lundi 27 mars 2017

« Rome » de John Milius, William J. MacDonald et Bruno Heller (2005)

    Il n’aura échappé à personne, sauf à avoir passé les dernières années sur une île déserte, que les séries télévisées font l’objet d’un véritable plébiscite depuis disons les années 2000. Entre ambitions clairement affichées et nouvelles pratiques de consommation (le fameux « binge watching »), on ne compte plus les entreprises qui investissent des millions là-dedans (pèle mêle Netflix, Amazon, Canal +, Orange...), les écrits d’universitaires décortiquant l’apport sociologique de telle ou telle série et les téléspectateurs passant des nuits devant leur petit écran. Tout le monde autour de moi ne parle pratiquement que de cela, au point de devenir bien souvent le sujet de conversation numéro 1. J’avoue pour ma part être resté plus ou moins hermétique à cette vague d’enthousiasme. Je regarde de temps en temps des séries passant sur les chaines publiques de la TNT, rien de plus. Je suis bien plus amateur de films, et j’ai toujours pensé que d’un point de vue artistique, le format relativement court d’un long métrage était un bien meilleur gage de qualité qu’une série. Songeons au hasard à des films comme « La Vie est belle » ou « Princesse Mononoké ». Existe-t-il un équivalent télévisuel ? Pas à ma connaissance, cela dit je veux bien être détrompé.

Toutefois, je me suis dit qu’il fallait bien que j’essaie au moins une série de référence, pour me faire un avis. J’ai longtemps cherché – et hésité – entre « True Détective » ou « The Wire », entre autres. Puis un jour les soldes à la Fnac ont fait que mon choix s’est porté sur « Rome ». Série elle aussi ambitieuse, historique, et faisant l’unanimité chez la plupart des critiques. Le choix imparable me disais-je. Au bout d’une dizaine de minutes de visionnage du premier épisode j’ai vite déchanté. La réalisation absolument insipide et les costumes du type « vrai-faux-usagé » en toc m’ont fait tiquer. Esthétiquement, on est très loin de la réussite… Maintenant y a-t-il quelque chose à se mettre sous la dent du côté du scénario ou de l’interprétation ? Un tiers de sexe, un tiers de violence sanguinolente et un tiers de guéguerres complotistes en mode « untel m’a regardé de travers, attend que je le fasse saigner au détour d’un banquet décadent »... Risible... Quant aux acteurs je n’en retiens que trois : César surtout, puis Vorenus et Pullo. Entendons-nous bien : la série ne vaut que pour la prestation de Ciarán Hinds en César. Pour le reste on finit par s’attacher (un peu) à Vorenus (Kevin McKidd) bien qu’il soit au début absolument détestable en rustre patriarcal et à Titus Pullo (Ray Stevenson), le comique troupier de la bande. Tout le reste du casting ne sont que conspirationnistes de soaps operas… et de bas étage. Si bien qu’au bout d’un épisode je me suis pris la tête entre les mains en me demendant pourquoi avoir acheté cette série de malheur. Pour avoir un avis vraiment construit dessus, je me suis forcé (et ça a été douloureux) à regarder la saison 1 jusqu’au bout. Et chaque épisode était du même acabit : du sexe, du sexe, du sexe, du sang, de la violence, des complots, de la haine... A se demander comment peut-on être fasciné par cet étalage de ce qu’il y a de plus bas chez l’être humain. Le pire c’est que je ne crois pas me tromper en avançant que « Rome » est la matrice de « Game of Thrones », soit l’une des séries les plus regardées du monde et du moment. Donc des gens du monde entier se tapent ce genre d’inepties nuits et jours... Ça m’inquiète un peu sur l’état de notre monde... En même temps ça peut expliquer pas mal de choses... Enfin bref, je ne me ferai sûrement pas des amis avec cette critique, mais je suis ouvert au débat, tant que ça reste courtois bien sûr...

