mercredi 19 juin 2013

« La Chinoise » de Jean-Luc Godard (1967)

    Gloire à Mao, le Grand Timonier ! ¡ Viva la revolución ! Qu'est-ce que « La Chinoise », sinon un petit cours de marxisme-léninisme à usage d'étudiants en mal de sensations et dont la vie semble dénuée de sens ? Sinon un petit pamphlet juvénile d'un bourgeois qui culpabilise de sa situation pour le moins aisée (Godard pour ne pas le citer) ? Si Tonton Jean-Luc dénonce avec raison la société de consommation (ou « de prostitution » comme il l'appelait dans « 2 ou 3 choses que je sais d'elle »), que dire de sa pensée plus qu'étriquée dans son carcan politico/économico/social d'un rouge sanglant ? Je ne peux résister à la tentation de vous offrir un florilège de la pseudo-pensée du pseudo-penseur qu'est « le plus con des Suisses pro-Chinois » (ce n'est pas de moi), c'est-à-dire des extraits des pseudo-dialogues du film. « On est obligé de chercher notre idéal à des milliers de kilomètres, à Pékin »... « Les universités qui sont fermées [en Chine], moi je trouve ça formidable! […] Pour le moment les étudiants sont aux champs et font des travaux manuels »... « Tous les chemins mènent à Pékin »... Le tout avec la chanson « Mao Mao » en fond sonore et le Petit Livre rouge en 10 000 exemplaires dans la bibliothèque de Wiazemsky, en arrière plan la moitié du long métrage. Si on n'avait eu vent des horreurs du régime communiste chinois, ou même du régime soviétique russe, et si la majeure partie de l'intelligentsia française de l'époque n'avait cautionné les atrocités de tels gouvernements, on pourrait presque en sourire... Même Godard doute de sa démarche, et laisse Francis Jeanson dire à Anne Wiazemsky, qui veut fomenter un attentat : « à quoi ça sert d'aller tuer des gens si tu ne sais pas ce que tu feras après ? ». Un des très rares éclairs de lucidité qui traversent le film. Parce qu'à un autre moment (chassez le naturel il revient au galop), Godard a grand peine à concéder que la mort de Staline fut une libération... Un peu fort de café, non ? « Mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ? Parce que je n'existe pas », se répondent deux voix. Mais si devrait dire Dieu (selon Godard), j'existe, mon nom est Mao! Oh oui Mao, toi le pur parmi les purs, le Rouge parmi les Rouges! Et toi, Sade, ô toi le parangon même de la vertu, ressuscite donc d'entre les morts! Et toi, Jean-Paul (Sartre pour les intimes), ô toi grand génie stérile (le stérile c'est de moi), viens illuminer mon cerveau de ta pensée! Voilà ce que crie Tonton Jean-Luc à travers ses images, d'ailleurs, criardes. Mais rien ne sourd d'autre que le vide, le néant, tant du film que de la pensée de Godard. Finalement, comme ce volet qui se referme de l'intérieur à la fin du long métrage, l'art de Godard aboutit à une impasse, il n'ouvre sur rien d'autre que lui-même et le nombrilisme aigu de son auteur.

[0/4]

vendredi 14 juin 2013

« L'Annonciation de Cortone » (L'Annunciazione di Cortona) de Fra Angelico (1434) et « L'Annonce faite à Marie » d'Arcabas (?)

 Fra Angelico, L'Annonciation de Cortone, (1433-1434)

* * *

Arcabas, L'Annonce faite à Marie, (deuxième moitié du XXe siècle)
© ADAGP, Paris 2013

    Fra Angelico et Arcabas sont deux peintres d'art sacré. Le premier, religieux dominicain italien, est l'une des figures de la peinture occidentale du Quattrocento. Le frère angélique avait un « talent rare et parfait » nous dit Vasari, célèbre biographe des plus grands peintres de la Renaissance. Ses peintures sont en effet d'une luminosité radieuse et d'une douceur sans pareille. Il célèbre par son art la beauté de l'homme et de la femme : comment ne pas être ému par la finesse avec laquelle il dépeint les traits humains ? Un autre de ses grands talents est la maîtrise des couleurs : son bleu est magnifique, profond, son rouge est vif et splendide, et le doré vient rehausser l'éclat de ses toiles et de ses fresques.

