lundi 3 septembre 2012

« Coke en stock » d'Hergé (1958)

    « Coke en stock » est plutôt un album de transition. On y croise des personnages récurrents des aventures de Tintin, que l'on retrouvera par la suite : le capitaine Haddock, le professeur Tournesol, Dupond et Dupont, mais aussi le général Alcazar, rencontré dans « L'Oreille cassée » et « Les 7 boules de cristal ». On fait aussi la rencontre de nouveaux personnages, tel que Szut, le pilote d'avion estonien. L'intrigue, elle, met un peut de temps à démarrer, on retrouve notre héros à Moulinsart, et Hergé se concentre un instant sur les facéties d'Abdallah, le fils de l'émir du Khemed, Ben Kalish Ezab (voir « L'Or noir »). De tous ces écheveaux, Hergé parvient à tisser le fil d'une intrigue qui mènera nos protagonistes en Arabie, où ils seront confrontés à l'esclavage humain et à divers trafics. Une intrigue, qui sans être passionnante, nous retiendra en haleine. L'humour omniprésent et la qualité du dessin en font un album réussi de plus à ajouter au compteur du dessinateur belge. Et comme toujours, notre jeune reporter Tintin se lancera à la défense des plus faibles, accompagné par son fidèle chien Milou et ses amis. Ne boudons pas notre plaisir : un album de Tintin, exceptionnel ou non, reste un excellent album de bande dessinée.

[2/4]

« Tango » d'Hugo Pratt (1985)

    « Tango » est la vingt-septième des aventures de Corto Maltese. L'intrigue se déroule au cœur de l'Argentine à Buenos Aires. Corto y revient après 15 ans d'absence, à la recherche de Louise Brookszowyc (personnage inspiré par la célèbre actrice et interprète de « Loulou », Louise Brooks). Il y retrouvera des amis : Fosforito Ramirez, Vasco Pinti, Esmeralda, El Gringo,... Mais il sera surtout confronté au crime : quelqu'un veut sa peau, il cherchera à découvrir qui. Qu'est ce que l'organisation Warsavia? Où est la fille de Louise? Qui tire les ficelles? Bien des questions se posent à notre ami aventurier. « Tango » est donc une enquête, celle de Corto Maltese, sur les traces de son amie. Sans briller par son originalité, le scénario est bien construit, sans temps mort. Il réserve même des moments de poésie, cette poésie inimitable qui caractérise l'œuvre de l'auteur italien, notamment les aventures de Corto. Le dessin est quant à lui toujours aussi remarquable, le noir et blanc est parfaitement maîtrisé, et ce style à moitié gauche sied toujours autant à notre gentilhomme de fortune. « Tango » ne compte pas parmi les meilleurs albums signés Hugo Pratt, mais il vaut tout de même la lecture!

[3/4]

jeudi 30 août 2012

« Le Sceptre d'Ottokar » d'Hergé (1939)

    « Le Sceptre d'Ottokar » est un très bel album, ce fut d'ailleurs longtemps mon préféré des aventures de Tintin en raison de la beauté des costumes (auxquels a contribué Edgar Pierre Jacobs, le créateur de la bande dessinée Blake et Mortimer). Hergé nous emmène dans les Balkans, en Syldavie, où se trame un complot contre le roi, Sa Majesté Muskar XII. Tintin se promène un jour dans un parc, lorsqu'il trouve un attaché-case. Il appartient en fait à un certain Nestor Halambique, dont il fera la connaissance. Ce dernier se trouve être un sigillographe : il étudie les sceaux. Et il s'avère qu'il est convié au château royal de Klow, la capitale de la Syldavie, pour y étudier les sceaux royaux. Il demande à notre jeune ami s'il veut bien être son secrétaire, ce que ce dernier, soucieux de ce qui se trame, finit par accepter. Et voilà les ennuis qui commencent pour notre reporter et son fidèle chien Milou... Remarquablement bien dessiné, colorisé avec goût, « Le Sceptre d'Ottokar » est un régal. C'est l'un des meilleurs albums des aventures de Tintin, palpitant de bout en bout, possédant une forte identité (la reconstitution historique minutieuse de la Syldavie, pays fictif, n'y est pas pour rien). Un véritable plaisir de lecture!