[1/4]

samedi 25 mars 2017

« Silence » de Martin Scorsese (2017)

    « Silence » est un film marquant et une réussite par bien des aspects. Tout d'abord par son esthétique, soignée : une très belle photographie, et surtout des plans époustouflants d'une nature sauvage, notamment de bords de mer rocailleux, battus par des vagues puissantes, et de terres arides parsemées d'émanations de souffre menaçantes. Ensuite et surtout par son thème et son traitement : la tentative par les Jésuites de convertir au catholicisme les Japonais au XVIIème siècle. Mais Martin Scorsese fait de « Silence » bien plus qu'un film historique. C'est un long métrage qui pose de façon intelligente et subtile la question de la foi. Jusqu'où est-on prêt à souffrir pour sa foi ? Et d'ailleurs qu'est-ce que la foi ? Justifie-t-elle qu'on se batte pour elle, voire qu'on meure pour elle ? Dieu nous entend-il ? D'ailleurs existe-t-il ? Nous parle-t-il ? Ou au contraire est-il cruellement silencieux ? Ou bien n'est-ce qu'une invention pour réconforter les cœurs en ce bas monde, fait de souffrances en tous genres, de la guerre en passant par la maladie ou la famine ? Scorsese ne nous donne pas de réponse, mais il n'oriente pas non plus dans une direction plus qu'une autre, j'entends par là qu'il est respectueux des chrétiens, tout comme des Japonais. « Silence » est avant tout une peinture implacable car fidèle, presque objective, d'une quête qui se révèle impossible : tenter d'imposer une autre religion à un peuple à la culture très forte, et très différente. Or les Japonais ne sont pas cruels par nature, s'ils persécutent les chrétiens, c'est pour une raison très simple et très censée : le christianisme leur semble dangereux politiquement, le Shogun de l'époque ne pouvant se permettre de voir son autorité bafouée par des sujets avec un nouveau maître, autre que lui : Dieu. De là en découlent des atrocités contre la population nouvellement convertie et les Jésuites, qui choquent par leur cruauté, même si Scorsese reste mesuré dans leur représentation. Il s'agissait en effet de faire des exemples, et les Japonais se sont montrés particulièrement inventifs en la matière... Mais fort heureusement l'intérêt du film n'est pas là, si j'ose dire. Martin Scorsese s'attarde davantage sur les doutes qu'éprouvent les deux protagonistes principaux, deux jeunes Jésuites au début pleins de fougue, confrontés à l'épreuve ultime de tout croyant : le martyre pour sa foi. Tous deux nous permettent à notre tour de nous remettre en question et c'est en cela que « Silence » est très fort. Avec des images tantôt sublimes tantôt terribles, il nous interroge sur le moteur de tout être humain et nous demande : en quoi est-ce que tu crois ?

[3/4]

dimanche 26 février 2017

« La la land » de Damien Chazelle (2017)

    Rarement un film aura fait l'unanimité à ce point ces dernières années. C'était de loin le film le plus attendu de 2017, et c'est peu dire que mes attentes étaient à la hauteur de l'évènement annoncé. Certes, « La la land » fait l'objet de quelques critiques : les goûts et les couleurs, tout le monde n'est pas sensible au genre de la comédie musicale, et c'est bien compréhensible... Là où je ne suis pas d'accord en revanche, c'est tous les procès d'intention qui lui sont adressés : face à ce qui ressemble il est vrai à un rouleau compresseur à Oscars et autres statuettes (mais non sans raisons, j'y reviendrai !), certains se sentent obligés de le descendre avant même de l'avoir vu. Dommage, surtout pour eux, ils ne savent pas ce qu'ils ratent ! Maintenant entrons dans le vif du sujet. Dès les premières secondes, Chazelle donne le « la », et le ton de son long métrage : un rythme effréné, une musique entrainante, des chorégraphies soignées, un brin de révérence à ses glorieux prédécesseurs et un soupçon d’originalité et d'actualisation du sujet à nos problématiques contemporaines, le tout formant une belle alchimie, une œuvre attachante avec beaucoup de charme, notamment grâce à ses talentueux interprètes. Ce qui fait il me semble le succès de « La la land », outre sa saveur particulière, c'est tout simplement qu'il respecte selon moi la base d'une comédie musicale réussie : une mise en scène de qualité et une musique réussie car inventive, intéressante donc (d'ailleurs je me la passe en boucle depuis que j'ai vu le film). Retirez l'un de ces deux paramètres et tout s'effondre. Ici, l'une dans l'autre, ces deux composantes soutiennent tout le long métrage, pour l'amener vers des sommets où figurent en bonne place des « Chantons sous la pluie », « Mary Poppins » ou « West Side Story », pour citer les œuvres de mon panthéon personnel en la matière. En bref, « La la land » est une comédie musicale ambitieuse et qualitative. 

