samedi 16 juillet 2011

« La Ligne Rouge » (The Thin Red Line) de Terrence Malick (1998)

    « La Ligne Rouge » annonçait déjà « The Tree of Life », et l'exaspération d'une esthétique au premier abord originale, mais finalement tout à fait consensuelle et tristement plate. Pire, « The Tree of Life » ne fait que redire ce que disait déjà « La Ligne Rouge », les procédés restant les mêmes, et seule l'action changeant de cadre. Toujours ces voix-off qui doublent inutilement les images, cette caméra qui ne sait pas se poser, ces longueurs et cette fin qui n'arrive jamais, ces images de la femme aimée dignes de n'importe quelle pub du moment, cette hauteur philosophique d'où Malick ne délivre finalement que des vérités générales... La première fois que j'avais découvert « La Ligne Rouge » j'étais tombé en admiration devant cette nature sauvage, cet aperçu d'un autre monde enchanteur. Maintenant que je l'ai vu une seconde fois, j'ai eu tout le temps de m'appesantir sur le film en lui-même, sa construction et son propos. Et là, je n'ai vu que défauts, lourdeurs et platitudes. Une galerie de stars qui décrédibilisent totalement le long métrage, d'une car ils sont pour beaucoup mauvais acteurs, de deux car je ne peux réprimer un sourire dès que je vois Travolta ou Clooney à l'écran : je ne peux m'empêcher de penser à Pulp Fiction, à la Scientologie, à un nombre incalculable de navets ou à Nespresso... assez embêtant. D'autre part, dès « La Ligne Rouge » Malick ne savait de toute évidence plus choisir ses plans. Il lui faut beaucoup de temps et d'images pour faire passer une émotion... D'autant que ce qu'il nous dit n'est malheureusement pas à la hauteur de l'attente (sans compter que les plans en question ne s'avèrent pas d'une composition inouïe, loin de là)... Certes on peut relever une certaine approche poétique, si l'on considère le sens à peine caché de son film : peu ou prou la détresse humaine face au mal, la quête de Dieu dans un monde hostile. Sujet ambitieux s'il en est (encore qu'il ne soit guère nouveau), mais qui hélas adopte une forme manquant cruellement de retenue, pour verser dans le grandiloquent et l'épique « à l'américaine » (cherchant à concurrencer sur leur terrain les « Platoon » et autres « Apocalypse Now », dans le genre « film de guerre définitif »)... Viennent aussi de jolies prises de vues évoquant le paradis terrestre, mais elles ne suffisent pas à approcher véritablement le « beau » cinématographique, surtout quand le National Geographic ou Ushuaïa proposent sensiblement la même chose. Bref, en dépit de quelques qualités ici et là, un long métrage dispensable. A voir une seule fois à la limite...

[1/4]

mercredi 13 juillet 2011

« Baby Doll » d'Elia Kazan (1956)

    Grand moment de cinéma! Je n'ai pas le souvenir d'avoir déjà vu un film aussi virtuose d'Elia Kazan, qui nous livre là un sommet de mise en scène cinématographique. C'est bien simple, toute la force de son long métrage, son puissant érotisme, repose sur la suggestion des images, sur la construction du cadre, sur la lumière, sur l'écriture (Tennesse Williams est une fois encore formidable), bref sur les moyens du cinéma, sans jamais rien montrer de racoleur. Un tel film réalisé aujourd'hui tiendrait de l'exploit! D'ailleurs c'est bien simple, je ne crois pas qu'il ait été « dépassé »... Le récit monte lentement en puissance, installant une tension palpable toutefois dès les premiers instants, dans un delta du Mississipi à la chaleur harassante, et au son d'une musique presque lascive. En quelques plans, Kazan installe les personnages et les rapports de force voués à évoluer, dans une atmosphère moite et étouffante, propre à échauffer les esprits. On retiendra le jeu des acteurs, tous excellents et proprement inoubliables! Mais c'est une constante sous la baguette de Kazan, qui réussit comme à son habitude à les pousser jusqu'au bout d'eux-mêmes : Karl Malden par exemple, pourtant habitué de sa « troupe », réussit à nous donner le change en campant un personnage plus fort et ambivalent qu'à l'accoutumée. Mais n'oublions pas Eli Wallach et surtout la jeune et jolie Carroll Baker, à la fois détestable et fascinante femme-enfant. En somme, Kazan réussit une fois de plus à créer une oeuvre intense car violemment contrastée, bouillonnante, avec pourtant trois fois rien, sinon un grand talent de mise en scène, secondé par un fine sensibilité de peintre psychologique. Voilà un film qui redonne foi dans les possibilités du septième art, bien qu'il soit complètement à rebours de la tendance actuelle...

