«Combat d’amour en songe» est un film réalisé par Ruiz dans une totale liberté artistique, sans aucune contrainte imposée par la production. Le cinéaste peut alors y pousser jusqu’à ses limites la déconstruction des formes narratives, donnant à voir un film gigogne foisonnant d’idées dans lequel les histoires se croisent et s’emboitent, où le future et le passé se confondent et se mélangent, où les personnages se démultiplient, où les faux indices sont de chaque plan… Ne le nions pas, cela ne se fait pas sans une certaine confusion, si bien qu’il est quasiment impossible, au premier visionnage, de suivre quelconque fil narratif. Le film se vit alors bien plus comme une quantité de petites histoires dont on pressent bien qu’elles appartiennent à un grand tout commun, qui reste cela dit assez obscur. Un deuxième visionnage s’impose (en tout cas, pour moi, cela s’imposait) pour comprendre alors la logique du film (pourtant clairement énoncée dès la première séquence) et percevoir les différents films qui coexistent en parallèle dans l’œuvre. On peut voir deux façons différentes de présenter le film. La première consiste à reprendre le programme énoncé au tout début : 9 histoires simples, associées, ou non, à 9 objets, sont présentées et assimilées à une lettre. Ces histoires se mélangent ensuite selon une logique combinatoire inspirée de l’œuvre de Raymond Lulle («Ars magna generalis et ultima») qui proposait de faire de la métaphysique et de l’art un jeu combinatoire. L’autre façon de présenter le film s’apparenterait davantage au schéma narratif classique: un jeune homme et une jeune femme se rencontrent dans une boîte de nuit puis ont un accident de moto. Sur le chemin de la mort, ils vivent des rêves communs inspirés de leur lecture, faisant intervenir des personnages de leur quotidien et imprégnés de leur amour naissant. Cette deuxième lecture est encouragée par la bande sonore du film. C’est ainsi que dans chacune des histoires, à chacune des époques, on peut entendre des cris, des bruits de dérapage, d’ambulance, les râles d’un mourant… Mais quelque soit la façon d’appréhender le film, l’extraordinaire talent de conteur de Ruiz nous captive, à chaque scène. Même si tout le film peut être vu comme un rêve (ou des rêves dans d’autres rêves), le cinéaste parvient à éviter largement le syndrome «La Clepsydre» de Has, dans lequel le jusqu’auboutisme de l’onirisme finissait par lasser, et endormir. Il faut aussi dire que les images proposées par Ruiz sont autrement plus séduisantes ! «Combat d’amour en songe», comme souvent chez Ruiz, est bourré de références de tous horizons, impossibles à toutes percevoir. On relèvera notamment les nombreuses allusions au «Songe de Poliphile» (le titre du film est l’une des traductions du titre de ce livre), ce mythique ouvrage de la Renaissance, objet aujourd’hui encore de nombreuses études de déchiffrage, et on appréciera les savoureux débats philosophiques sur l’opposition entre prédestination et libre arbitre. Le cinéaste nous régale ici encore de ses touches d’humour et de son goût pour le fantastique et l’absurde. A titre d’exemple, voici un petit d’extrait d’un dialogue qui illustre bien la teneur du film :
« - Oui mais enfin, qu’est-ce que c’est qu’un fantôme ? Un homme comme les autres ?
- Sauf qu’il se rappelle qu’il est mort.
- Vous voulez dire que les êtres normaux ne se rappellent pas qu’ils sont morts ?
- Et c’est tout à leur honneur.
- Pourquoi ?
- Je vais vous répondre avec une histoire… »
Et nous voilà projetés à une autre époque, où il est question d’un homme à tête de chien… Vous l’aurez compris, «Combat d’amour en songe» est un film aux ramifications multiples, difficile à contenir (et donc à critiquer), mais qui n’en finit pas de stimuler notre imaginaire.
[3/4]
Par contre, j'ai oublié de le préciser, mais j'ai décidément beaucoup de mal avec Elsa Zylberstein... Son "jeu" tout en chuchotements et soupirs est à la limite du supportable...
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