Je la rapprocherais d'un « Chantons sous la pluie » pour plusieurs raisons. Tout d'abord, un thème la sous-tend : dans le film de Donen et Kelly c'était le passage du muet au parlant, ici il s'agit de l'ambition personnelle. Le sujet est d'ailleurs tellement universel que certains de mes collègues se sont sentis interpelés par l'histoire. En effet, la quête de gloire et de succès de nos deux personnages principaux est au diapason de l'individualisme de l'époque, et on n'arrive pas au bout de ses rêves sans faire des choix... et des sacrifices. La façon dont Chazelle illustre cela est très réussie : il en dévoile les contradictions sans alourdir ou appuyer plus que de raison le propos. Ainsi, si « La la land » n'était pas une comédie musicale, il serait déjà un film intéressant à suivre, c'est là l'une de ses grandes forces. Ensuite, ingrédient indispensable de tout film réussi, à mon sens : l'humour ! Ou plutôt une certaine légèreté. Élément omniprésent dans « Chantons sous la pluie », il est aussi de mise dans « La la land », venant contraster un peu plus et densifier l'histoire, en ménageant des changements de rythme et une respiration appréciables. Autre élément indispensable dans tout film qui se respecte : les comédiens. Et c'est peu dire que Ryan Gosling et Emma Stone m'ont bluffé : le premier par la passion avec laquelle il semble jouer du piano (réjouissante au possible !), ainsi que la nonchalance avec laquelle il pousse la chansonnette, et la seconde par sa belle voix et sa présence, toutes deux naturelles et touchantes. A l'image du couple Gene Kelly et Debbie Reynolds, ils crèvent l'écran et leur relation « fonctionne », on y croit vraiment, et on se laisse embarquer dans leur histoire. Enfin, « La la land » ce sont aussi des morceaux de bravoure à la fois en termes de mise en scène et de bande son. Des séquences magiques, qui parfois il est vrai citent des œuvres passées – et de poids – mais néanmoins Chazelle réussit à créer du neuf, avec un sens du détail qui fait mouche, plein de petits éléments qui, je le répète, en font un film à l'ambition folle, mais avec les moyens de cette ambition, car c'est une œuvre de grande qualité. Toutes ces raisons en font un candidat rêvé pour les Oscars. Scandale ? Imposture ? Réfléchissez un instant et citez-moi ces dernières années un film avec ce niveau d'exigence, avec une histoire riche et profonde, avec des interprètes de cette trempe, avec des références d'aussi bon goût (en plus un héros passionné de jazz, moi j'achète), et surtout avec cette ambition aussi invraisemblable (je me répète une fois encore) que d'allier divertissement de haute volée et œuvre d'art gorgée d'émotion, chaleureuse et intimiste. Voyez-vous des concurrents sérieux à « La la land » ? Moi pas vraiment... Donc oui, « La la land » mérite largement son succès, et ce n'est que justice, pour une fois que c'est un vrai bon film qui explose au box office ! Allez, je vais me le refaire encore une fois !

[4/4]

dimanche 29 janvier 2017

« Le Voyage de Chihiro » (Sen to Chihiro no kamikakushi) de Hayao Miyazaki (2001)

