«Essential Killing», c’est la mise en images d’une traque, celle d’un afghan (interprété par l’acteur américain Vincent Gallo) pourchassé par une armée américaine qu’on entend plus qu’on ne voit. L’homme est d’abord arrêté en plein désert afghan. Il est ensuite conduit dans une prison secrète, mais parvient à s’échapper durant le transfert. Dans cette première partie, Skolimowski parvient efficacement à contextualiser et à poser les enjeux de son film, par l’utilisation de symboles visuels forts. C’est ainsi qu’il lui suffit de convoquer l’uniforme orange et la cagoule blanche de Guantanamo pour suggérer les tortures infligées au prisonnier. Mais la critique de la politique étrangère américaine n’est pas ce qui intéresse ici Skolimowski, qui passe rapidement, en quelques plans, sur cet aspect, pour se focaliser sur la traque de ce fugitif dans les forêts enneigées d’un pays non identifié. La fuite de cet homme, réduit à l’instinct animal (survivre au froid, se nourrir), prend rapidement les allures d’un véritable chemin de croix, jalonné d’épreuves caractérisées par un fort symbolisme judéo-chrétien. Et c’est là que le film ne fonctionne pas. Tout d’abord, cette construction du film par succession d’épreuves tue dans l’œuf la tentative de Skolimowski d’illustrer l’animalité du personnage et le côté instinctif de sa lutte pour la survie. Comment cette fuite pourrait-elle être instinctive alors que Skolimowski est là, derrière chaque arbre de cette forêt, pour tendre un nouveau piège symbolique à son personnage?... Non seulement cela nuit à la vraisemblance de l’ensemble, jusqu’à en devenir presque risible (l’homme marche dans un piège à loup, mange des baies toxiques, se couche à l’endroit précis où tombe l’arbre scié par un bûcheron…), mais cette succession d’épreuves est purement théorique : elle cherche à faire du traqué un martyr. Dès lors le film se révèle froid, distant. Les images se vident de toute densité émotionnelle et le personnage s’avère bien plus déshumanisé par l’arsenal théorique mis en place par Skolimowski que par la situation qu’il vit. Il devient lui aussi symbole. De plus, le symbolisme de certaines situations peut s’avérer parfois grossier (la scène où il force une femme allaitant son enfant à lui donner le sein est ridicule). Il a été dit que le film était «radical» dans son parti pris et sa mise en scène. A mon goût, il ne l’est pas assez, ou, tout du moins, il n’assume pas pleinement sa radicalité. Skolimowski se sent comme obligé d’introduire des séquences de flash-back pour construire un passé et une vie à son personnage, séquences non seulement superflues mais particulièrement vilaines visuellement. Au final, on retiendra 2 scènes qui parviennent un peu à s’extraire de la rigidité théorique de l’ensemble et à proposer un début d’émotion artistique : la séquence des chiens et le dernier plan du film, d’une sobriété salutaire. Ca reste léger…
[1/4]
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