[4/4]

« L'Eternité et un jour » (Mia eoniótita ke mia méra) de Theo Angelopoulos (1998)

    Le cinéma de Theo Angelopoulos est ambitieux, malheureusement le réalisateur grec n'a de toute évidence pas les moyens de ses ambitions. Fait d'autant plus embêtant qu'il franchit le difficile équilibre qui fait d'une oeuvre un simple et joli concentré d'émotion, au point de paraître prétentieux (reproche que je ne formule jamais, mais là...). A vrai dire ses idées sont bien trop explicites pour voiler son envie d'être reconnu par ses pairs et la postérité dans le même temps (semble-t-il)… Ici encore on sent un véritable travail d'écriture, et une admirable maîtrise du cadre. Mais son utilisation excessive du plan séquence discrédite souvent son film, dès lors qu'il sert de transition abrupte avec un autre espace-temps, anémiant l'unité et la vraisemblance de son oeuvre. Angelopoulos veut trop en dire dans ses films, du moins de façon bien trop triviale et emphatique. Son esthétique consensuelle n'en est que l'une des expressions : un peu d'Antonioni (des mauvais jours) ou de Fellini par ci, un peu de Wenders ou de Tarkovski par là, un soupçon d'académisme… N'oublions pas l'arrière plan politique, et voilà une mécanique bien huilée, calibrée pour les festivals (oui je sais, c'est facile, mais néanmoins… avéré). Hélas il manque cette délicate alchimie qui fait d'images, de sons et d'idées une oeuvre d'art, ou tout du moins il manque à Theo Angelopoulos une réelle personnalité artistique. Il manque du mystère, et de la poésie digne de ce nom! Reste Bruno Gandtz, toujours aussi touchant…. Mais c'est bien peu. Beaucoup de clichés et de facilités au final, et la désagréable impression de perdre son temps devant un cinéma d'une fadeur… Il suffit de sortir un peu pour s'emplir les yeux d'images bien plus belles! D'autant que son art est sérieusement concurrencé par la publicité : rappelez-vous celle pour le CNP au son de la seconde valse de Chostakovitch. C'est un peu l'idéal artistique d'Angelopulos, non?

[1/4]

dimanche 10 juillet 2011

« Le Regard d'Ulysse » (To Vlemma tou Odyssea) de Theo Angelopoulos (1995)