    « Le Voyage de Chihiro » a une saveur particulière pour moi. C’est en effet le tout premier Miyazaki et Ghibli que j’ai vu en entier, en 2009 je crois, peu de temps après que j’aie véritablement commencé à me passionner pour le Septième Art. En vérité, j’avais déjà vu des bribes de « Mon Voisin Totoro » étant petit (voir ma critique ici). Mais je ne savais pas que c’était un certain Hayao Miyazaki qui l’avait réalisé, d’ailleurs à l’époque je ne me souciais guère de ce genre de détails. Pour en revenir à « Chihiro », donc, je m’étais vu offrir une anthologie du cinéma sous forme de livre, et si peu de dessins animés y figuraient, deux Ghibli faisaient (à juste titre) l’objet d’une double page et d’éloges dithyrambiques : « Princesse Mononoké » et « Le Voyage de Chihiro ». Alors un jour, sans rien en attendre, je me suis procuré le fameux « Voyage de Chihiro », curieux tout de même de savoir ce qu’il en était réellement. D’autant que j’entendais de plus en plus parler de Miyazaki autour de moi ou dans les médias, et je voulais me confronter à la « hype », croyant avoir affaire à quelque chose de surfait, qui plus est dans le domaine de l’animation japonaise, que j’avais toujours à peu de choses près honnie (jusque là). Des jours et des semaines ont passé, et j’ai décidé sur un coup de tête, un soir, comme ça, de lancer le film. Ça a été un choc. Un choc visuel et émotionnel. Féru de bande dessinée et de dessin animé depuis mon plus jeune âge, je n’avais jamais vu un animé aussi ambitieux, relevant d’un art pourtant longtemps étriqué et objet de moqueries, voire d’une grande condescendance. De fait, on ne compte pas les plans inventifs, les prises de vues innovantes, les dessins originaux, incroyablement imaginatifs et inspirés qui émaillent « Le Voyage de Chihiro ». Plus encore, ce que je voyais à l’écran était passionnant : les aventures rocambolesques d’une jeune fille, perdue dans un monde magique et étrange. Car « Chihiro » n’est pas qu’une réussite technique éclatante, c’est aussi une pure œuvre d’art, en ce qu’elle transmet des émotions vives. Même en ayant la vingtaine, on parvient à s’identifier à ce qui se trame, pour peu que l’on ait pas perdu son âme d’enfant. La peur de l’inconnu, la difficulté du travail, l’esprit de service… mais aussi l’amitié, le courage, l’espoir… Le tout mené tambour battant, mais avec un rythme qui sait ménager des temps de pause et de contemplation (j’y reviendrai). Après cette introduction, qui témoigne de la grande et heureuse surprise que fut pour moi ce film, je tiens à détailler ce qui m’a plu, en essayant d’analyser ses qualités.

Tout d’abord, « Le Voyage de Chihiro », comme son titre français le laisse supposer, est un voyage initiatique. Ce film appartient donc à un genre plusieurs fois millénaire et universel, au même titre que « L’Odyssée » d’Homère ou les romans de Chrétien de Troyes, toutes proportions gardées bien sûr, ou pour comparer ce qui est comparable, qu’un « Alice au Pays des Merveilles » ou qu’un « Barberousse » d’Akira Kurosawa. La comparaison avec ce dernier me semble pertinente, car il est de notoriété publique que Kurosawa fut un maître pour Miyazaki. Qui plus est, l’œuvre de Kurosawa est traversée et nourrie par la notion de maître / élève, que ce soit dans ses tous premiers films (« La Légende du grand judo») ou dans ses immenses chefs-d’œuvre (« Les Sept Samouraïs, ou « Barberousse », donc). En l’occurrence, la jeune Chihiro va intégrer un monde qu’elle ne connaît pas, à savoir un imposant établissement de bains. De rencontres en rencontres, elle va peu à peu gagner en confiance, et quitter son côté douillet de citadine pour apprendre le travail et le service des autres. Elle va également devoir réussir des épreuves, plus symboliques, qui vont lui permettre de se révéler à elle même puis de retrouver le chemin du retour. A ce titre, son périple possède un véritable sens, à l’opposé du non-sens burlesque et savoureux de l’« Alice au Pays des Merveilles » version Disney. En effet, à l’issue de son aventure, Chihiro ne sera plus la même, elle est bien partie d’un point A pour arriver à un point B, avec tout ce que cela suppose de murissement entre les deux, même si Miyazaki laisse planer le doute sur la réalité de ce que l’héroïne à vécu… non sans nous donner des indices que cette histoire n’a pas été purement rêvée. Mais plus que ces épreuves en tant que telles, ce sont des rencontres qui vont forger la jeune Chihiro. Celle avec Haku, un jeune serviteur de la malfaisante sorcière Yubaba, elle-même à la tête de l’établissement. Il va l’introduire dans ce monde étrange en lui apportant son aide bienveillante. Mais ce qui est une fois de plus appréciable chez Miyazaki, c’est que les personnages ne sont pas unidimensionnels : ni complètement blancs ni complètement noirs. Ainsi Haku est plus complexe et sombre qu’il n’en a l’air, alors que Yubaba n’est pas si méchante au fond. Autre rencontre déterminante : celle avec le vieux Kamaji. Ce vieil esclave grognon est assez repoussant au premier abord, mais il cache un grand cœur et c’est véritablement lui qui va permettre à Chihiro de reprendre pied dans ce monde inhospitalier. Ensuite Rin, la jeune servante qui va encadrer Chihiro, va au début la rejeter puis la prendre sous son aile et lui prodiguer des conseils. C’est elle qui accompagne au quotidien Chihiro dans sa nouvelle vie et l’aide à grandir. Et puis les esprits, notamment l’esprit putride et le Sans Visage, vont faire basculer le cours de l’existence de Chihiro. Tout cela, tout ce premier degré donne corps à un récit ample, riche et passionnant, fait de retournements de situations, de surprises, mais aussi de poésie et d’émerveillement.