    Arcabas est un artiste contemporain français, né en 1926, en Lorraine. Établi aujourd'hui en Isère, il réalise aussi bien des toiles que des vêtements, des sculptures ou des vitraux. Tantôt profane tantôt religieuse, son œuvre est toute entière traversée par le sentiment du sacré de la Création. C'est donc avec une joie communicative qu'Arcabas représente les figures bibliques traditionnelles, l'être humain, mais aussi des scènes du quotidien, ou même son état et son atelier d'artiste. Surnommé parfois le peintre de l'âme, c'est en toute modestie qu'il apporte sa pierre à l'édifice de la peinture occidentale, et fait à ce titre figure d'exception dans le morne paysage de l'art contemporain, qu'il soit d'ici ou d'ailleurs.

    Les deux œuvres que je tiens à présenter conjointement me tiennent toutes deux à cœur. Ce sont en effet deux sommets de l'art de leurs auteurs, deux façons de faire totalement différentes (quoique ne manquant pas de points communs, nous le verrons) mais tout aussi inspirées et réussies. Ces deux tableaux évoquent la même scène, tirée de la Bible : l'Annonce faite à Marie qu'elle enfantera Jésus.

1) Le contexte

     a) Fra Angelico

    L'Annonciation de Fra Angelico naît à une époque ou l'art occidental prend son essor. En 1434, nous sommes au début de la Renaissance, l'homme devient le centre de l'univers : Erasme ou Galilée ne sont pas encore nés, les Amériques ne sont pas encore découvertes, mais déjà l'ordre du monde est chamboulé. L'humanisme est né à la suite de Pétrarque, et Giotto a révolutionné la représentation picturale occidentale. La perspective fait son entrée dans la peinture, et Fra Angelico effectuera la synthèse des avancées techniques les plus récentes et de la tradition de l'art occidental.

    Fra Angelico est le contemporain de Cosme de Médicis, riche mécène fondateur de la dynastie éponyme, et fera son apprentissage à Florence. L'Italie est alors l'un des pays les plus florissants d'Europe, et Florence, l'une des villes les plus prestigieuses. Mais Fra Angelico fut certainement marqué tout autant par Thomas d'Aquin, tout bon dominicain qu'il était, et donc par la scolastique.

    On retrouve en effet dans l'art de Fra Angelico l'expression pourrait-on dire des théories esthétiques du docteur angélique. C'est indubitablement le maître de l'harmonie, de la perfection, de la clarté des formes et des couleurs.

    b) Arcabas

    Arcabas est quant à lui un homme du XXème siècle. Enrôlé de force à 17 ans dans la Wehrmacht, par les Allemands qui ont annexé la Lorraine, il s'échappe pour regagner Paris et s'inscrire aux Beaux-Arts. Mais plus qu'à l'Académie, c'est sous l'égide de son maître Clément Kieffer, côtoyé plus jeune, qu'il apprend son métier de peintre.

    Marqué par les deux Guerres mondiales, le XXème siècle est celui de l'effondrement de l'art. Si l'on ne peut nier la présence de paillettes d'or, notamment dans le cinéma, le nihilisme et la désespérance la plus sombre caractérisent ce siècle, à l'opposé de l'éclat et de l'enthousiasme de la Renaissance.

    Et pourtant, Arcabas a réussi à produire une œuvre vive, colorée, chatoyante, joyeuse, pleine d'espoir et d'humanité. Croyant inlassablement en la beauté (contrairement à nombre de ses contemporain gênés par ce mot), le peintre français s'inspire aussi bien de Piero della Francesca que de Picasso. Il a ainsi assimilé une autre révolution picturale, celle de l'art abstrait et du cubisme, sans pour autant se laisser dominer par cette approche singulière.

2) Le sujet

    L'Annonciation est ce passage de la Bible où l'ange Gabriel vient visiter Marie pour la prévenir qu'elle enfantera un fils du Seigneur : Jésus. Promise à Joseph, ne sachant pas comment une telle chose peut être possible, Marie est surprise, mais elle accepte la volonté de Dieu. « Je suis la servante du Seigneur », lui répond-elle.

