mercredi 16 novembre 2011

« Au seuil de la vie » (Nära Livet) de Ingmar Bergman (1958)

Cela fait partie des plus belles joies d’un cinéphile, que de découvrir un film inédit de l’un des plus grands artistes du cinéma, surtout lorsque le film en question est loin d’être une œuvre mineure. La récente édition de «Au seuil de la vie» permet donc aujourd’hui de visionner ce film rare de Bergman, qui se présente pourtant comme une œuvre fondamentale dans la filmographie du cinéaste suédois. «Au seuil de la vie» est en effet le film d’une transition de forme et de style chez Bergman. Le film est réalisé juste après «Le septième sceau» et la même année que «Les fraises sauvages», les deux plus beaux films de la première période de Bergman, films confinant à une telle perfection dans leur registre classique qu’ils en illustrent les limites et les impasses, et appellent à une nécessaire révolution du cinéma de Bergman. «Au seuil de la vie» se présente alors comme le premier film de cette révolution et annonce, par l’épure de son style, sa concision, l’austérité et la limpidité de sa mise en scène, les futurs chefs d’œuvres de la deuxième période de Bergman, dont «Persona» reste le plus illustre représentant. Respectant une parfaite unité de temps (24 heures) et de lieu (la maternité), encadré par l’ouverture et la fermeture des portes de la maternité, le film se présente comme un huis clos féminin extrêmement dense, concis (tout juste 80 minutes), débarrassé de tout oripeau mélodramatique et de tout pathos malgré le drame psychologique extrêmement émouvant qui s’y joue. Nous nous retrouvons donc dans la chambre d’une maternité partagée par trois femmes présentant un rapport complètement différent à leur grossesse : la première est hospitalisée à la suite d’une fausse couche qui lui révèle l’absence d’amour dans son couple, la seconde est une jeune fille un peu adolescente, sans mari, craignant le jugement de sa mère, et qui a tenté de se faire avorter, et enfin, la troisième, est une jeune femme totalement épanouie dans son couple et sa grossesse, prête à accoucher avec grand bonheur de son premier enfant. Ces trois femmes feront preuve de solidarité face à cette épreuve psychologique et physique se présentant comme le plus intense moment de contact avec la vie qui puisse être, ce que résumera parfaitement ces mots prononcés au tout début par celle qui vient de perdre son enfant : «Il n’y a pas que les vagins qui s’ouvrent ici, il y a aussi les êtres humains». Et si ces femmes peinent à donner la vie, elles apparaissent en tout cas comme incroyablement vivantes, vibrantes et présentes au monde, en demande d’une affection débordante qui nous touche intensément. C’est ici qu’il faut saluer la magnifique interprétation de ces trois actrices habituelles de Bergman, interprétation d’une justesse saisissante. Bergman souligne le jeu de ses actrices par une mise en scène qui leur est totalement dévolue : gros plans sur les visages d’une expressivité bouleversante et sublimés par une lumière superbe, absence de musique, décors réduits à l’extrême (murs blancs et lits d’hôpital), si bien que le moindre accessoire, par sa rareté, prend une importance toute symbolique (la poupée, le verre d’eau). Le film affiche un réalisme saisissant et retranscrit avec justesse l’atmosphère d’une maternité (on sent que Bergman a passé du temps dans les maternités pour préparer son film). La scène d’accouchement est à ce titre tout à fait exemplaire. Le cinéaste propose également une ébauche de réflexion sociale dans laquelle le modèle suédois est présenté comme une réponse et un moyen de lutte contre l’avortement, avortement dont la lâcheté des hommes est grandement responsable. Mais le travail réalisé sur l’exploration et l’autopsie psychologique des personnages permet au film de dépasser largement ce cadre naturaliste et social pour accéder à une méditation profonde sur la vie et ses finalités. «Au seuil de la vie» devient alors un hymne à la force et à la beauté des femmes et se présente incontestablement comme le plus beau témoignage cinématographique jamais réalisé sur le drame psychologique de la grossesse et de la maternité.

[3/4]

2 commentaires:

  1. Bonjour max6m :-) La parution en DVD de ce film m'avait complètement échappé !!! Merci pour cette critique! Je visionne le film dans les jours qui viennent ...

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  2. Oui, d'autant que l'édition DVD est de qualité, surtout pour un film des années 50!

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