Mais tout ce premier degré cache un deuxième degré de lecture, qui sera davantage perceptible par les plus grands (adolescents et adultes). Miyazaki est en effet chagriné par la tournure que prennent nos civilisations actuelles, et notamment la sienne, celle d’un Japon aux avants-postes de la modernité, mais qui renie par bien des aspects sa longue tradition. Miyazaki a donc voulu placer une jeune héroïne actuelle, un peu repliée sur elle-même, dans un monde habité par des esprits tout ce qu’il y a de plus shintoïstes, la ramenant vers des racines enfouies en elle. De nombreux éléments nous rappellent cette opposition entre le monde vivant et chatoyant des esprits et le monde superficiel et surtout artificiel d’aujourd’hui. Le parc d’attraction abandonné, à titre d’exemple, est un symbole de cette civilisation dévoyée, qui reprend les atours du passé pour mieux diffuser un funeste abrutissement des esprits, perdus dans la consommation de masse, l’égoïsme et la culture du jetable. Certains personnages seront même directement les victimes de cette catastrophe écologique et humaine que vivent nos contemporains. Mais nul apitoiement ou dénonciation bas du front, Miyazaki préfère un didactisme certain, qui démontre par l’exemple les vertus d’une vie respectueuse de soi, de son prochain et de son environnement immédiat. Outre cet aspect écologique indéniable, l’autre grande dénonciation de ce film réside dans celle de l’argent roi. A ce titre, un des personnages (je n’en dirai pas plus) se transforme et s’autodétruit (ou du moins détruit sa part d’humanité) en voulant réaliser ses désirs, à savoir acheter l’amitié ou l’amour d’une personne qui se refuse à lui. Le personnage en question est l’un des plus complexes et fascinant du long métrage, tout d’abord mystérieux et amusant, puis franchement inquiétant et horrible. Là encore : ambivalence et profondeur du personnage.

Ces deux degrés de lecture nous feraient presque oublier une des qualités majeures de ce film : son esthétique. Passons sur la laideur de certains monstres, destinée à dénoncer leurs travers ou le mal dont ils ont été victimes, ou encore faisant revivre le bestiaire shintô traditionnel. Trois aspects de ce long métrage en font une œuvre de grande qualité : la réalisation, le rythme et la musique. La première tout d’abord : je le disais en introduction, ce qui frappe en regardant « Chihiro », c’est l’ambition de sa mise en scène. Tout comme pour « Princesse Mononoké », il est évident qu’ici Miyazaki est en pleine possession de son art, et l’animation atteint des sommets. Les prises de vues sont osées, mais toujours au service du fond. Le mouvement est magnifié, poétique bien que (ou parce que) réaliste. Les teintes sont somptueuses, entre le rouge flamboyant de l’établissement de bain ou le bleu clair et franc du ciel. Et le « character design » des personnages principaux est bien trouvé, Chihiro et Haku en tête. Le rythme, ensuite est un modèle de maîtrise et d’harmonie. Un début mystérieux, qui dévoile peu à peu les personnages et les ressorts de l’intrigue… Des accélérations et des ralentissements qui maintiennent un déroulé haletant, mais toujours agréable, presque organique, fluide, évident. Et enfin cette fameuse séquence du train, roulant à fleur d’eau… Une séquence hors du temps, toute simple, magique… Tout à fait typique de ces instants de poésie contemplative dont seul Miyazaki à le secret, à l’image de cette scène d’attente sous la pluie dans « Mon Voisin Totoro ». Pour finir, un film de Miyazaki ne serait pas totalement réussi sans la musique de Joe Hisaishi, qui vient donner du relief aux images et les révéler, dans un rapport d’interdépendance totale : c’est comme si les images de Miyazaki n’étaient faite que pour cet accompagnement musical, et que la musique de Joe Hisaishi n’était faite que pour ces images, personnages et autres sentiments qui s’épanouissent à l’écran. Une musique inoubliable, pas nécessairement la toute meilleure partition de Hisaishi (je réserve ce qualificatif à « Nausicaä » et « Mon Voisin Totoro », surtout, et « Princesse Mononoké »), mais l’une de ses plus réussies, avec un caractère qui lui est propre, et qui sied à merveille au film.