    C'est un passage clé des Écritures, où Marie fait preuve d'audace et de confiance dans la capacité du Seigneur à vouloir le bien et à faire l'impossible. Marie devient alors la figure de la mère, qui se réjouit à l'idée d'être enceinte, mais aussi celle de la femme, courageuse face aux épreuves de la vie. Joseph est en effet son époux, et il peut la répudier s'il découvre qu'elle attend un enfant qui n'est pas de lui. Averti en songe, Joseph décidera finalement de garder Marie comme épouse, et élèvera Jésus comme son propre fils.

    Voici un extrait de Wikipédia, qui explique bien la symbolique à l’œuvre dans les traditionnelles représentations picturales de l'Annonciation :
 
« Bien qu'aucun des Évangiles ne mentionne ce que faisait Marie au moment de l'Annonciation, deux traditions picturales se sont dégagées néanmoins dans l'art chrétien : dans la première et la plus ancienne, qui est essentiellement illustrée par le christianisme oriental, Marie est représentée filant de la laine. En revanche, dans de nombreuses représentations de l'Annonciation de l'art occidental, particulièrement depuis Duccio qui est le premier à adopter cette iconographie, Marie est représentée généralement avec un livre ouvert à la main. Le livre, que Marie tient à la main, traduit son origine lettrée et donc sa connaissance des Saintes Écritures : Marie est le modèle de la confiance en Dieu par excellence. Saint Bonaventure identifie le passage lu comme les prophéties d'Isaïe, qui annoncent justement la venue du Christ. »

3) Analyse conjointe et comparaison

    a) Les lignes de force, la structure

    Hasard ou non, les deux tableaux d'Arcabas et de Fra Angelico sont symétriquement opposés en ce qui concerne leur organisation. Marie est à droite chez Fra Angelico, et à gauche chez Arcabas. Pour autant, l'ange Gabriel et Marie sont dans les deux cas à la même hauteur, comme pour instaurer un dialogue.
 
    Dans les deux tableaux, l'ange a une posture humble : il est courbé chez Fra Angelico, et pose un genou à terre chez Arcabas. Le groupe formé par Gabriel et Marie est plus dense chez Fra Angelico : la ligne de force que représente le corps de l'ange est quasiment verticale et forme avec celui de Marie une sorte de triangle homogène.


    Chez Arcabas, en revanche, le corps de l'ange amène directement le regard vers le visage de Marie. 


    Chez Fra Angelico il y a donc deux personnes qui conversent, l'ange qui annonce à Marie qu'elle va enfanter un fils de Dieu, et Marie qui accepte le souhait de Dieu qu'elle soit mère (cet échange est d'ailleurs matérialisé par les paroles d'or émanant de Gabriel et de Marie). Chez Arcabas, l'ange est là pour Marie, tout son être de messager est tourné vers la destinataire de la parole de Dieu, la future mère de Jésus. Il sert davantage d'intermédiaire, et malgré sa taille imposante, il se met au chevet de Marie.

    Notons qu'à la différence d'Arcabas, le tableau de Fra Angelico présente d'autres personnages, Adam et Ève, chassés du jardin d’Éden. La perspective du bâtiment, à gauche du tableau, dirige notre regard vers eux.


      b) Les attitudes des personnages

   Les personnages de Fra Angelico adoptent tous deux une attitude qu'on pourrait qualifier d'harmonieuse à la perfection, de sublime. L'ange pointe d'un doigt le ciel, de l'autre Marie, signe qu'elle sera visitée par le Seigneur. Il a une posture de messager, d'humble serviteur, pourtant irradiant de beauté. Marie fait un geste d'acceptation et de soumission, mais quel geste! Rien de déshonorant, de servile, de contrit : un geste d'acceptation douce et sereine, joyeuse même. Gabriel est pour sa part presque humain, tout aussi incarné que Marie. De larges auréoles dorées entourent leurs visages.

