Un documentaire très intéressant de Věra Chytilová sur sa consœur et amie Ester Krumbachová, figure centrale de la Nouvelle Vague tchécoslovaque, et pourtant méconnue, réalisé un peu moins de 10 ans après son décès. Ester fut la muse de nombreux cinéastes, mais plus encore, la scénariste de certaines des plus grands films de ce mouvement, comme « Les Petites Marguerites » de Chytilová ou « La Fête et les invités » de son ex-mari Jan Němec.
« A la recherche d’Ester » est dense et complet, balayant la jeunesse d'Ester jusqu'à ses dernières années. On apprend qu'elle fut dès son plus jeune âge très charismatique, embarquant tout le monde dans sa folie créatrice, alors qu’elle provient d’un milieu modeste, avec une mère qui ne l’aimait pas et un père dandy et fantasque. Au sommet de sa gloire, elle a contribué (sans toujours être créditée) à beaucoup des grands films de la Nouvelle Vague. Puis elle a réalisé un unique long métrage, « Le Meurtre de l'Ingénieur Diable » (1970)... avant d'être interdite de tournage et brisée par le régime communiste.
Dans les années 1970 et après, elle a vécu très modestement, en faisant des choses par ci par là, et continuant à contribuer un peu à des films, toujours sans être créditée. Elle a continué à recevoir et rencontrer beaucoup de monde, influençant des générations de Tchèques et de Slovaques jusqu'à son dernier souffle. L’après Révolution de Velours lui a permis d’être réhabilitée, mais sa vie est restée compliquée, tout comme pour les cinéastes de la Nouvelle Vague, dans une Tchéquie et une Slovaquie avec une production de films capitalistes, ces derniers étant particulièrement difficile à monter sans disposer de beaucoup d’argent.
Il était indispensable de rendre hommage à cette femme si talentueuse et à l'importance si déterminante. Il est intéressant d’ailleurs que ce documentaire soit signé de Věra Chytilová. S’il est plutôt classique, certains moments relèvent d’expérimentations formelles typiques de cette cinéaste avant-gardiste et frondeuse. Il est aussi passionnant de voir une artiste rendre hommage à une autre artiste, surtout quand il s’agit des deux figures féminines majeures d’un mouvement si brillant et prolifique. C’est très beau de voir ce témoignage reconnaissant de Věra envers Ester, qui n’occulte rien de ses faiblesses et de ses défauts, mais qui met avant tout en avant sa personnalité lumineuse et si généreuse, ainsi que son inventivité constante. Un an avant sa mort elle travaillait encore sur un film : « Marian », le premier long métrage de Petr Václav (qu’on connaît de nos jours pour « Il Boemo »), contribuant ainsi à lancer de nouvelles générations de cinéastes, même lorsqu’elle était malade et en fin de vie. C’est dire la fougue et la ténacité de cette femme, même si elle traversé beaucoup de moments difficiles.
On avait oublié Věra Chytilová, que l'on redécouvre aujourd'hui et qui redevient une cinéaste respectée et étudiée. Il était temps que l'on redécouvre Ester Krumbachová, l'une des grandes femmes artistes de la Tchéquie et de la Slovaquie. Le Festival Czech-In 2025 a célébré Ester en projetant ce film, dans une salle pleine à craquer. Espérons que ce regain d’intérêt pour la Nouvelle Vague tchécoslovaque, et notamment ses figures féminines, soit durable, car ce mouvement regorge de chefs-d’œuvre intemporels, particulièrement pertinents dans notre monde d’aujourd’hui, alors que la bêtise se répand partout… L’irrévérence malicieuse et les questionnements philosophiques, politiques et sociaux d’Ester et de Věra sont de bons antidotes à la malveillance ambiante.
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