Récit d’aventure, plaidoyer pour un monde plus humain et plus respectueux, mais aussi pure œuvre d’art alliant esthétique sublime et sentiments touchants et profonds, « Le Voyage de Chihiro » est un condensé de ce que Miyazaki a fait de meilleur. Après un « Princesse Mononoké » impressionnant de maîtrise, de profondeur et de puissance, le cinéaste nippon parvient à livrer de nouveau un grand chef-d’œuvre de l’animation et même du cinéma tout court, la pluie de récompenses dont il a été couvert, en particulier un Ours d’Or à Berlin, pour la première fois décerné à un long métrage d’animation, dans une catégorie habituellement réservée aux films « live », en témoignant mieux que personne. Paradoxalement, c’est peut-être le long métrage le plus japonais de Miyazaki, et en même temps son plus grand succès international. Une réussite totale à ne rater sous aucun prétexte !

[4/4]

samedi 31 décembre 2016

« On murmure dans la ville » (People Will Talk) de Joseph L. Mankiewicz (1951)

    « On murmure dans la ville » est un film étrange, ou plutôt étrangement construit. Il débute comme une comédie romantique dont Hollywood avait le secret, entre un médecin charismatique et une étudiante en médecine tombée sous son charme ravageur. Si Cary Grant et Jeanne Crain permettent par leur talent de donner un peu de consistance à cette première partie du film, difficile pour autant de se sentir passionné par ce qui se trame à l’écran. Néanmoins, Mankiewicz parvient à nouer peu à peu les écheveaux de son intrigue, qui repose principalement sur les épaules de ce mystérieux Docteur Praetorius (Cary Grant), au passé trouble et objet des accusations de certains de ses confrères jaloux. Et le film gagne ainsi progressivement en intérêt, jusqu’à ce fameux passage où les révélations éclatent au grand jour et qui démontre tout le génie de ce film et de son écriture. Porté par un casting de premier choix, qui permet à des acteurs talentueux de donner vie à des personnages complexes et profonds, « On murmure dans la ville » réjouit surtout par son scénario intelligent, qui, s’il peine un peu à démarrer, finit par emporter l’adhésion totale du spectateur, qui ne peut qu’être touché par cette histoire peu commune, faite de coïncidences trop invraisemblables pour en être vraiment. D’une banale screwball comedy, ce long métrage devient alors un vibrant plaidoyer pour un humanisme qui nous fait trop souvent défaut, et surtout à ceux qui sont prêts à tout pour se faire valoir, jusqu’à calomnier et dénoncer des hommes et des femmes de bonne volonté. On connaît le contexte de création de ce film, l’époque baignait alors en plein Maccarthysme. Mais Mankiewicz parvient largement à en faire une œuvre universelle, à la portée bien plus grande que le commun des films ayant jamais été réalisés. C’est peu dire que je recommande chaudement ce long métrage !

[4/4]

vendredi 30 décembre 2016

« Rogue One: A Star Wars Story » de Gareth Edwards (2016)

    Une agréable surprise ! Les échos dans mon entourage s'accordaient sur la qualité de ce nouvel opus sous licence Star Wars, à l'inverse du tant attendu épisode 7. Mon attente commençait donc à se faire sentir, et je peux dire que je n'ai pas été déçu, ce qui était loin d'être gagné d'avance vu comment Star Wars est devenu un vrai (et juteux) business. « Rogue One » est un vrai bon film de divertissement, sa grande force et sa faiblesse résidant dans la liberté prise par rapport à la saga d'origine. En effet, les scénaristes se sont sentis plus « libres » (c'est relatif) au point de ne pas réaliser un paresseux copier-coller d'un épisode précédent. Ouf ! Vu la rentabilité de la licence, un peu d'audace (c'est très relatif, je le répète) c'est la moindre des choses ! Il en résulte un long métrage bien construit, au rythme soutenu mais réservant quelques passages touchants, notamment grâce à cette relation père-fille brillamment incarnée par le toujours aussi talentueux Mads Mikkelsen et la jeune et prometteuse Felicity Jones. Les autres acteurs sont également crédibles, l'ensemble est donc bien plus qualitatif que « Le Réveil de la force », qui péchait par un scénario mille fois déjà-vu et une interprétation pour le moins inégale. Maintenant, si l'on veut pinailler, la faiblesse de cet opus c'est l'absence de quelques « indispensables » de la saga d'origine, à savoir principalement les affrontements entre Jedi, à travers l'usage de la force et les combats de sabres lasers, qui sont généralement impressionnants. C'est vraiment le gros manque que j'ai ressenti en regardant ce film. Et pour aller plus loin, la musique est clairement décevante, n'osant pas reprendre complètement les thèmes archi-connus de John Williams mais s'en inspirant tout de même, pour proposer des variations timorées et peu convaincantes. En résumé, il manque un brin de passion pour faire de cet opus une réussite totale, et un moment de cinéma aussi réjouissant que les 6 épisodes d'origine (oui oui, je les mets dans le même panier pour des raisons différentes, comme je l'ai expliqué ici). Toutefois, il s'agit là d'un blockbuster de qualité, ce qui se fait bien rare et d'autant plus appréciable de nos jours.