    Chez Arcabas, l'attitude est tout autre. Ici Marie est quelque peu surprise, son air est interrogatif : elle était en train de lire les Écritures. On sent l'irruption de l'ange dans sa vie, dans son quotidien. Sa tête est donc détournée du livre, et sa main, arrêtée dans une pose peu naturelle, vient accentuer cet air surpris. Marie est ici beaucoup plus spontanée, moins hiératique. Le tableau est indéniablement plus moderne. Gabriel, quant à lui, est irradiant de feu. C'est davantage un esprit que chez Fra Angelico. Notons que chez Fra Angelico aussi, Marie semblait en train de lire (un livre est posé sur sa jambe droite).

    c) Les traits

    Chez Fra Angelico, on lit la sérénité, la bienveillance, l'amour sur le visage de ses personnages. Les traits de Marie et de Gabriel sont extrêmement fins, et de toutes les Annonciations qu'il a peintes, c'est sans doute celle qui présente les visages les plus harmonieux (au diapason de la beauté de l'ensemble). Les mains elles aussi sont très fines, désignant délicatement le ciel et Marie pour l'ange, et celles de la Vierge doucement posées sur ses épaules, en signe d'humble soumission.

    Chez Arcabas, Marie est beaucoup plus présente, franche, mais tout autant dans une attitude d'acceptation, quoique mêlée de surprise. Son visage semble dire sa volonté de suivre le Seigneur, dans la même joie que chez Fra Angelico. L'ange, quant à lui, a un regard plus intense. Arcabas utilise une de ses techniques favorites, reprise du cubisme et de Picasso : deux yeux côte à côte chez un personnage de profil, qui défient les lois de la nature, pour mieux signifier la force du regard de l'ange. Son visage enflammé traduit à la fois sa nature divine, spirituelle, et la vivacité du message qu'il porte à Marie.

    d) Les couleurs

    On retrouve chez Fra Angelico et chez Aracabas des codes de couleurs traditionnels. Ainsi Marie est peinte en jaune, rouge et bleu chez les deux artistes, comme dans nombre de tableaux occidentaux représentant le personnage de la Vierge. Notons que Marie et Gabriel sont tous deux blonds chez Fra Angelico, d'une blondeur presque irréelle, divine.

    Ce qui diffère, en revanche, c'est tout d'abord la figuration de l'ange. Gabriel ressemble plus à un humain chez Fra Angelico, et sa robe est de couleur rose pale, couleur assez neutre mettant en valeur la splendeur des vêtements de Marie, peu sophistiqués (quoique bordés de doré) mais lumineux.

    Chez Arcabas, Gabriel est doré et gris bleu. Difficile de séparer son être de ses habits, ce qui fait de lui un esprit évanescent, immatériel, vaporeux, au contraire de Fra Angelico.

    Le décor est plus riche chez Fra Angelico que chez Arcabas : nous sommes dans une sorte de palais, sous une voûte étoilée d'un bleu noble, tandis que l'on aperçoit un jardin clos, symbole traditionnel de la virginité de Marie, au vert plein d'espérance. Des roses, signes de l'immaculée conception de la mère de Jésus, semblent y pousser au fond. A l'intérieur du bâtiment, de riches draperies entourent Marie, et mettent en valeur la scène, la meublent, quoique discrètement.

    Chez Arcabas, le décor est réduit à l'extrême, abstrait. Seul un carrelage noir et blanc fait office de plancher, sous un fond rouge.

Conclusion

    Nous avons ici affaire à deux chefs-d’œuvre de la représentation picturale occidentale, merveilles de composition et d'imagination. Arcabas est ici particulièrement inspiré, très original (comme pour nombre de ses réalisations), tandis que Fra Angelico atteint des sommets d'harmonie et de beauté. Arcabas n'est pas en reste ceci dit : Marie et Gabriel sont magnifiques, l'une est très belle, très féminine, l'autre est flamboyant.

