samedi 12 janvier 2013

« Messa da requiem » de Giuseppe Verdi (1874)

    Une œuvre imposante ! Le « Requiem » de Verdi, composé en l'honneur de la mort de son compatriote, le poète Alessandro Manzoni, est très impressionnant. Notamment par le déchaînement des éléments dans son célèbre Dies Irae, qui chante la fin du monde et le jugement dernier. Dans un déferlement de voix menaçantes, de cuivres, de cordes et de percussions, Verdi nous fait dresser les cheveux sur la tête ! Cet air est tout à fait caractéristique de cet opus qui se démarque par sa théâtralité. Certains ont parlé d'opéra religieux à son propos, ils n'ont pas tort. Surtout quand on sait que Verdi était athée. Il semble donc que le compositeur italien ait mis tout son talent à faire briller de mille feux sa messe des morts. Car le Dies Irae n'est pas le seul morceau de bravoure, le Tuba Mirum, avec ses trompettes dissimulées dans les coulisses, puis sonnant héroïquement la résurrection, est lui aussi particulièrement marquant. Tout comme le Rex Tremendae Majestatis (qui porte bien son nom). La théâtralité de ces passages rappelle d'ailleurs celle de certains airs du « Requiem » de Mozart. Néanmoins on ne retrouve pas l'intériorité de l'œuvre de l'autrichien, sa finesse délicate. Pourtant, le « Requiem » de Verdi comporte des moments plus apaisés, comme ce joyeux Sanctus, dont la légèreté annonce presque le « Gloria » de Poulenc, et son malicieux Laudamus Te. D'une grande qualité, bien qu'on puisse regretter un manque certain de sincérité, la messe des morts de Verdi s'achève en beauté par un Libera Me majestueux, autre sommet de l'œuvre. Un classique qu'on savourera de préférence dans la bien belle version de Carlo Maria Giulini, passionnée et pleine de relief.

[4/4]

« La Chaumière indienne » de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (1790)

    « La Chaumière indienne » est un charmant petit conte philosophique. On y retrouve la sensibilité si particulière de Bernardin de Saint-Pierre, épris d'idéal et de vertu. Il s'agit en effet d'un éloge de l'humilité et de la simplicité, face au pouvoir, à la connaissance, et tout simplement à la vie. L'intrigue est simple, archétypique, et pleine de bon sens, comme tout conte qui se respecte. Un docteur anglais, glorieux érudit, cherche à rendre l'humanité plus heureuse en se lançant dans une quête surhumaine : collecter tous les savoirs ancestraux du monde entier, de Paris à Delhi, en passant par le Vatican ou Istanbul, afin de répondre aux questions innombrables de la Société royale de Londres sur le sens de la vie et de son incarnation terrestre. Mais lorsqu'il a recueilli au terme de son long périple une quantité démesurée de connaissances, le voilà qui se met à douter. Que faire de tant d'enseignements ? D'autant qu'ils se contredisent quasiment tous... Et voilà notre pauvre docteur perdu et abattu. Nulle réponse à ses questions! Lorsqu'on lui apprend qu'un brame supérieur, sage parmi les sages, méditant dans son palais, près d'une embouchure du Gange, en Inde, serait le seul au monde capable de résoudre toutes les fameuses questions qu'on lui a chargé de poser, le voilà qui reprend espoir! Et il s'empresse d'aller le visiter. Il ira, bien évidemment, de surprises en surprises, et ses certitudes seront bien ébranlées. Je n'en dis pas plus, je vous invite à prendre le temps de vous plonger dans cette fort belle histoire, qu'on lit en une heure à peine, mais qu'on savoure des heures durant.

[3/4]

« Paul et Virginie » de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (1787)