    Theo Angelopoulos est davantage un intellectuel qu'un cinéaste à mon sens. Du moins c'est ainsi que je le perçois en le découvrant avec ce long métrage. Comme souvent chez Godard par exemple, il a un problème de concision (d'inspiration?) : 2h30 c'est long. Très long, surtout quand son film est gavé à ce point de références historiques, politiques, culturelles, abondant en seconds degrés, métaphores et autres symboles en tous genres difficilement digestes. Le problème c'est que c'est surtout par les mots qu'Angelopoulos donne du sens et de la profondeur à son film, et de surcroît par des parallèles plus littéraires que cinématographiques : on n'échappe pas à ces personnages-types du cinéma d'auteur, du genre « disons qu'untel est Ulysse et mon film sera d'autant plus puissant ». Facile... Hélas Angelopoulos n'est pas Tarkovski, il lui manque cette force de l'image, et cette personnalité qui en font un artiste digne de ce nom. « Le Regard d'Ulysse » est un beau film, mais il est tout de même très auto-complaisant (la réaction d'Angelopoulos à Cannes est à ce titre révélatrice). On y sent le travail de composition du réalisateur grec, mais on le sent pesamment. Quand chez d'autres on s'émerveille sans comprendre le pourquoi de notre émotion, chez Angelopulos on devrait être ébloui par la richesse de ses plans et de son histoire semble-t-il nous dire... Mais la simplicité est pour moi une vertu, qui n'est malheureusement pas de mise ici. Comme tous ces cinéastes qui pratiquent à tout bout de champ la référence, « Le Regard d'Ulysse » ne devient plus qu'un jeu de citations, manquant cruellement de naturel, et rendant par là même le travail de création d'Angelopoulos tout relatif. Néanmoins il est vrai qu'il est parcouru par de jolies images, et accompagné par une belle musique, signée Eleni Karaindrou. Mais rien de bien transcendant au final... Il semble plus daté qu'un film comme « Le Miroir », réalisé près de 20 ans plus tôt, c'est dire... Et ô combien plus conventionnel! Bref, une déception...

[1/4]

lundi 4 juillet 2011

« Bouge pas, meurs et ressuscite » (Zamri, umri, voskresni!) de Vitali Kanevski (1989)

    Une belle photographie et de beaux plans en extérieur, illustrant l'histoire mouvementée d'un gamin et d'une petite fille livrés à eux-mêmes dans une Russie d'une misère noire... « Bouge pas, meurs et ressuscite » est un film éprouvant, à cause de son sujet traité sur un mode extrêmement réaliste, mais aussi en raison plus simplement de la manière qu'a Kanevski d'utiliser le cinématographe, rendant son film appréciable pour qui sait faire abstraction de la trivialité du propos, de ses personnages qui hurlent continuellement pour se faire entendre quand il ne se flanquent pas dans la tronche une bonne claque tantôt pour manifester leur affection, tantôt pour plaisanter. Assez agaçant à la longue. « Seul atteint à la perfection celui qui renonce à tout ce qui mène vers l'outrance délibérée » disait Paul Valéry, c'est peu dire qu'un tel aphorisme est aux antipodes du ton du présent film... « Bouge pas, meurs et ressuscite » est l'autobiographie filmée de son auteur et réalisateur, Vitali Kanevski. Hommage partiel à « L'Enfance d'Ivan » et aux « 400 coups », il approche nettement plus le second que le premier  malheureusement, tant Kanevski prend le parti de montrer jusqu'au bout les choses plutôt que de les suggérer... A vrai dire il ne pouvait certainement pas faire autrement dans son optique, du moins semble-t-il concevoir la retranscription cinématographique de ses souvenirs uniquement par leur simple reconstitution. Toutefois à son crédit l'on peut mettre ce témoignage édifiant et nécessaire sur la vie de ces enfants violemment maltraités. On peut aussi saluer la prestation des deux protagonistes principaux, la jeune fille, et ce garçon de 14 ans ayant réellement vécu une vie d'enfant abandonné, lui qui est passé plusieurs fois par la prison en dépit de son jeune âge. Si « Bouge pas, meurs et ressuscite » marque tant, c'est surtout parce que c'est une histoire vraie. D'un point de vue artistique, c'est en revanche une oeuvre bien moins mémorable... On y retrouve en effet un certain naturalisme qui n'est pas vraiment pour me plaire... En somme, voilà à quoi ressemblerait à peu de choses près un film de Béla Tarr sans sa virtuosité cinématographique...