    Ces tableaux dépeignent des sentiments très subtils : la libre acceptation de Marie de suivre le Seigneur, l'annonce qu'elle enfantera un fils à l'avenir extraordinaire. Ces œuvres respirent la confiance, la joie, la sérénité, dans une grande simplicité. Nous sommes loin de l'exubérance baroque! Et pourtant, c'est splendide : nul besoin d'en faire trop. Il faut dire qu'Arcabas et Fra Angelico sont des maîtres : en quelque traits bien choisis, ils parviennent à représenter l'indicible.

    Malgré la distance temporelle qui les sépare, Arcabas et Fra Angelico partagent ainsi une même vision de l'homme, distinguée, pleine de bonté et d'espoir. On retrouve dans leurs œuvres respectives une même sensibilité particulièrement délicate, au service de représentations principalement inspirées par la Bible. Une façon de rafraichir les images si riches des Écritures, de se les approprier pour mieux en faire ressortir toute la beauté.

[4/4]

dimanche 9 juin 2013

« Alamar » de Pedro González-Rubio (2009)

    « Alamar » est un film simple et sobre, malgré son esthétique un peu tendance (caméra portée, passages rétro style film de vacance...). C'est l'histoire d'un couple divorcé, d'un père qui emmène son fils avec lui en vacances dans une cabane sur pilotis perdue sur la mer, aux côtés de son grand père. Les protagonistes évoluent en fait sur le récif corallien de Chinchirro, dans les Caraïbes. Il faut louer la science du cadrage du réalisateur mexicain, qui nous réserve de magnifiques plans marins, d'animaux, ou même de ses héros, faisant la part belle à la contemplation. La bande-son est tout aussi discrète et soignée. En revanche, l'auteur-réalisateur pèche plus du côté du scénario, qui brille par sa quasi absence. De l'aveu même de Pedro González-Rubio, « Alamar » est un plaidoyer pour la sauvegarde du massif corallien, et tient donc davantage du documentaire que de la véritable œuvre d'art. On peine en effet à s'identifier à ces personnages (sauf au petit garçon, très bien interprété, tout à fait candide et curieux au contact de la nature), notamment à ce grand-père très bavard qui ne dit finalement pas grand chose d'intéressant. A la mesure de tout le film. Le cinéaste n'approfondit pas la relation filiale qui prend un nouveau tour entre le père et le fils qui se retrouvent loin de la mère, brièvement évoquée au début du long métrage. On peut louer la retenue de González-Rubio, mais comment ne pas y voir un certain manque d'âme ? Un film en demi-teinte donc, relativement joli, mais manquant cruellement de saveur.

[1/4]

samedi 8 juin 2013

« Modern Vampires of the City » de Vampire Weekend (2013)

    Dans une époque en quête de héros, Vampire Weekend figure (pour le moment) au firmament de la critique musicale indie/hipster/bobo/cool du jour. Mais que vaut vraiment « Modern Vampires of the City », au-delà de sa pochette à la photographie énigmatique ? Malheureusement, pas grand chose... voire rien du tout. A l'image de tout un pan de la musique d'aujourd'hui, le dernier album de Vampire Weekend est d'une fadeur sans nom. Pale resucée de la pop des 60 dernières années, leur « art » n'a rien digéré. Il recrache des tics (ici une ligne de batterie copiée-collée de U2, là des vocalises africaines), des attitudes, pose, mais ne propose rien de musicalement consistant. Mélange disgracieux d'influences plus ou moins avouables, musique sans goût et sans force, horriblement molle et consensuelle, la façon de faire d'Ezra Koenig et compagnie ne restera pas dans les annales. A vrai dire le seul moment réussi et admirable de leur dernier opus est cette marche harmonique, directement inspirée de l'illustre Jean Sébastien Bach, dans le morceau Ya Hey. Mais... cette chanson est horriblement laide avec ces voix trafiquées de bébé que l'on étrangle... A l'image de la musique des New-yorkais, c'est d'un goût plus que douteux. Quel dommage que leur paresse musicale! Ils se contentent vraiment du strict minimum. Et que dire des paroles! Vampire Weekend est juste un groupe de bobos mondains blasés de la vie à même pas 30 ans... Ils n'ont strictement rien à dire, et l’étalent 40 minutes durant dans leurs chansons. Tristement insignifiant.

