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mercredi 26 novembre 2025

« On vous croit » de Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys (2025)


On vous croit est un film sur la parole et le regard. J’ai lu des avis négatifs chez certains qui reprochent au long métrage de trop conduire le regard, par les cadrages sur tel ou tel personnage à tel ou tel moment. Or il me semble que ce n’est en rien une coquetterie esthétique ou une volonté de manipulation, mais plutôt un choix de mise en scène en cohérence avec l’angle pris par le film : se placer du point de vue de la mère, qui dénonce les abus sexuels de son mari sur leur enfant.

User de plans larges, laissant les acteurs jouer leur partition en même temps, aurait sans doute été au contraire beaucoup trop théâtral, une fausse bonne idée, totalement contreproductive, anémiant le témoignage de cette mère. Alors qu’en se plaçant de son point de vue, le duo de cinéastes fait le pari d’un film biaisé, mais qui laisse justement la parole aux victimes et aux aidants, pour éviter toute ambiguïté et fascination envers le père et ses actes.

Aurait-il fallu réaliser un film hitchcockien sur un tel sujet ? Je pense que ça aurait été particulièrement déplacé. « On vous croit » est donc quelque peu univoque, certes, mais il est tout sauf scolaire et banalement démonstratif. Avec une mise en scène épurée et pourtant très travaillée, le film joue sur la façon dont les point de vue s’entrecroisent, s’entrechoquent même, par le biais de la parole et du langage non verbal, et notamment de plaidoiries qui ont le temps de s’épanouir, lors de la scène centrale face au juge, tournée en temps réel. Et a quel point le regard porté sur les autres, l’intention derrière chaque personne qui s’exprime, est très important. En particulier le regard de la juge, à la fois neutre, ferme et bienveillant, alors que c’est elle qui devra trancher in fine, son avis étant particulièrement déterminant et lourd de conséquences.

Chaque personnage : la mère, le père et chacune de leurs deux avocates, ainsi que la juge, s’expriment ainsi, montrant la teneur de ce type d’audience… Et la façon odieuse dont les coupables construisent leur argumentaire, en n’hésitant pas à mentir, à travestir la réalité et à diffamer la partie adverse, quand la défense des victimes n’a le droit à aucun faux pas, chaque parole et chaque geste pouvant se retourner contre elles, dans un système judiciaire qui semble se résumer à une parole contre une autre.

Dans le rôle de la mère, on pourrait reprocher à Myriem Akheddiou (que j’ai trouvée excellente) un surjeu, qui aurait été accentué par les deux cinéastes. Or à mon sens, son interprétation est crédible et d’une grande qualité, notamment car elle joue une mère qui perd pied, qui déborde du cadre, et qui forcément dénote dans un tribunal où tout est net et carré, ne laissant guère de place à l’émotion. On éprouve de l’empathie envers elle, et en même temps on est gêné de constater à quel point cette situation est douloureuse et inconfortable, aussi bien pour elle que pour sa fille et son fils.

Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys montrent clairement mais subtilement, par plein de détails, le parcours du combattant de la mère et de ses enfants. En plus d’avoir leur vie détruite par les agissements du père et leurs conséquences, ils se retrouvent face à une justice aveugle, dont les rouages et le bureaucratisme induisent un manque rageant d’efficacité et d’humanité. Tout ceci renforce le sentiment vertigineux de solitude face à un système et une société qui broient les individus, en reprochant aux victimes de prendre la parole, et en leur intimant presque de se taire, pour préserver le confort de l’entourage des victimes et les autorités publiques prises à témoin.

Le cadre faussement bienveillant du tribunal, d’une grande froideur esthétique et lumineuse, complètement aseptisé, renforce ce sentiment de déshumanisation, qui étreint les victimes tout comme le spectateur. Sans parler de « l’avocat des enfants », assez tête à claques, qui semble très mal connaître son sujet et dont la parole peut renverser le cours du procès.

Et finalement, on en vient à se demander ce qu’il se serait passé si la juge n’était pas une femme ? Si c’était un homme, aurait-il eu la lucidité et le cran de renvoyer le père et son avocate dans leurs buts à chacune de leurs outrances ? Il est effrayant de constater à quel point la justice et la vie des personnes jugées dépend à ce point d’êtres humains. La responsabilité des magistrats est écrasante, et on ne peut qu’être admiratif de leur profession, très difficile. Mais on ne peut s’empêcher de penser aussi à quel point la justice est fragile. 

« On vous croit » est donc loin d’être seulement un film à thèse sur les violences sexuelles faites aux enfants et sur l’inceste. C’est aussi un excellent « film de procès », genre prolifique auquel il apporte sa pierre, nous questionnant sur l’institution judiciaire. Mais aussi sur notre société, et sur la place de l’homme et de la femme dans le couple et dans les familles.

[3/4]