[3/4]

jeudi 29 décembre 2016

« The Grand Budapest Hotel » de Wes Anderson (2014)

    J’éprouve toujours le même sentiment devant un film de Wes Anderson, à savoir un ennui poli. Pourtant, « The Grand Budapest Hotel » est peut-être le meilleur film d’Anderson, du moins le plus ambitieux, peut-être pas le plus personnel ou le plus touchant (qualificatif que je réserverais à « La Vie aquatique ») mais sans doute le plus riche visuellement parlant et le plus méticuleusement construit. Méticuleusement, le mot est lâché. Car oui ses films ressemblent à de très jolies maisons de poupées, belles mais… artificielles et froides. En effet, pas de place ici pour l'inattendu ou la légèreté... Difficile de se sentir touché (sauf à de rares occasions) par un long métrage aussi ostensiblement fabriqué, où les coutures sont visibles de toutes parts, où la distanciation fait office de mantra, gorgé de pastiches et clins d’œil lourdingues au cinéma d’antan… On sent en effet la volonté de Wes Anderson de rendre hommage au cinéma muet ou aux films désuets de la première moitié du XXème siècle, mais je préfère de loin l’original à la copie. En plein dans la mode du rétro qui touche la musique ou encore la bande dessinée, Anderson se focalise sur les tics, gimmicks et autres artifices tape à l’œil de ses prédécesseurs au lieu de chercher à donner à son œuvre une âme, qui aurait pu passer par des personnages vraiment creusés et objets de sentiments ou d’enjeux un minimum intéressants, et non pas désespérément nombrilistes et surfaits. En bref, chez Wes Anderson la forme est démesurément privilégiée aux dépens du fond... A l'inverse de ce qui constitue l'ADN des chefs-d’œuvre dignes de ce nom. Restent une bonne dose d’humour au second, voire troisième ou quatrième degré, un Ralph Fiennes impérial, plusieurs bonnes idées de mise en scène… Ces quelques éléments sauvent de l’indigestion ce pudding boursoufflé à l’extrême, qui reste singulièrement sur l’estomac !

[2/4]

mercredi 28 décembre 2016

« La Reine des neiges » (Frozen) de Chris Buck et Jennifer Lee (2013)

    Si on sent un vent nouveau souffler sur le Studio Disney et ses longs métrages d'animation depuis quelques années, c'est peu dire que les derniers opus ne sont pas tous de la même tenue. « La Reine des neiges » est un sympathique long métrage, à l'animation irréprochable, plutôt de bon goût et surtout extraordinairement précise dans ses décors luxuriants, qui forcent le respect. Par contre l'intrigue ne m'a pas vraiment convaincue : elle part sur de bonnes bases, à savoir l'amour-haine que se vouent deux sœurs très différentes, l'une ayant hérité d'un grand pouvoir qu'elle peine à maîtriser, l'autre plus épanouie car pouvant vivre une vie simple et heureuse, le tout occasionnant quelques passages assez touchants. Mais peu à peu l'intrigue va verser dans les bons sentiments et le schématisme hollywoodiens. Quelques retournements scénaristiques parviennent à maintenir l'intérêt relatif du film, davantage en termes de suspense qu'en termes de profondeur. Car c'est là que le bât blesse : si à mon sens Ghibli fait de l'art, Disney fait du divertissement. En témoigne le passage obligé par des chansons horriblement niaises et surtout sans le moindre intérêt mélodique, avec l'animation façon chorégraphie qui va avec : en bref de la bonne vieille soupe de supermarché. On est loin de « Mary Poppins », d'« Alice au Pays des merveilles » ou du « Livre de la jungle »... On est plus proche de « Mozart l'opéra rock » ou de « Robin des bois » version M. Pokora... Limité par des défauts criants et la volonté d'éviter à tout prix de tomber dans le cliché du conte de fées Disney, « La Reine des neiges » finit maladroitement et ne laisse pas un grand souvenir... malgré d'indéniables qualités. Pas mal mais peut (vraiment) mieux faire.

