dimanche 10 décembre 2017

« Coco » de Lee Unkrich et Adrian Molina (2017)

    « Coco » est plaisant, mais comme tout blockbuster, il faut raison garder et faire abstraction du grand spectacle qui nous est proposé, afin de prendre du recul et analyser les qualités et les défauts de ce long métrage. Certes, visuellement plusieurs passages sont bluffants et magnifiques. Certes, c'est probablement l'un des Disney / Pixar les plus profonds, l'un des seuls à traiter de l'au-delà et de la transmission d'une génération à une autre, voire à plusieurs autres. Pourtant nous sommes en terrain connu : Pixar fait du Pixar, et même plus : Pixar fait du Disney. Car si esthétiquement parlant « Coco » étonne par la qualité de ses graphismes et ses couleurs chatoyantes, la trame scénaristique est très convenue, notamment l'histoire principale qui est cousue de fil blanc.

J'apprécie le personnage de Miguel, plein de vie et qui doute, ainsi que plusieurs autres personnages secondaires. J'avoue que j'ai plus de mal avec Héctor, qui joue l'habituel faire-valoir censé être drôle sans l'être tout le temps, un peu lassant à force de gags répétitifs. Certains animaux sont magnifiques, et le monde des morts est splendide, vraiment. Certaines chansons sont agréables, d'autres moins, mais un film qui vante à ce point la musique et la culture hispanique, ça me parle ! Par contre les ponts de pétales font un peu too much et pas des plus originaux. Et surtout, les bons sentiments et l'humour un peu facile font que Pixar n'arrive toujours pas à rejoindre un Miyazaki, celui auquel qui je me réfère tout le temps en matière d'animation. Car si « Coco » est un excellent divertissement, est-il vraiment une œuvre d'art ? Oui, je peux l'affirmer, car malgré quelques défauts, c'est globalement une réussite, avec plusieurs niveaux de lecture, et un visuel convaincant, notamment la belle introduction dans du simili papier découpé. 

Pour autant, je ne ressens toujours pas la poésie et le souffle des œuvres du maître Japonais. « Vice Versa », par son inventivité foisonnante, s'en rapprochait sans toutefois y arriver totalement, la faute à des tics scénaristiques et visuels typiquement hollywoodiens. Je me demande si ça ne vient pas du fait que Miyazaki s'adresse aux enfants comme il le ferait avec des adultes (c'est sans doute la raison de son succès auprès de ces derniers), alors que Disney et ses filiales s'adressent quasi exclusivement aux enfants, en leur tenant un langage « adapté ». « Coco » ne fait donc pas exception, c'est à se demander si Pixar arrivera un jour à jouer dans la cour du Studio Ghibli... Sans doute faudra-t-il attendre le prochain Hiromasa Yonebayashi, du nouveau Studio Ponioc, ou bien sûr le prochain Miyazaki, pour revivre encore un grand moment de cinéma animé.

[3/4]

dimanche 26 novembre 2017

« Jeux d'été » (Sommarlek) d'Ingmar Bergman (1951)

    « Il fait partie de ma propre chair. Je préfère « Jeux d'été » pour des raisons d'ordre intime. J'ai fait « Le Septième Sceau » avec mon cerveau, « Jeux d'été » avec mon cœur. Pour la première fois, j'avais l’impression de travailler d’une façon personnelle, d'avoir réalisé un film qu'aucun autre ne pourrait refaire après moi. »  — Ingmar Bergman, Cahiers du cinéma n°84, juin 1958

De fait, « Jeux d'été » est un film éminemment solaire et chaleureux, même s'il est également triste. Solaire car tourné pour partie en plein été suédois, quand le jour est sans fin. C'est l'un sinon le long métrage de Bergman où la nature est la plus mise en valeur : ces plans où le soleil se reflète dans l'eau, où la végétation est épanouie, où les personnages jouent dans une nature rayonnante, sont absolument sublimes. Et l'histoire en elle-même est profondément touchante. Une danseuse étoile de 28 ans (« son visage en paraît 45, son corps 17, elle en a 28 » nous dit-on), se remémore un été où elle rencontra son premier amour. Et par l'entremise d'un flash back, nous retournons vers ce fameux été, où Marie et Henrik filaient alors le parfait amour. Elle, jeune et effrontée, légère et insouciante. Lui, maladroit et fou d'elle, accompagné d'un sympathique chien tout aussi attachant que son jeune maître. 

Et l'on suit ainsi leur découverte mutuelle, leur amour si jeune et si fragile, leurs sentiments parfois tourmentés, mais dans une joie quasi constante, une sorte de fête de tous les instants. « Jeux d'été » comporte des passages parmi les plus réjouissants de l’œuvre d'Ingmar Bergman, sans compter que c'est l'un des tous premiers films où l'on sent sa personnalité réellement poindre derrière les images. En cela, c'est à mon sens tout sauf un long métrage mineur dans la filmographie du Suédois. Qui veut comprendre Bergman ne peut faire l'impasse sur ce film. Il comporte tout son talent : un talent visuel, avec des prises de vues enchanteresses ; un talent scénaristique, avec des sentiments qui jouent aux montagnes russes, un côté terriblement tragique ; un talent de direction d'acteurs, avec une interprétation remarquable, du couple d'acteurs principaux aux seconds rôles.

J'ai personnellement beaucoup de tendresse pour le jeune héros, Henrik, un peu gauche et peu sûr de lui. Il est vraiment l'âme de ce long métrage, par cette fragilité qui lui confère une grande humanité. Marie quant à elle est par moments particulièrement vivante, avec un regard de feu, rieur... et tantôt éteinte, meurtrie par les évènements et un passé douloureux, meurtrie par une absence inconsolable... Avant de larguer les amarres de ce passé envahissant, et ainsi tenter de renaître.

Bref, « Jeux d'été » est un film sensible et complexe, gorgé de qualités. Il augure toute la richesse de l’œuvre de Bergman à venir. Parfois lumineux, parfois sombre, c'est l'un des premiers grands longs métrages du cinéaste suédois, et en cela il vaut largement le coup d’œil !

[4/4]