[1/4]

« Falstaff » (Campanadas a media noche) de Orson Welles (1965)

«Falstaff» marque à mon sens les limites de la manière de Welles metteur en scène. Le matériau très riche du film aurait dû en faire un chef d’œuvre entre les mains d’un tel cinéaste (Welles considère d’ailleurs ce film comme son chef d’œuvre), mais une mise en scène trop dense, trop envolée, reposant exclusivement sur un montage haché et rapide, peut donner une impression quelque peu brouillonne de l’ensemble. Cette manière n’est pas nouvelle chez Welles, qui nous a habitués à beaucoup de bruit, de vacarme et d’énergie dans sa façon de filmer. Mais ici, cela conduit à une certaine confusion qui submerge le spectateur qui peut se sentir noyer sous le texte, sous la rapidité d’enchaînement des plans et des séquences, et qui tue toute émotion (à l’exception bien entendu de la séquence finale, sur laquelle repose grandement les mérites du film). A partir d’un travail remarquable d’adaptation parallèle et croisée de 4 pièces de Shakespeare, Welles dresse le portrait de Jack Falstaff, gros homme, bon vivant, dont l’imposante carrure cache un être sensible et touchant. Proche ami du prince Hal, futur héritier du trône d'Angleterre, Falstaff est une figure qui représente une certaine conception de la vie festive, de l’innocence préservée, de la générosité du cœur et des sentiments, conception qui s’avèrera en contradiction avec la réalité du pouvoir qu’exercera Hal. Celui-ci devra alors trahir son ami pour accéder au trône, trahir ce père d’adoption et de cœur pour se réconcilier avec son père de sang, le roi d’Angleterre. La figure de Falstaff est alors l’occasion pour Welles d’exprimer sa propre conception de la vie, des relations humaines et d’amitiés, en opposition à l’esprit calculateur et rigoriste d’une certaine modernité. A travers Falstaff, c’est bien sûr Welles qui s’exprime, réalisant au passage sa plus belle prestation de comédien, imposant une présence physique remarquable au personnage. On comprend alors combien ce personnage de théâtre pouvait toucher au plus profond le cinéaste et on rage d’autant plus sur la lourdeur du travail de mise en scène. Réalisé avec peu de moyens, le film est à la lisière entre le beau et le «trop» et se révèle parfois quelque peu assommant. En témoigne parfaitement la scène centrale de bataille, magnifique dans les premiers instants, rappelant le meilleur des batailles de Eisenstein ou de Kurosawa, avant de devenir presque indigeste à force de répétition. Si le procédé rend difficile l’éclosion des émotions, Welles se rattrape largement dans la séquence finale, celle dans laquelle Falstaff prend conscience de la trahison du prince. Le plan séquence qui introduit la scène est superbe, s’achevant sur une vue en contre plongée de Falstaff agenouillé, suppliant le prince. Le regard de Falstaff/Welles est ici saisissant, résume à lui seul le propos du film, un adieu à l’innocence et à l’enfance, et constitue le sommet émotionnel de l’œuvre du cinéaste. On regrette alors à peine le côté quelque peu chaotique de ce qui a précédé.

[2/4]

« Simon Werner a disparu… » de Fabrice Gobert (2010)