[4/4]

« L'Oreille cassée » d'Hergé (1937)

    « L'Oreille cassée » est le seul album avec la majeure partie du « Lotus Bleu » a n'avoir pas été redessiné. Il s'ensuit qu'esthétiquement parlant il est un peu gauche, et dénote un peu dans l'œuvre d'Hergé. Mais la qualité du scénario, comme toujours plein de rebondissements, en fait un album tout à fait estimable. Un fétiche Arumbaya a été dérobé au musée ethnographique de la ville, et Tintin se dépêche de se rendre sur place. Peu de temps après le fétiche réapparaît subitement au musée, à son emplacement d'origine. Mystère... D'autant qu'un certain Balthazar, peintre-sculpteur de son état, est retrouvé mort chez lui dans des circonstances étranges. N'y aurait-il pas un point commun entre ces deux histoires? C'est ce que Tintin se demande. Et le voilà qui se fera entraîner en Amérique du Sud, au San Theodoros, république instable sous la gouverne du général Tapioca, croisant des bandits de grand chemin, des révolutionnaires, des conspirateurs, le général Alcazar, haut en couleur, les fameux Arumbayas... Encore une histoire accomplie brillamment contée par Hergé, tantôt avec sérieux, tantôt avec humour. Fort appréciable.

[4/4]

« Tintin au Tibet » d'Hergé (1960)

    « Tintin au Tibet » est sans doute l'album le plus émouvant que nous ait légué Hergé. C'est l'histoire de la quête éperdue et insensée de Tintin et de ses compagnons à la recherche de Tchang, le jeune chinois qu'il avait rencontré dans « Le Lotus Bleu ». Ce dernier comptait rejoindre Londres en passant par Katmandou, mais son avion s'est écrasé dans les massifs de l'Himalaya. Tintin fera le rêve prémonitoire que Tchang est en vie et l'appelle à son secours. Et il décidera de tout faire pour le retrouver en la compagnie du Capitaine Haddock, de Tharkey, le sherpa népalais, et de Milou. En 62 pages qui nous paraissent bien trop brèves, Hergé nous fait passer du rire au larmes. Il a décidément un humour sans pareil, un peu à la Jacques Tati! Et c'est une fois de plus l'occasion de découvrir les qualités exceptionnelles de Tintin : sa générosité, son courage... Dessiné de main de maître, aidé que fut Hergé par ses fidèles collaborateurs, « Tintin au Tibet » est l'un des sommets de l'œuvre riche et d'une qualité constante du dessinateur belge. Un magnifique album.

[4/4]

dimanche 26 août 2012

« Le Lotus Bleu » d'Hergé (1936)

    La suite des « Cigares du pharaon ». « Le Lotus Bleu » est l'occasion pour Hergé de nous dépeindre une Chine sous domination japonaise et européenne, pauvre, sordide, gangrénée par l'opium. Tintin est l'hôte du Maharadjah de Rawhajpoutalah, quand un chinois vient lui demander de l'aide, pour Shanghai. Aussitôt Tintin s'embarque pour la Chine, où il fera la rencontre de personnages attachants. Citons le vénérable Monsieur Wang, et son fils, Didi, mais aussi Tchang, qu'il sauve de la noyade, inaugurant une longue et indéfectible amitié (nous aurons des nouvelles de Tchang dans « Tintin au Tibet »). Dans cet album, Tintin poursuit sa lutte contre les trafiquants d'opium. Et il aura fort à faire : il retrouvera aussi de vieux ennemis dans cet opus. L'intrigue du « Lotus Bleu » est l'une des plus complexes et des plus denses des aventures de Tintin. A ce titre, il s'agit d'un des chefs-d'œuvre d'Hergé. Les personnages sont fouillés, le dessin est limpide, les couleurs sont très belles, le rythme trépidant... Dommage que tout l'album n'ait pas été entièrement redessiné, comme les quatre premières pages... Néanmoins il s'agit là d'un des meilleurs albums exécutés par le célèbre dessinateur belge, grâce lui soit rendue! Incontournable.

