«Lifeline» fait partie du projet de producteur «Ten minutes older», composé d’une série de courts métrages de 10 minutes sur le thème du temps et à laquelle ont participé des cinéastes comme Jarmush, Wenders, Herzog, Kaurismäki… C’est peu dire que le morceau de Victor Erice survole très largement ce film collectif ! Le cinéaste nous fait la peinture, dans un superbe noir et blanc, de la routine d’une journée d’été dans une ferme espagnole. Une jeune mère dort sur un fauteuil à côté du berceau de son nourrisson, deux hommes fauchent les foins, une cuisinière prépare un gâteau, un vieil homme fait la sieste, un autre joue aux cartes, deux enfants jouent dans une voiture, un autre joue dans une étable en dessinant une montre sur son poignet (montre que le cinéaste rend un peu plus réelle par le tic-tac continu d’une horloge qui berce tout le film)… C’est une atmosphère extrêmement paisible et sereine qui se dégage de cet enchaînement de plans magnifiques de la vie ordinaire de cette famille, sérénité soulignée par les bruits harmonieux de la nature et par la douceur de la lumière estivale. On retrouve dans ces quelques minutes de cinéma les thématiques chères à Erice : la vie rurale, le travail de la terre (la paysannerie), l’imagination de l’enfance, les détails historiques (photos de famille à Cuba, coupures de presse), et la contamination de la vie individuelle par le contexte historique. Car nous sommes en juin 1940 et la menace fasciste gronde. Pour illustrer cette peur, le cinéaste créé une tension dramatique forte : une tâche de sang qui se répand lentement sur le drap recouvrant le nouveau né dans son berceau. La tranquillité de cette belle journée de juin est donc menacée par cette tâche de sang, le drame est proche. Le parallèle avec le fascisme sera mis en image lors du dernier plan, dans lequel une tâche d’eau se répand sur la page d’un journal montrant des soldats posant devant le drapeau nazi. «Lifeline» est un petit poème cinématographique sur le temps, sur l’écoulement de la vie, qui contient bien plus d’idées de cinéma que nombre de longs métrages. Espérons que la réalisation de ce court métrage aura donné l’envie au cinéaste de retourner encore une fois derrière la caméra.
[3/4]
Vu à l'instant. Un bien beau court métrage, très poétique et allégorique. On ressent en effet le temps qui passe, aussi bien d'un point de vue visuel que sonore. L'art d'Erice est fait de contraires qui s'opposent : un rythme calme, serein, une lumière douce, des enfants, des vieillards, une mère allongée sur un lit... se retrouvent perturbés par l'horreur d'un bébé qui saigne et de la Seconde guerre mondiale. Tout est dit, condensé au possible, touchant, haletant mais sans être excessif, en 10 minutes. Brillant exercice de style! Et plus encore, brillant poème imagé!
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