Le film nous apprend une chose, de manière décisive : ce n’est pas de côté-ci qu’il faut regarder si on veut chercher le renouveau ou même l’avenir du cinéma français. «Simon Werner a disparu…» est un film d’une médiocrité sans nom, réalisé par un jeune cinéaste qui doit nécessairement avoir pour lui d’être un sacré baratineur et un petit malin. On peut en effet se demander comment Gobert a réussi à obtenir les financements pour réaliser une telle supercherie, mais surtout comment il a fait pour embarquer dans l’aventure Agnès Godard, la photographe attitrée de Claire Denis, et le groupe new-yorkais Sonic Youth… Non pas qu’Agnès Godard ait déjà participé au moindre chef d’œuvre, ou que Sonic Youth soit un grand groupe de musique (ils le furent un jour cela dit), groupe qui s'affirme comme spécialiste des bandes originales de navets français (ils étaient déjà à l’œuvre dans le catastrophique «Demonlover» d’Assayas), mais quand même, quand on voit à quel point le film est de mauvais goût et comment il révèle la futilité du projet cinématographique de Gobert, on peut s’interroger. Pour être plus clair, le scénario n’a rien à envier à un banal épisode d’un quelconque feuilleton télé français pour adolescents pré pubères, avec tous les clichés possibles dans le portrait dressé de la jeunesse lycéenne : le beau gosse, l’homo, la «gothique» et ses cheveux rouges, la bombe du lycée, le fils de prof coincé avec la raie au milieu, etc… Tous ces clichés interprétés par des non-acteurs, certes mauvais, mais en possession d’un texte qui n’est pas là pour les aider (je n’ai pas souvenir qu’au lycée je parlais de mes camarades en citant leur nom et prénom comme le font les ados du film: «Peut-être qu’on devrait aller à la fête de Jérémie Legrand ?»…). Quant à la forme (mais aussi toujours au fond finalement), Gobert cache mal sa fascination pour le gugusse du cinéma indépendant américain, celui qui fait des films à partir de rien, le bien nommé Gus vent Sant et son film palmé «Elephant». On peut même parler franchement de plagiat : Gobert ne se contente pas de reproduire le principe des mêmes séquences remontrées sous différents points de vue mais pousse le vice jusqu’à faire des plans séquences dans les couloirs du lycée en suivant les personnages de dos… Même si le film de van Sant n’était pas un chef d’œuvre, ses plans séquences avaient quand même une autre allure que le pauvre spectacle offert par ce navet. Gobert se rêverait d’être le van Sant français (rêve déjà, en soi, bien attristant et révélateur d’une misère artistique certaine), mais il n’en est qu’un ringard avatar. «Simon Werner a disparu…». Espérons qu’il en sera de même pour Fabrice Gobert à l’affiche de nos salles de cinéma.

[0/4]

dimanche 3 juillet 2011

« Voyage à Tokyo » (Tōkyō monogatari) de Yasujirō Ozu (1953)

    Un chef-d'oeuvre. Voilà ce que l'on peut qualifier sans trop se tromper de perfection cinématographique. Un film qui refuse la dramaturgie traditionnelle et tout effet lacrymogène pour se concentrer sur l'indicible, le temps qui passe, la désintégration de la cellule familiale, la reconstruction du Japon d'après-guerre, le passage d'une génération à une autre, l'isolement, l'amour filial, des sentiments qui peinent à s'exprimer par les gestes ou les mots, un rythme lent et contemplatif... C'est le cours de la vie qu'Ozu dépeint, dans toutes ses contradictions, ses joies et ses peines, avec une subtilité qui force l'admiration : tout n'est que suggestion et retenue, une extraordinaire pudeur. Il est d'ailleurs bien difficile de décrire ce que l'on peut éprouver en tant que spectateur en regardant une telle oeuvre, sinon une sensation de discrète mélancolie, calme et douce, un émerveillement attendri devant la beauté indescriptible de ces plans inimitables, de ces personnages si humains et ce montage si organique... Le « Voyage à Tokyo » fait partie de ces films atteints par la grâce, réalisés par des artistes en pleine possession de leurs moyens, mais s'apparentant à tout sauf à une « démonstration de force ». Le dépouillement, voire l'austérité de la manière d'Ozu surprend au premier abord, mais pour qui se laisse porter par cette façon de faire si simple et si riche à la fois, voilà un film qui promet un moment bien émouvant. La mise en scène est magistrale, cet art de la composition du plan, fait de plein et de vide, est décidément tout japonais, et la façon particulière dont Ozu se sert du cinématographe lui permet de s'attarder sur ce que l'on a tendance à négliger, aussi bien d'un point de vue artistique et visuel, que d'un point de vue sentimental : ici l'affection des enfants envers leurs parents. Le « Voyage à Tokyo » est loin d'être le seul chef-d'oeuvre d'Ozu, à vrai dire nombreux sont ses longs métrages à l'égaler aisément, ce n'est donc pas à proprement parler le sommet de sa filmographie (il était d'ailleurs agacé que l'on puisse en voir le summum de son art, et il n'avait pas tort), mais l'une des multiples réussites qui émaillent sa carrière cinématographique. Incontournable.