    Il y a peu, je rangeais ma bibliothèque. Alors que je triais de vieux livres de quand j'étais petit, je suis tombé sur une édition Carrefour (sic) de « Paul et Virginie », de Bernardin de Saint-Pierre, qu'on m'avait offerte étant enfant. Je ne sais pas pourquoi, je me suis dit que ce serait peut-être intéressant à lire. Alors je me suis plongé dedans. Quelle surprise ! C'est un chef d'œuvre ! Bernardin de Saint-Pierre écrit dans un français merveilleux, à la fois simple et limpide mais finement ciselé, d'une réelle beauté. Et que dire de la façon dont il dépeint la nature ! C'était paraît-il son grand talent, en effet, c'est peu de le dire ! Mais n'oublions pas non plus la finesse avec laquelle il décrit les sentiments, notamment de ses deux jeunes héros ! « Paul et Virginie » est un roman qui exalte la vertu, d'une façon tellement sincère, presque enfantine... Dans un décor paradisiaque (l'ouvrage est construit comme le magnifique film « Tabou » de Murnau), Paul et Virginie vivent avec leurs mères respectives, bannies de la société française. Nous sommes dans l'Île de France (aujourd'hui l'Île Maurice), à la fin du XVIIIème siècle, et Bernardin de Saint-Pierre est épris de la philosophie de Jean-Jacques Rousseau. Paul et Virginie, vivant à l'écart de la civilisation, sont en effet la bonté même. Ce sont les hommes et leurs froids calculs qui viendront semer le désordre et la désolation. Vraiment quelle surprise de trouver là l'un des plus brillants écrivains de son temps, et même l'un des plus brillants écrivains français ! Car comme le fait si bien remarquer la note biographique insérée en fin de mon édition, « Paul et Virginie » est une « idylle morale et mélancolique, évitant la fadeur et la déclamation ». Préfigurant le romantisme sans annoncer ses travers, « Paul et Virginie » est une œuvre intemporelle et remarquable.

[4/4]

mercredi 9 janvier 2013

« La Colline aux coquelicots » (Kokuriko zaka kara) de Gorō Miyazaki (2012)

    Un joli film, à des années lumières du premier long métrage du fils de l'illustre Hayo Miyazaki. On pouvait craindre le pire du successeur des « Contes de Terremer », pas loin d'être un caprice désincarné de « fils de », illustré avec brio par un studio de talent mais paresseusement réalisé par un cinéaste indigne de ce nom. Ici, nous avons le droit à une œuvre accomplie, certes sans grand éclat, mais d'une facture fort appréciable. Remercions Miyazaki père, car c'est bien grâce à lui que « La Colline aux coquelicots » a un semblant d'âme. Il n'a décidément pas son pareil, scénaristiquement parlant, pour donner chair aux gestes du quotidien, et rendre digne d'intérêt une histoire d'amour plus que platonique, car n'aboutissant pas à l'écran (c'est ce qui fait tout son charme). Il se rapproche en cela d'Ozu, et de la finesse de sa façon de peindre les sentiments les plus subtils avec de légères touches de pinceau. « La Colline aux coquelicots » nous conte la naissance d'un amour entre deux lycéens, au début des années 60. Bien que basée sur l'imagination et volontairement non réaliste, la représentation de l'époque est très bien recréée, sans passéisme, et sert surtout d'écrin à cette histoire diaphane. Car au risque de me répéter, l'intrigue de ce long métrage manque un peu de saveur. Gorō Miyazaki ne m'a donc pas encore totalement convaincu, il lui reste un long chemin à parcourir avant d'arriver à la hauteur de son père. Pourtant, bien que le scénario soit tout à fait linéaire et la réalisation peu inventive, ou plutôt grâce à cette sobriété qui contraste avec l'outrance de son précédent essai, Miyzaki fils commence à trouver ses marques. L'alchimie a pris, et « La Colline aux coquelicots » mérite bien le nom de film. Rien de bien transcendant pour l'instant, mais une affaire à suivre.

[2/4]

samedi 5 janvier 2013

« Merlusse » de Marcel Pagnol (1935)

    Un film simple, maladroit mais touchant. « Merlusse » est l'histoire d'un pion à l'allure féroce, surtout avec son œil en moins, et qui fait peur aux enfants. Il est de garde dans un internat de lycée la nuit de Noël, et les élèves en sont horrifiés. On raconte tout plein d'histoires à son sujet, qu'il aurait donné des punitions terribles aux enfants turbulents ! Mais derrière une apparence ingrate se cache un cœur d'or. « Merlusse » est un véritable petit conte de Noël et sur l'enfance. Oh ce n'est pas du grand cinéma (encore qu'il soit de qualité), la grammaire cinématographique de Marcel Pagnol est d'une simplicité extrême et ne brille pas par son inventivité, mais nul besoin d'en faire des tonnes pour délivrer un aussi beau message. Saluons le jeu des acteurs, en particulier du personnage éponyme, incarné avec talent par Henri Poupon. La preuve qu'il n'est pas nécessaire de faire de longs films (celui-ci dure une heure) pour raconter une histoire intéressante et accomplie. La preuve aussi du talent certain de scénariste de Marcel Pagnol.