[0/4]

Citation du samedi 8 juin 2013

« Comme tout artiste honnête, [John Ford] sait qu’on ne peut justifier ce qu’on met à l’écran ni par l’efficacité ni par les intentions, mais par la qualité d’un regard qui engage le regard du spectateur. Ce n’est pas la caméra qui regarde, c’est l’être humain, parce qu’il réfléchit ce qu’il voit. L’œil voit mais c’est l’âme qui regarde. Et c’est l’âme qu’il faut combler, non l’œil. »

Jean Collet 
(John Ford. La violence et la loi, 2004)

jeudi 23 mai 2013

« Achik Kerib, conte d'un poète amoureux » (Ashugi Qaribi) de Sergeï Paradjanov et Dodo Abachidzé (1988)

    « Achik Kerib » est peut-être l'un des films les plus dépouillés de Paradjanov, faute d'argent semble-t-il, et pourtant c'est une fois de plus une œuvre d'une grande richesse visuelle. Le cinéaste arménien n'a pas son pareil pour se jouer des contraintes matérielles, et c'est en cela que c'est un grand artiste : il parvient à suggérer les choses les plus subtiles avec une grande économie de moyens. Mais cette économie ne signifie pas pauvreté visuelle, au contraire : toujours aussi exubérant, il joue avec les couleurs avec un talent rare, les costumes évoluant du noir au blanc, en passant par toutes les teintes, au fur et à mesure du temps qui s'écoule. De plus, il figure l'onirisme le plus pur avec une mise en scène astucieuse, qui n'enlève rien à la magie de ce qu'il filme! En fait, on croit au cinéma de Paradjanov, peut importe qu'un paquebot passe en arrière plan de « La Légende de la forteresse de Souram » ou qu'on entende ici les personnages parler sans qu'ils remuent les lèvres (leur voix étant post-synchronisée)... Ces détails ajoutent même au charme des longs métrages de l'artiste hors pair qu'est Paradjanov. Car l'on retrouve bien dans « Achik Kerib » son talent pour la composition de l'image, pour la mise en scène baroque, pour les histoires d'amour et les contes du Caucase. Le récit est encore plus elliptique que celui de « La Légende de la forteresse de Souram », et sans doute le film est-il moins impressionnant visuellement que ce dernier et « Sayat Nova », voire même que « Les Chevaux de feu ». Pour autant, il s'agit bien de l'un des sommets du septième art, et j'invite les novices comme les amateurs du cinéaste à découvrir son ultime long métrage, dédié qui plus est à son fidèle ami Andreï Tarkovski, autre maître du cinéma.

[4/4]

samedi 18 mai 2013

« Que ma joie demeure » d'Alexandre Astier et Jean-Christophe Hembert (2012)

    Un singulier portrait de Jean-Sébastien Bach, entre humour et gravité. Alexandre Astier revisite à sa sauce, et avec panache, la vie du Cantor allemand. Il a en effet écrit et interprète seul sur scène le spectacle. Et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il est doué. Empli d'une énergie débordante, fin joueur de clavecin et de viole de gambe (Astier a suivi des études musicales au conservatoire avant de se tourner vers la comédie), l'auteur-interprète donne chair à son personnage, que l'on voit revivre sous nos yeux l'espace d'1h30. Certes, sa façon de se saisir de l'illustre Bach est un peu cavalière, assez triviale parfois, mais c'est l'occasion de rire aux éclats, à un rythme soutenu. Le langage employé est délicieusement anachronique, mais Astier respecte toujours son (anti)héros, un brin ronchon. En fait, il vulgarise la vie et l'art du compositeur allemand, avec simplicité et gouaille, mais toujours dans le souci de nous en faire apprendre davantage sur cette existence si particulière. On apprend les rudiments de la musique, on inspecte avec Bach un orgue vétuste... et l'on s'attriste de la perte de ses enfants. Car c'est là le versant sombre de Bach : sur la vingtaine d'enfants qu'il a eus, 10 mourront en bas âge. Et l'on sent le poids de la vie, pas toujours clémente pour lui, sur ses épaules. Ces moments plus versés dans l'émotion alternent avec les moments de création musicale ou d'enseignement, et c'est avec un grand talent scénaristique qu'Alexandre Astier jongle entre les registres et les scènes d'une chronologie non linéaire. A tous points de vue, « Que ma joie demeure » est donc une véritable réussite, un spectacle populaire dans le bon sens du terme, qui rend accessible à tous la musique la plus sophistiquée qui soit, avec bonheur qui plus est. Par ailleurs, le film du spectacle est bien réalisé, tout en sobriété, et met bien en valeur le jeu d'Alexandre Astier. Une façon originale et réjouissante de découvrir Bach !

