« Le Héros sacrilège » dénote quelque peu dans la filmographie de Kenji Mizoguchi, tout d'abord car il s'agit de l'un de ses rares longs métrages à avoir été tournés en couleurs (et pour cause, le nombre se monte à deux si je ne m'abuse), mais aussi et surtout car il s'agit d'un film bien moins intimiste que ce qu'il a pu réaliser auparavant. On quitte les intérieurs cloisonnés, les dilemmes cornéliens et les drames amoureux pour se laisser entraîner dans des intrigues de cour, opposant bravoure et traitrise éhontée, que l'on ne manquera pas de retrouver chez son compatriote Akira Kurosawa par la suite. « Le Héros sacrilège » est avant tout le portrait d'un jeune homme qui s'affirmera en s'opposant à l'ordre ancien et aux différents pouvoirs : à son père et à sa famille, à l'empereur et à ses maîtres, puis aux moines et aux esprits défunts. Tout le film est parcouru par cette tension, ce vertige de Kiyomori qui se découvre lui-même en révélant la duplicité des autres. « Le Héros sacrilège » est aussi un film social, comme l'a voulu son réalisateur : il nous montre rien moins que l'émergence d'une nouvelle classe aux dépens des autres, celle des samouraïs, qui prendra l'ascendant sur la noblesse et le pouvoir impérial des siècles durant. De fait, il est parcouru par l'idéal martial de justice et d'honneur, et exalte la vertu de ces soldats pauvres mais courageux et fidèles jusque dans la mort. Mizoguchi nous livre donc là l'archétype du film historique à grand spectacle, avec ses qualités et ses défauts : d'un côté des couleurs superbes, une mise en scène au cordeau, une interprétation digne d'éloges, une attention portée au mouvement toujours aussi remarquable, et bien sûr du suspense, quant à l'issue des divers conflits opposants les factions rivales. De l'autre, il s'agit peut-être du film le plus « hollywoodien » du cinéaste nippon, plus froid et « superficiel » que le commun de son oeuvre, davantage porté sur la splendeur des costumes que sur l'intériorité profonde des personnages... Peu de choses à déplorer en ce qui me concerne : à défaut d'être un chef-d'oeuvre « Le Héros sacrilège » est à mon sens un excellent film, qui ne manquera pas de combler les amateurs du maître ou les passionnés d'histoire et de culture japonaise.
[3/4]
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