gré d’une relation « professionnelle » qui se muera progressivement en amitié profonde et indéfectible. D’une « histoire vraie », ces fameuses trames dont Hollywood est si friand, qui veulent tout et rien dire, et peuvent mener aux films les plus vils, Tom Hooper a su tirer toute la substantifique moelle, tout le tragique de cette histoire d’ambitions contrariées. Plus encore, il a su dépeindre une confrontation entre un homme au sommet de l’échelle sociale mais qui ne peut jouir de son statut, rongeant son frein alors que la guerre est aux portes de l’Angleterre et qu’il veut trouver les mots pour engager son peuple dans la résistance face à l’oppresseur, et cet homme simple mais qui sait tant de choses, dont les plus essentielles, d’abord moqué puis respecté. « Le Discours d’un roi » est ainsi un long métrage multiple : drame intérieur mais aussi social, film historique et biopic singulier. En bref, sans être novateur ni flamboyant, un film subtil et profond. Une belle réussite.

[3/4]

dimanche 11 septembre 2016

« Toni Erdmann » de Maren Ade (2016)

    Vanté dans la presse comme un légitime prétendant à la Palme d’or du Festival de Cannes, j’attendais beaucoup de « Toni Erdmann ». Et si mes attentes ne sont pas totalement déçues, je dois bien dire que ce film ne m’a pas pleinement convaincu pour autant. Sur le papier, ce long métrage bénéficiait pourtant d’un scénario en or massif : une jeune consultante – c’est-à-dire une femme dont le métier consiste à conseiller des entreprises et plus particulièrement leurs dirigeants – ne semble pas heureuse, ce qui préoccupe son père facétieux, qui va chercher à lui redonner le goût des choses simples avec ses blagues insistantes. De ce conflit entre le monde enfantin du père et le monde ascétique de la fille (les rôles semblent inversés en termes de maturité) ne pouvait que découler une intéressante confrontation me disais-je. De plus, le monde du conseil aux entreprises est quelque chose que je connais, ce film ne pouvait donc que me parler. Côté peinture du monde du conseil, Maren Ade frappe juste. Le réalisme de ce film en la matière est criant de vérité. Grâce à sa talentueuse interprète, Sandra Hüller, la réalisatrice capte bien toutes les frustrations et les renoncements, parfois même les reniements qu’implique ce genre de métier, de la relation au client à celles avec ses collègues ou les rapports de hiérarchie (excellente Ingrid Bisu), en passant par le vocabulaire particulièrement formaté et la rudesse, pour ne pas dire la froide inhumanité de certains. En contrepoint, le rôle du père, tenu avec brio par Peter Simonischek, permet de donner un peu de chaleur humaine à l’ensemble. Véritable élément perturbateur, tel un Tati drôle et mélancolique à la fois qui détruit tout ce qu'il touche, Toni Erdmann (alter ego imaginaire de ce père décalé) vient se fondre dans le moule du parfait businessman pour mieux en faire ressortir toute la vanité et la vacuité. Ainsi, le long métrage réserve certains passages particulièrement savoureux, qui s’ils ne font pas forcément rire aux éclats (et encore), nous font afficher un franc sourire. Ce qui pèche par contre, c’est la réalisation. Le film est long et tous les plans sont loin d’être intéressants. De plus, l’ouvrage se fait parfois pesant lors de séquences quelques peu malvenues qui rendent le tout passablement indigeste. Souvent grave, « Toni Erdmann » déçoit quand il se fait trop lourd. De sorte que quand l’image n’est pas « molle », fade, elle est parfois désagréable. En résumé, ce long métrage bénéficie à l’origine de bonne idées, voire d’idées géniales. Le personnage éponyme, en particulier, vaut son pesant de cacahuètes. Dommage qu’il manque à Maren Ade un vrai talent de réalisatrice pour transformer l’essai complètement…

[3/4]