[2/4]

« Angles » de The Strokes (2011)

    A la première écoute, j'ai trouvé que « Angles » était un album très moyen, pour ne pas dire raté. Mais j'ai peu à peu révisé mon jugement, au fil des écoutes. A vrai dire, il est très différent de ce qu'avait réalisé le groupe new-yorkais jusque là. Beaucoup moins « fun », beaucoup plus théâtral et tourmenté, plus mûr également. Quelques chansons sortent particulièrement du lot par leur cohérence et leur niveau d'aboutissement mélodique : You're So Right et son atmosphère étouffante, Games, assez inventive et bourrée d'électro utilisée, une fois n'est pas coutume, à bon escient, et Metabolism et son ambiance de fin du monde (ou presque). L'ensemble des chansons, tantôt (faussement ?) enjouées, tantôt sombres à l'excès, semblent marquer un tournant dans l'esthétique du groupe. En effet, « Angles » marque par son ton désenchanté et mélancolique. « Living in an empty world », répète Julian Casablancas dans Games, « I wanna be somebody / Wanna be somebody like you  / Like you, like you / Like you, instead of me » chante-t-il dans Metabolism... « Angles » est certainement l'album le plus torturé (aussi bien au niveau de la musique que des textes) du groupe, mais c'est ce qui lui donne une certaine saveur, bien plus marquante que le long et qualitativement dilué First Impressions of Earth.

[3/4]

mardi 1 janvier 2013

« Sous le signe du Capricorne » (Sotto il segno del capricorno) d'Hugo Pratt (1971)

    « Sous le signe du Capricorne » rassemble six aventures de Corto Maltese. Elles se déroulent toutes en Amérique du Sud, du côté de la Guyane hollandaise, du Brésil, dans les Antilles et au Honduras. Nous retrouvons ainsi notre gentilhomme de fortune, fraichement revenu de Mélanésie (cf. « La Ballade de la mer salée »). Il fera la rencontre du jeune Tristan Bantam, de sa demi-sœur, Morgana, du professeur Steiner de l'université de Prague et retrouvera Bouche Dorée, magicienne vaudou. Il croisera des guérilleros opprimés par les colons marchands d'esclaves, et se lancera à la recherche de trésors perdus. « Sous le signe du Capricorne » est un album typique des aventures de Corto Maltese. Dans la droite lignée de Stevenson, Jules Vernes ou Conrad, Hugo Pratt nous offre un mélange d'exotisme, de tribulations trépidantes, de folie, de magie, de courage et de lâcheté. Il nous dépeint la destinée singulière d'un homme semble-t-il béni des dieux, flegmatique héros épris de liberté et perdu dans un début de siècle fiévreux. « Ce que tu cherches n'existe pas » dit Bouche Dorée à Corto. Ces quelques mots illustrent à merveille la quête presque métaphysique de ce héros de papier, qui d'aventures en aventures cherche à fuir quelque chose pour autre chose. Est-ce l'amour ? Le bonheur ? L'absolu ? Tout cela à la fois sans doute. Dans un beau noir et blanc, le trait encore un peu hésitant (Corto n'en est qu'à ses débuts), Hugo Pratt nous livre là une fois de plus un classique du genre.

[4/4]

Citation du mardi 1er janvier 2013

« Ce qui est démocratique, c'est à faire du petit cercle de connaisseurs un grand cercle de connaisseurs. »
Berthold Brecht
(Observation de l’art et art de l’observation – 1935-1939, Considérations sur les arts plastiques, Ecrits sur la littérature et l’art, tome 2)

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Bonne année !




lundi 31 décembre 2012

« Les Celtiques » (Le Celtiche) d'Hugo Pratt (1980)