[4/4]

samedi 2 juillet 2011

« Pink Floyd : The Wall » d'Alan Parker (1982)

    Il est indéniable que ce film démontre une grande ambition de la part de Roger Waters et Alan Parker. Sa structure même, les thèmes qu'il aborde, les différentes techniques utilisées lui donnent une ampleur certaine. Et il faut bien le dire, son propos reste, du moins pour une part, encore d'actualité, quant à cet enfermement dans une société qui emmure en lui-même l'individu, pour n'en faire plus qu'une sorte de consommateur passif, « confortablement engourdi ». « The Wall » comporte donc d'excellents passages, terrifiants, et qui plus est accompagnés d'une bande-son connue de tous, appréciable dans ses meilleurs moments. Voilà pour les qualités de ce long métrage. Maintenant, si l'on s'attarde sur les défauts l'on ne peut que regretter la surabondance d'effets, de passages outranciers pas du meilleur goût, et autres clichés qui plombent la qualité du film dans son ensemble, qui reste très morcelé en passages différemment réussis... Rien que la bande-son, l'album des Pink Floyd, est inégale : à mon sens c'est loin d'être leur meilleur opus. A l'image du film, il s'agit avant tout d'un concept, et c'est trop souvent l'idée qui prime sur l'art, un regard sur la société et soi-même exprimé avec une certaine acuité, mais qui se fond fort mal dans des images et des sons dénués trop souvent d'une quelconque retenue ou beauté. « The Wall » est très daté : certes les thèmes qui le traversent ont quelque peu traversé le temps, mais son esthétique typique des années 80, sa symbolique franchement lourde, et finalement sa forme en font une curiosité qui vaut le détour, voire un sympathique essai, mais pas grand chose de plus...

[1/4]

vendredi 1 juillet 2011

« Tomboy » de Céline Sciamma (2011)

    Troublant! A défaut d'avoir totalement transformé l'essai, Céline Sciamma nous offre un film fascinant, parvenant à nous tenir en haleine avec trois fois rien 1h 30 durant. En premier lieu, saluons l'interprétation de la jeune héroïne, tout simplement parfaite. La petite fille qui joue sa soeur n'est pas en reste, elle est mignonne comme tout! Mais son « mérite » est tout autre (à cet âge là un enfant n'a guère besoin de « jouer » pour captiver l'attention), la jeune Zoé Héran par contre fait forte impression! Pourtant Céline Sciamma ne force jamais le trait (ou si peu), et tout reste d'un naturel bienvenu. Les autres enfants sont eux aussi bien trouvés, les parents par contre sont un peu moins convaincants, même s'ils restent dans le ton du film. Un film tendre et cruel à la fois, comme l'est l'enfance, laissant planer un suspense continuel : on vit véritablement à travers l'héroïne, et l'on appréhende comme elle les événements. Longtemps après le film, on reste encore interdit face aux nombreuses questions que pose le film, et surtout face au malaise qu'il installe chez le spectateur. La réalisatrice aborde en effet de nombreux aspects de l'enfance dans lesquels on peux souvent se reconnaître, notamment dans tout ce qui touche à l'acceptation de soi et au regard des autres. Céline Sciamma parvient ainsi à installer une atmosphère, à faire vivre ses personnages, et plus encore, à faire de son long métrage davantage qu'une simple bonne idée, grâce à son équipe donc et aux talentueux interprètes, mais aussi par sa jolie mise en scène, simple et sobre. Néanmoins, au vu du sujet et des cartes dans sa main, Céline Sciamma avait de quoi faire un grand film, plus terrible et plus ambigu encore. A vrai dire la trame du long métrage est un peu trop linéaire, sans grande surprise, et l'on attend durant tout le film le moment qui viendra tout bouleverser, pour lui conférer une dimension supplémentaire. Ce moment ne viendra pas, mais ce n'est peut-être pas si mal : l'équilibre du film, déjà fragile, aurait certainement été rompu. Pas un chef-d'oeuvre donc, loin de là, mais un plutôt bon film!

[1/4]