« Un soir, un train » est un très beau film, qui distille une ambiance étrange, flirtant franchement avec le fantastique, et qui révèle nombre de ses qualités après le visionnage. Au début du film, nous suivons le quotidien de Matthias, professeur de linguistique dans une université flamande. Delvaux utilise ici un point de vue très réaliste et filme divers moments de la journée de Matthias (chez sa mère, à l’université, avec son amie Anne). Il ne s’agit pas ici d’une simple « mise en place » du film : discrètement, par accumulation successive, les principales thématiques sont annoncées : l’incommunicabilité, le couple, et la mort, avec pour décors très représentatif, la partition de la Belgique. Le film semble semer des indices, comme un avertissement adressé à Matthias et une invitation pour le spectateur à porter son attention sur ces différents petits grains de sable qui lui permettront de mieux appréhender l’enrayement qui suivra. Avertissement que Matthias ne saura donc pas entendre, pas plus qu’il ne parvenait à écouter sa mère dès la première séquence, ou son amie Anne lors de la scène du repas. Puis le film entame sa rupture : après une dispute, Matthias prend le train. Anne finit par le rejoindre. Matthias s’endort et à son réveil, Anne a disparu. C’est alors que le train est arrêté en pleine voie. Matthias descend, en compagnie d’un vieil homme, à la recherche de son amie. Un étudiant, Val, les rejoint, puis le train repart sans eux, dans un inquiétant silence, les laissant sur le bas-côté… S’en suit l’errance de ces 3 personnages dans un paysage désolé, fangeux. Ils parviennent finalement à rejoindre un village fantôme où les habitants ont de biens étranges comportements et parlent une langue inconnue du professeur… Delvaux introduit diverses séquences oniriques et met en images certains souvenirs de Matthias, avec déjà cet incroyable sens du raccord, qui dynamise la mise en scène (manière qui frôlera la perfection dans son film suivant, « Rendez-vous à Bray »). Les 3 hommes trouvent refuge dans une auberge tenue par une inquiétante servante muette. L’étrangeté des situations ne peut alors plus laisser Matthias indifférent… Je garde au lecteur le plaisir de la chute qui, si elle n’étonnera aucunement le spectateur aguerri au cinéma fantastique, n’en reste pas moins une vive incitation à la relecture réflexive du film. Relecture qui révèle alors des trésors symboliques et des richesses poétiques étonnantes. Quelque part entre le « Je t’aime je t’aime » de Resnais et « Le charme discret de la bourgeoisie » de Buñuel, imprégné d’une étrangeté poétique héritée du « Vampyr » de Dreyer et toujours cette douce poésie propre au réalisme magique de Delvaux, « Un soir, un train » est un film magnifique, qu’il est indispensable de découvrir.
[3/4]
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