[4/4]

« Les Cigares du pharaon » d'Hergé (1934)

    Le quatrième album des aventures de Tintin réalisé par Hergé est un concentré de ce qui fait le succès de la série. De l'action, de l'exotisme, des aventures trépidantes menées tambour battant, du mystère, des méchants, le grand cœur de notre jeune héros et son fidèle chien Milou, les Dupondt... Tintin fait route pour l'Extrême-Orient, en direction de Shanghai. Sur le bateau, il rencontre un égyptologue farfelu, Philémon Siclone, qui va l'entraîner à sa suite dans la recherche de la tombe d'un pharaon disparu, Kih-Oskh. Mais tout ne se passera pas comme prévu, et Tintin se fera embarquer dans une intrigue qui le dépassera. Il faut louer la science du découpage d'Hergé : le rythme ne se relâche jamais, maîtrisé à la perfection, il permet à l'auteur belge d'enchaîner les épisodes et les gags sans discontinuité, à une vitesse insolente (il lui suffit de 62 pages pour planter le décor et dérouler la trame de son scénario, lui-même d'une grande richesse). Louons aussi la qualité des dessins, caractéristiques de la fameuse ligne claire imposée par Hergé à ses collaborateurs du Journal de Tintin (Jacques Martin et Edgar P. Jacobs – momifié sur la couverture et page 8 – entre autres). Et la couleur est tout autant maîtrisée! De très joli coloris et des teintes très diverses égaillent l'album de bande dessinée. Tout cela fait des « Cigares du pharaon » un album en tout point réussi. Bref, un vrai petit chef d'œuvre du neuvième art! La quintessence de l'art d'Hergé.

[4/4]

jeudi 2 août 2012

« Les Enfants de Belle Ville » (Shahr-e ziba) d'Asghar Farhadi (2004)

    Un beau film sur le pardon! « Les Enfants de Belle Ville » démontre le savoir-faire d'Asghar Farhadi en matière d'écriture. Il déploie une intrigue qui s'étend à plusieurs niveaux, dont les écheveaux s'entremêlent subtilement, jusqu'à former un nœud douloureux : un véritable dilemme cornélien. Akbar vient tout juste d'avoir 18 ans. Il est prisonnier pour meurtre, et cela signifie pour lui qu'il peut désormais se faire exécuter du jour au lendemain. Son ami Ala tentera alors l'impossible pour pousser le père de la victime à pardonner le meurtrier de sa fille. « Les Enfants de Belle Ville » est un long métrage sur le rachat de sa faute et la miséricorde, voire la miséricorde divine. C'est aussi un tableau saisissant de l'Iran des déshérités, manquant de tout, à la merci du mal, baignant dans le sordide dont ils peinent à s'extirper. Asghar Farhadi nous conte le chemin de croix d'un père anéanti, vivant dans le deuil depuis des années, emmuré dans son chagrin. Il nous conte aussi le destin de deux familles inextricablement mêlées dans une affaire qui les entraîne au plus profond d'eux-mêmes. Firouzeh, la sœur d'Akbar, doit choisir entre son frère et Ala ; Ala doit choisir entre son amour pour Firouzeh et son amitié indéfectible envers Akbar ; le père de la victime doit choisir entre le souvenir de sa fille défunte et la vie, et même celle de son autre fille handicapée... Dommage qu'Asghar Farhadi nous plante là, finissant son film sur ces choix à prendre, que nous ne verrons pas s'accomplir. Car pour le reste il réalise un sans faute, un long métrage brillamment interprété, écrit de main de maître, et joliment réalisé, avec simplicité. Une preuve de plus de la richesse du cinéma iranien.