[2/4]

« Chris Colorado » de Thibaut Chatel, Frank Bertrand et Jacqueline Monsigny (2000)

    « Chris Colorado » est une série animée qui a marqué mon enfance, notamment par son intrigue complexe et ses personnages mystérieux, au premier rang desquels Thanatos, despote tyrannique régnant sur un monde en ruine après qu'une météorite ait ravagé la Terre dans un futur proche. Son personnage est en effet au centre de l'histoire de cette série animée, éclipsant quelque peu le héros éponyme, un brin classique et convenu. Ce dernier cherche ce qu'il est advenu de ses parents, officiellement disparus dans un accident d'avion. S'en suit une quête d'identité qui mènera Chris Colorado là où il ne s'y attendait pas. La grande force de cette série tient dans ses révélations au compte goutte : dès le premier épisode on tient à savoir ce qu'il est advenu de la famille de notre héros ! L'animation n'est pas exceptionnelle mais « fait le job », les qualités de « Chris Colorado » résidant davantage dans son scénario fourni et intelligent, digne d'une série « live » d'aujourd'hui ou même d'un film digne de ce nom, ainsi que dans un accompagnement musical de grande qualité, qui facilite l'immersion. Car si l'image a quelque peu vieilli, trop rigide et simpliste à mon goût, l'histoire m'a autant passionné (si pas plus) qu'il y a bien 15 ans de cela ! Je n'en dirai pas plus pour ne pas dévoiler le cœur de l'intrigue. Par contre, les trois derniers épisodes sont épouvantablement mauvais : les révélations basculent dans le grand n'importe quoi, et à force de vouloir tout expliquer les scénaristes ôtent toute magie et tout mystère à la série... Qui en devient platement banale et franchement décevante... Mis à part ces trois derniers épisodes, donc, la série est hautement recommandable !

[3/4]

samedi 10 décembre 2016

« Vent de sable » de Joseph Kessel (1929)

    « Vent de sable » de Joseph Kessel est le pendant des « Vol de nuit » et « Terre des hommes » de Saint-Exupéry. Peut-être moins poétique et merveilleux, mais tout aussi prenant et poignant. Il nous conte l'aventure humaine, et même surhumaine, des pionniers de l'aéropostale. Tout comme chez Saint-Ex, ce n'est pas la technique, l'aviation en elle-même qui intéresse Kessel, mais les hommes qui font la ligne Toulouse-Casablanca-Dakar. Ces hommes qui, au péril de leur vie, s'élancent tous les jours, même de nuit, pour porter le courrier au-delà des frontières physiques les plus menaçantes (montagnes, mers, océans, déserts...). On sent l'admiration de Kessel pour ces héros des temps modernes, mais aussi la grande sympathie qu'il a pour eux. Toute une galerie de personnages, plus ou moins connus, fait l'objet de ce récit haletant, qui nous mène aux confins du désert, dans des lieux tous plus inhospitaliers les uns que les autres. Et malgré tout, malgré l'aridité, la solitudes de ces endroits perdus, Kessel nous parle de la chaleur humaine qui y régnait, notamment grâce à la présence de ces aviateurs qui savaient profiter de chaque instant, sachant que leur vie pouvait s'achever du jour en lendemain en vol ou même au sol... Certains furent tout de même brûlés physiquement et mentalement par ce désert fascinant, presque hypnotique (à l'image de certains personnages des « Scorpions du Désert » d'Hugo Pratt). Difficile pour eux en effet d'oublier leurs aventures, même leur captivité par les hommes du désert. Ce désert qui, à perte de vue, semble être un monde à lui seul. Dans un style presque journalistique mais néanmoins riche (plus que chez un Hemingway), Joseph Kessel, en témoin de premier plan, nous fait revivre toute une époque, tout un univers qui semble incroyable aujourd'hui. Un univers extraordinaire dans sa simplicité, son âpreté... et sa beauté.

[4/4]