Un très beau documentaire, tourné dans deux villages très simples et pauvres de la partie kurde de la Syrie. C'est l'occasion pour Sokourov d'évoquer son ressenti de russe en terre étrangère, ou plutôt son ressenti d'homme tout court : cette fameuse nostalgie à laquelle on pourrait s'attendre est plutôt mise de côté, ce qui prime avant tout c'est la rencontre des deux cinéastes (même si le texte – la voix-off du héros – est de Sokourov) avec des personnes locales. Nous est présenté le portrait de deux femmes, dont l'une est d'origine russe et a émigré à l'âge de vingt ans vers le Kurdistan pour suivre un homme natif de la région. « Il nous faut du bonheur » c'est donc à la fois le portrait d'une déracinée, étrangère à sa propre famille, dont le mari et le fils sont morts fusillés durant la guerre, et celui d'une femme ayant vécu toute sa vie au même endroit, de sa naissance à ses vieux jours. Mais c'est avant tout la recherche de ce qui meut ces personnes simples, de la façon dont elles parviennent à accepter la vie, comment tout ces gens malgré tout ce qu'ils endurent peuvent être heureux : c'est un film sur le regard, d'occidentaux en l'occurrence (si l'on peut considérer la Russie comme occidentale, bien que de nos jours cela semble plus acceptable), singulier mélange de « fiction » et de « réalité » (de film « documentaire »), les auteurs ne cachant par leur présence même si elle se fait par l'entremise d'un héros bien fictif (un médecin dont on prend la place et dont on adopte justement le regard, le point de vue : tout le long métrage est subjectif)... Sokourov et Jankowski s'interrogent donc sur la vie, sur ce qui fait sa valeur, son intérêt, ce qui permet de vivre (le bonheur? Faut-il d'ailleurs traverser le monde pour le trouver?), sur les notions de pays, de nation, sur l'homme (et la femme bien-sûr), encore et toujours, et inévitablement sur le moment de tout quitter, proches, terre, vie... J'ai l'impression que le cinéma de Sokourov, du moins les quelques films que j'ai pu voir, ou en tout cas ce long métrage, tendent tous vers la mort, et cherchent une façon de vivre, cherchent comment faire pour vivre, montrent la vie en ce qu'elle annonce et résiste conjointement à la mort... C'est un cinéma très grave, mais très profond, et en cela très vrai et très vivant : Sokourov laisse libre court à sa pensée comme à sa caméra, captant tout ces moments « inutiles » qui font la beauté des oeuvres d'art, un sourire, un éclat de soleil, une chute d'eau, une famille, la vie... L'esthétique est très belle, les plans en extérieur sont superbes, magnifiquement bien cadrés, la photographie est toujours caractérisée par ces tons sépia, délavés, typiques du cinéma de Sokourov. Bref 50 admirables minutes.
[2/4]
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