[2/4]

samedi 28 juillet 2012

« Lettres de mon moulin » d'Alphonse Daudet (1869)

    Dans son ouvrage, Alphonse Daudet nous offre près d'une trentaine de chroniques provençales, qui fleurent bon le parfum de la garrigue, les cigales, le soleil, la chaleur du sud. Autant de petites fantaisies tantôt amusantes, tantôt mélancoliques. Daudet nous conte les (més)aventures de toute une galerie de personnages tous plus truculents les uns que les autres. Maître Cornille et son moulin qui continue fièrement de tourner quand tous ses confrères ont dû arrêter, en raison de l'industrialisation galopante, Monsieur Seguin et sa chèvre qui a soif de liberté, la mule du pape maltraitée par un gredin, le curé de Cucugnan et sa paroisse réfractaire à la parole de Dieu, le célèbre poète Mistral, dom Balaguère, tenté par le diable, et ses trois messes basses, le révérend père Gaucher et son fantastique élixir... Avec un style dépouillé et limpide au possible, Alphonse Daudet nous emmène avec grâce dans le sud de la France, et même le nord de l'Afrique. Vous l'aurez compris, les « Lettres de mon moulin » se lisent très facilement et promettent de passer un moment ensoleillé, plein d'humour et de tendresse. Un petit classique, à lire sans hésiter.

[3/4]

jeudi 5 juillet 2012

« Régime sans pain » de Raoul Ruiz (1986)


Les bras m’en tombent… N’importe quoi! «Régime sans pain» est un film que l’on pourrait qualifier positivement de barré, de déjanté et d’absurde et, négativement, de débile, sans queue ni tête, et affreusement kitsch… Pourtant, le film garde pour lui un atout précieux qui fait que l’on pardonne aisément Ruiz pour ce ratage : «Régime sans pain» est drôle dans son absurdité et ne génère jamais l’ennui. On finit rapidement par comprendre qu’il va nous falloir considérer le film avec une grande légèreté, et celui-ci se dote alors d’un certain charme. Les costumes extravagants, les coupes de cheveux à la Desireless, la musique ringarde du duo Angèle et Maimone (groupe français de new wave des années 80), également acteurs principaux du film, et le look général du film décrochent inévitablement au spectateur qui a connu ces années quelques sourires sympathiques. Mais pour le reste… Que c’est débile! Jugez plutôt : dans la principauté rock du Vercors, le prince Jason III, qui ressemble à un mannequin de salon de coiffure, voit son audience télévisée décliner. C’est le signe de sa mort imminente dans un accident de voiture rituel. Refusant de se soumettre à ce sort, il fuit dans la banlieue des émigrés catholiques où il est retrouvé par une bibliothécaire paralytique, animée d’un amour intellectuel pour lui. Celle-ci le confie à un professeur psychothérapeute coiffé comme le Robert Smith des Cure, qui le dépersonnifie puis le repersonnifie pour en faire son propre successeur, Jason IV. Voilà pour le scénario, à qui l’on ne reprochera pas de manquer d’originalité!… Le tout est entrecoupé de séquences absurdes et de scènes qui s’apparentent à des vidéo-clips des chansons du duo de comédiens-chanteurs. On comprend pas toutes les allusions que le cinéaste glisse dans les répliques souvent impénétrables du film, que l’on pressent pourtant drôles. Mais l’humour de Ruiz nous échappe grandement… Et c’est bien plutôt ce sentiment d’assister à un vaste délire de cinéaste, qui s’amuse à pasticher son époque, qui engendre, dans l’ensemble, un certain effet comique. Rajouté à cela une esthétique particulière, qui accentue l’étrangeté du film (ciels peints en orange par exemple), et on se retrouve face à quelque chose de tout à fait singulier, qui a au moins le mérite de son originalité et de son décalage hautement assumé, même s’il semble difficile à qui que ce soit de suivre Ruiz sur des chemins qu’il emprunte résolument en solitaire. Au final, le film laisse en mémoire un souvenir plus sympathique que d’autres films du cinéaste, se voulant plus sérieux et moins légers, mais sans âme («Les âmes fortes» par exemple). Ruiz est décidément un cinéaste surprenant, que l’on continue à aimer, et qui reste attachant, même dans ses plus grands ratages. 

[1/4]