[3/4]

lundi 6 mai 2013

« Le Petit Prince » d'Antoine de Saint-Exupéry (1943)

    Avec « Le Petit Prince », Antoine de Saint-Exupéry nous propose un récit onirique d'une grande poésie. L'auteur met en scène son jeune héros dans une sorte de voyage initiatique : ce dernier, partant de son petit astéroïde perdu dans l'espace, rencontrera en effet nombre d'êtres saugrenus, que ce soit un renard, une rose, un roi ou un business man. On sent poindre chez l'auteur une légère ironie envers ces adultes affairés, vaniteux, absurdes, en face desquels le Petit Prince, plein d'aplomb avec ses questions incessantes, fait fière figure. Auréolé de ses cheveux blonds, c'est une sorte d'ange tombé du ciel qui confie au narrateur (l'aviateur/Saint-Exupéry) le fil de ses aventures, avant tout humaines. Car bien que le Petit Prince se retrouve confronté à des animaux ou des plantes, c'est toujours un comportement humain qui l'anime : il fait tout simplement l'apprentissage de la vie, il découvre le goût des autres et de l'effort, la bonté, l'amour, le beau... Mais aussi le mal, quoique l'auteur le dépeigne toujours comme une absence de bien, et donc bien faible en comparaison. Pour autant, on sent une certaine gravité dans cet ouvrage. Le Petit Prince, ou le bien, l'innocence, semble perdu dans l'immensité du monde et de l'espace. Les deux guerres mondiales sont passées par là. Toutefois l'espoir demeure, et bien qu'il disparaisse, le Petit Prince se fond dans les étoiles, qui illuminent la Terre et les hommes, leur laissant un souvenir impérissable. Retenons donc cet élan plein d'espérance de l’œuvre la plus connue du célèbre aviateur écrivain.

[4/4]

samedi 4 mai 2013

Citation du samedi 4 mai 2013

« Être supérieur aux autres n'a jamais représenté un grand effort si l'on n'y joint pas le beau désir d'être supérieur à soi-même. »    

Claude Debussy
(Monsieur Croche et autres écrits, 1901-1914)

dimanche 7 avril 2013

« Cato Zoulou » (Cato Zulu) d'Hugo Pratt (1988)

    « Cato Zoulou » se déroule en Afrique du Sud à la fin du XIXème siècle. L'album est scindé en deux parties. La première raconte la fin absurde et tragique du jeune prince Eugène Louis Napoléon. On y retrouve l'attrait d'Hugo Pratt pour les destinées romantiques : idéaliste, épris de bravoure, le Français courra à sa perte. L'auteur italien en profite pour introduire un nouveau personnage, Cato Milton, tout aussi rustre et indiscipliné que le prince est distingué. Une autre facette de Pratt : le goût pour la bouffonnerie et le grotesque, parfois même pour le graveleux. L'autre partie de l'album est consacrée à la fuite de Cato, qui trouve refuge dans une caravane Boers, ne tardant pas à être attaquée par des Zoulous. « Cato Zoulou » compte parmi les œuvres « martiales » d'Hugo Pratt. Sa grande connaissance de l'histoire, des armées de l'époque, ainsi que des différentes cultures européennes et africaines, lui permet de faire revivre l'espace de 80 pages une histoire oubliée, avec un réalisme et une relative poésie appréciables. « Cato Zoulou » ne compte pas parmi les meilleurs bandes dessinées de Pratt, mais il s'agit néanmoins d'une solide aventure, où le goût du détail et de l'exotisme du dessinateur italien forcent l'admiration.

[2/4]