«Accattone» (le mendiant) est un jeune paumé de la banlieue romaine, un parasite apprenti maquereau et qui vit au crochet des femmes qu’il prétend protéger. C’est un inadapté de la nouvelle société italienne, incapable physiquement de supporter le labeur qu’exigent les seuls travaux rémunérés pour lequel il apparaît apte, et trop passionné pour accepter de passer ses journées à s’abrutir dans un travail dur et répétitif. Il se retrouve alors, à l’instar des autres habitants de son bidonville, à choisir entre le vol et l’argent de la prostitution. Pasolini, en critique virulent de la société bourgeoise naissante, insiste sur le caractère inadapté du personnage, condamné à s’adapter à une vie difficile que son corps et son esprit exècrent ou à se pervertir dans de basses besognes immorales. Sa quête de pureté, motivée par le sentiment amoureux, le poussera à renoncer au proxénétisme. Reste alors pour lui à s’adapter… ou à mourir. Dès son premier film, Pasolini s’émancipe du mouvement cinématographique néoréaliste italien et, d’une certaine façon, en annonce la fin. Le film part d’une thématique sociale très forte et de toujours chère au cinéaste, qui a largement marqué sa solidarité avec les pauvres exclus de la société de croissance. Mais Pasolini cherche ici à éviter la description trop réaliste, l’approche presque documentaire du monde des banlieues déshéritées pour tendre vers un cinéma plus poétique, passant par une certaine sensibilité et un regard quasi mystique sur les personnages. Cette dualité entre réalisme et poésie se retrouve admirablement retranscrite dans le travail de mise en scène de Pasolini. «Accattone» est tourné dans un style direct, très frontal, alternant longs travellings et plans serrés sur les visages des protagonistes, style propice à une approche réaliste et objective de la thématique sociale. Mais cette simplicité de la mise en scène, qui annonce la manière cinématographique à venir du cinéaste, se mue ici en pureté via le travail sur la lumière blanche, lumière envahissante et éblouissante qui apparaît irréelle, et via l’utilisation de la musique de Bach (La Passion selon Saint Matthieu). On relèvera aussi une très belle séquence onirique qui ancre pleinement le film du côté du cinéma de la poésie. Dès lors, la pureté du travail de mise en scène permet de transcender la trivialité de cette tragédie politique en une œuvre empreinte de sacralité. «Accattone» devient une Passion et chaque séquence se charge d’une dimension allégorique alimentant la métaphore christique du film. On trouve dans «Accattone» les deux facettes contradictoires de Pasolini, ces deux facettes auxquelles le cinéaste n’adhère jamais complètement et qui créent cette dualité qui apporte toute sa complexité à son œuvre : son attachement à un certain rêve d’émancipation porté par le marxisme et son aspiration au sacré. C’est ici la sacralité qui emporte finalement le film, classant «Accattone» parmi les belles réussites du cinéaste.
[3/4]
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