L'un des films de Bergman les plus accomplis et les plus terribles. Ce qui n'est sans doute pas une coïncidence, tant il est en pleine possession de ses moyens et parvient à suggérer beaucoup avec peu, à faire d'un simple voyage à l'étranger un drame métaphysique infernal. « Le Silence » est une oeuvre étouffante, comme peut l'être une existence vide de sens, ravagée par la peur, sans espoir de fuite sinon dans la mort. Bergman joue admirablement avec les nerfs de ses actrices, qui incarnent tantôt la sensualité la plus charnelle, presque coupable, tantôt l'austérité la plus sévère, non moins coupable. C'est qu'entre les deux se trouve une sexualité à moitié avouée, à moitié désirée, et qui dans les deux cas n'est guère libératrice, puisqu'elle n'apaise que pour un temps, sans parler des remords qu'elle provoque... Comment combler le vide, ce silence de la vie? Comment vivre? Les personnages ne savent répondre à cette question qui les déchire. Et nous suivons leurs errements à travers les yeux d'un petit garçon pas si innocent que cela, à moins que l'on ne sache plus le différencier de ces adultes si amers, et que l'on ne se prenne à tout voir en noir... C'est que Bergman ne donne pas plus de réponse : il suggère disions-nous, et nous offre la place peu confortable de voyeurs, du moins nous malmène, en tant que spectateur, en nous faisant les témoins de la douleur d'êtres trop humains, trop semblables à nous-même pour nous laisser indifférents. Toutefois, et c'est là tout le talent de Bergman ainsi que l'évidente illustration de sa maturité artistique d'alors : il sait ménager des moments d'humour. Bien évidemment ces moments d'humour sont rarement innocents eux aussi, mais ils harmonisent merveilleusement l'ensemble, qui n'est pas un bloc monolithique de noirceur, mais une pièce baignée de noir et de blanc (somptueuse photographie de Nykvist!), et toujours extrêmement ambiguë. Un chef-d'oeuvre, cela va sans dire, d'une incomparable richesse dans ses oppressants non-dits.
[4/4]