dimanche 6 octobre 2024

« Personne ne va rire » (Nikdo se nebude smát) d’Hynek Bočan (1965)


« Personne ne va rire » (ou « Personne ne rira ») est un film étonnant, adapté de la nouvelle éponyme de Milan Kundera, qui ouvre son recueil « Risibles Amours ». Étonnant de constater ici l'influence aussi flagrante d'autres cinéastes occidentaux : Federico Fellini par exemple, qui était une référence assumée de Kundera. Ou encore Jacques Tati, pour ces scènes très visuelles, drôles et absurdes, mais qui relèvent sans doute davantage des influences du réalisateur Hynek Bočan, qui s'est pas mal émancipé de la nouvelle d'origine avec son adaptation cinématographique. 

Ce film est moins fort et maîtrisé que « La Plaisanterie » de Jaromil Jireš, qui était un grand cinéaste et qui a bénéficié du scénario rédigé par Kundera en personne. Même si Kundera avait procédé à des coupes par rapport à son roman, et édulcoré un peu son propos, le résultat restait éminemment corrosif.

Ici, le film est plus multiple esthétiquement, et se perd un peu dans plusieurs pistes, quand « La Plaisanterie » était très resserré sur la forme, tout en étant très riche sur le fond. « Personne ne va rire » atténue également la subtilité de la nouvelle d'origine, en modifiant sensiblement le récit et les personnages, même si la trame principale demeure.

Néanmoins, c'est un film réussi, très années 60, à la fois élégant, drôle, léger, mélancolique... et une fois encore très critique du régime communiste, où tout le monde s'épiait, ce qui flattait les plus bas instincts de l'espèce humaine... Il y a tout de même beaucoup de Kundera dans cette histoire et ces personnages, notamment cet anti-héros intellectuel, dandy, misogyne et cynique... Il y a aussi beaucoup de Kafka, écrivain interdit sous l’ère communiste, dans cette dénonciation des rouages absurdes et inhumains de la machine totalitaire, qui s’infiltre partout : au travail, dans la rue, chez soi, dans la tête des gens… 

Quant à Hynek Bočan, c'est un cinéaste peu connu en France, qui a pourtant fait partie lui aussi de la Nouvelle Vague tchécoslovaque, dont il fut même le plus jeune membre : il est d'ailleurs toujours en vie. Il livre un long métrage de qualité, avec plein de moments très réussis. « Personne ne va rire » n'est pas un grand chef-d’œuvre de la Nouvelle Vague tchécoslovaque, mais c'en est une belle pépite méconnue, qui mériterait de bénéficier d’une vraie diffusion en France.

[3/4]

samedi 5 octobre 2024

« La Plaisanterie » (Žert) de Jaromil Jireš (1968)


Incroyable qu'un tel film ait vu le jour sous le Rideau de Fer, tellement il est ironique et insolent, dénonçant les travers du communisme et son hypocrisie, en appuyant fortement son propos. Cela dit, s’il a pu être réalisé en 1968 et sortir en salles en 1969, il est officiellement interdit en 1971… et dans les faits dès 1970. Il a donc été bien assez vite censuré.

En effet, impossible de ne pas comprendre le message complètement anti-communiste de Milan Kundera, dont ce film adapte le roman éponyme. Et comme Kundera s’est acquitté du scénario, le long métrage reflète parfaitement sa pensée. Il dira même que c'est la meilleure adaptation cinématographique qui ait été faite d'un de ses ouvrages.

Il faut dire que la mise en scène de Jaromil Jireš est magnifique. Les prises de vues sont très maîtrisées, et Jireš use d'un art de la distanciation consommé. Le montage est complexe, jouant sur plusieurs temporalités, et stoppe net tout lyrisme dès qu'il commence à s'épanouir. Reflet de la société sous le joug communiste, qui brisait les individus : corps et esprit.

Dans ce film, Kundera et Jireš dessinent le portrait de plusieurs personnages aux trajectoires différentes. Le personnage principal tout d'abord, véritable anti-héros, est un intellectuel nihiliste, qui a eu le malheur de faire une mauvaise plaisanterie sur le régime communiste, ce qui lui attirera de gros ennuis. Les femmes, quant à elles, n'ont clairement pas le beau rôle... L'actrice principale joue une femme particulièrement fausse, en apparence tout entière dévolue à l'idéologie communiste... mais quand ça l'arrange. Plusieurs apparatchiks sont également dépeints, dont certains sont des amis du héros... et le trahissent.

Le personnage le plus touchant, rare figure d'humanité dans ce film très sombre et sans illusions sur la nature humaine, est celui de l'ami musicien du héros. Personnage généreux et fragile, qui symbolise peut-être l'innocence perdue d'une région, la Moravie natale de Kundera, creuset de la culture tchèque, et d'un pays, défiguré par l'idéologie soviétique...

« La Plaisanterie » est un film complexe, multiple. Beaucoup de choses passent par le non-dit. C'est une chance qu'ils soit parvenu jusqu'à nous, témoignage précieux d'une époque terrible... et de la résistance humaine face à l'oppression. Hélas, il semble que l'on n'en ait pas fini avec le totalitarisme et la barbarie...

[4/4]

vendredi 23 août 2024

« City of Darkness » (Jiu Lóng Chéng Zhài·Wéi Chéng) de Soi Cheang (2024)

 

Difficile pour Soi Cheang de porter sur ses seules épaules la survie, voire la renaissance du cinéma hongkongais, qui dépérit année après année depuis la rétrocession à la Chine. Pourtant, le bougre s'en sort plutôt bien, ne serait-ce qu'au niveau de l'hommage à ce cinéma qui a tant brillé par le passé.

Clairement, « City of Darkness » est un film nostalgique qui célèbre une époque révolue, en témoigne la présence de stars des années 80, 90 et 2000 telles que Louis Koo et Sammo Hung. L'intrigue, qui tient sur un post-it, est un simple prétexte. Même si on peut y lire aussi la résistance – au moins culturelle – de Hong Kong face à l'ogre chinois, avec un côté méta.

« City of Darkness » est donc un film mélancolique. Mais aussi graphique et ludique, avec des personnages archétypiques sortis tout droit de la bande dessinée dont le film est adapté, emportant rapidement notre sympathie. Les combats endiablés et inventifs, et quelques personnages charismatiques, permettent donc de passer un bon moment.

Maintenant, n'étant pas un aficionado du cinéma HK complètement délirant et invraisemblable, j'ai été déçu par la pauvreté du scénario et certaines grosses ficelles (c'est quoi ce pouvoir d'invincibilité sorti du chapeau ?!) : il y a un léger arrière-plan politique et social, mais qui n'est jamais creusé, et qui sert plus de décor et de faire valoir qu'autre chose. Censure chinoise oblige, certainement, mais du coup ça réduit nettement la portée et l'aura de ce film, qui fait un peu joujou en toc.

Et puis j'avais l'impression de regarder un film HK des années 1980-90 tourné avec la technologie d'aujourd'hui : l'image est très travaillée, mais les personnages ont toujours cette psychologie ultra basique d'il y a 30-40 ans, avec des grands sentiments clichés (et parfois crypto gay – où sont les femmes ?), qui empêchent de prendre tout ça au sérieux...

Donc pour le côté fun et sympa, et pour l'hommage nostalgique, je mets la moyenne, mais je me sens très généreux... Cela dit, ce genre de film est peut-être préférable aux aliens qui envahissent la Grande Muraille de Chine... C'est dire l'état du cinéma chinois...

[2/4]