    « Les Celtiques » est l'un des plus jolis albums des aventures de Corto Maltese. Il faut dire qu'il fait la part belle au rêve et aux mythes (en l'occurrence celtiques). Cet album regroupe quatre histoires. La première, « Concert en O mineur pour harpe et nitroglycérine », raconte les difficultés d'un groupe de l'IRA, aux prises avec les britanniques, en 1917. Il y est question d'honneur et de honte, d'héroïsme et de lâcheté, d'idéaux pour certains déchus, pour d'autres toujours vivants, et de rébellion contre l'oppresseur. La seconde histoire, « Songe d'un matin d'hiver », très poétique, figure la lutte des créatures enchantées celtiques contre l'envahisseur germanique. Nous sommes en effet pendant la Première guerre mondiale, et Obéron, roi des elfes ou des fées, c'est selon, apparaît à Stonehenge, inquiet du devenir des légendes de son pays. Entouré de la fée Morgane, de Merlin réveillé du sortilège jeté sur lui par Viviane, et de Puck,  espiègle lutin, il choisit un dormeur alangui au pied d'un rocher, notre ami Corto Maltese, pour délivrer l'Angleterre de la menace allemande. Notons la richesse et la beauté de l'illustration d'Hugo Pratt, qui fait de cet épisode l'un des sommets graphiques de son œuvre, avec la quatrième histoire de ce recueil. Vient ensuite « Côtes de Nuits et roses de Picardie ». Un passage narrant les exploits de l'aviateur Manfred von Richthofen, le fameux Baron Rouge. Aux commandes de son triplan rouge sang, il décime en effet les troupes alliées et domine le ciel picard. L'album s'achève avec « Burlesque entre Zuydcoote et Bray-Dunes », l'histoire d'un marionnettiste un peu fou et de sa protégée, l'envoûtante chanteuse Mélodie Gaël. Dans une atmosphère mystérieuse, un incident survient, alors que Corto retrouve son ami Caïn Groovesnore, apparu pour la première fois dans « La Ballade de la mer salée ». Ce bref récit est lui aussi illustré de main de maître, onirique à souhait, nous gratifiant d'une historiette captivante. Je ne saurait donc trop vous recommander cet ouvrage, comptant parmi les meilleurs réalisations du maestro italien.

[4/4]

vendredi 28 décembre 2012

« L'Été de Kikujiro » (Kikujirō no Natsu) de Takeshi Kitano (1999)

    Quand je pense à un film de Kitano, je pense souvent à l'été, au soleil irradiant, à la chaleur. Peut-être encore plus avec « L’Été de Kikujiro », qui est même pour moi le film des grandes vacances par excellence. Rares sont les long métrages à avoir saisi d'une aussi bonne manière ce temps particulier, dilaté, étiré à l'extrême des vacances d'été, où ennui, amusement et oisiveté s'entremêlent subtilement, où l'on veut goûter chaque seconde du temps qui passe sans y parvenir totalement.

Et quoi de plus frappant pour matérialiser ce moment si singulier que de mettre en scène un enfant qui ne peut pas partir en vacances ? Le petit Masao a en effet été abandonné par ses deux parents et est élevé par sa grand mère. Le jour des vacances, il se retrouve totalement démuni : ses amis partent l'un après l'autre avec leurs parents, le club de foot est fermé... Que faire ? Masao tourne en rond et est triste : il devra rester chez sa grand mère. Autrement dit, il n'aura pas de vacances...

Alors il décide de rejoindre sa mère. Il n'a que quelques photos et une adresse pour indices, il prend son sac à dos et un peu de monnaie et il part, sans prévenir personne. Heureusement, par un concours de circonstances, un couple ami de la grand mère de Masao le croise sur son chemin et décide de prendre le garçon sous son aile. Il incombe alors au mari d'emmener le petit en vacances et notamment chez sa mère.

En résulte un drôle de voyage initiatique, sorte d'anti-« Voyage de Chihiro ». En effet, le mari, le fameux Kikujiro éponyme, est un ancien yakusa et est plutôt une brute épaisse qu'un bon père de substitution. Masao va ainsi vivre des moments éprouvants avec Kikujiro, ce dernier ne se souciant guère de l'enfant au début, préférant l'exploiter au maximum, Kitano usant à cette occasion d'un humour noir et acerbe totalement décalé.

Mais peu à peu, la relation entre Masao et Kikujiro va évoluer. Ce dernier va progressivement gagner en humanité et s'attendrir aux côtés du jeune garçon. Ainsi, par la façon dont Kitano construit son récit, de personnage de second plan, Kikujiro va devenir le vrai héros de ce film, ou tout du moins à part égale avec Masao. Le long métrage ne sera donc pas tant l'histoire des vacances étonnantes de Masao que le récit de la transformation progressive de Kikujiro en être doué d'un cœur, capable d'aimer.

A ce titre, « L’Été de Kikujiro » est un film particulièrement touchant et rafraichissant. Il y a beaucoup d'humour dans ce long métrage, mais aussi beaucoup de poésie. Si le rythme lent et contemplatif et le ton burlesque peuvent désarçonner (j'étais complètement passé à côté du film la première fois que je l'ai vu), ce long métrage est l'un des meilleurs de Takeshi Kitano... et même l'un de ses tous meilleurs. Un film pour les adultes qui n'ont pas oublié l'enfant qu'ils furent un jour.

[3/4]