Auréolé d’un prix de la mise en scène à Cannes, «Drive» est un film de série B, dans le genre du polar noir, qui doit sa bonne réputation en grande partie au fait qu’il souffre peut-être un peu moins que le reste de la production hollywoodienne des tics de réalisation du cinéma américain. Mais rassurez-vous, le «Stabilo hollywoodien», utilisé pour bien souligner chaque émotion, n’a pas été mis à la poubelle pour autant… Un jeune homme, qui n’ouvre la bouche que lorsque cela est vraiment nécessaire, loue occasionnellement ses services de pilote à des gangsters. Alors qu’il cherche à venir en aide au mari de sa voisine, dont il est amoureux, il se retrouve pris dans un engrenage de violence, une tragédie de l’irrémédiable qui l’accule à la répétition de meurtres. Droit dans ses bottes, avec une éthique et un code de conduite personnel lui permettant de s’imposer dans cette jungle urbaine, le «Driver» n’est pas sans rappeler le personnage du «Ghost Dog» de Jarmush, film avec lequel «Drive» possède de nombreux points communs (si bien qu’on pourrait en voir une sorte de variante). N’exprimant quasiment aucune émotion sur son visage, extrêmement fidèle en amitié, prêt au sacrifice de soi pour protéger les êtres aimés, pilote hors pair, capable de déchaînements de la violence la plus bestiale, le «Driver» correspond à un certain prototype du héros mâle, tel qu’on en a déjà croisé chez Carpenter ou Scorcese. En se plaçant dans le registre du film de genre, le cinéaste peut se dispenser d’étoffer son scénario, léger comme une feuille morte, et peut s’autoriser de nombreux raccourcis et improbabilités scénaristiques. Peu importe la vraisemblance du tout, l’essentiel est dans la retranscription d’une certaine ambiance mélancolico-noire et dans la volonté de créer un personnage mythique. Toute l’esthétique du film est donc au service d’une ambition artistique bien pauvre, que le cinéaste parvient temporairement à masquer par une mise en scène très tendance. On est là dans un cinéma de l’archétype, qui tourne à vide. Là où c’était pleinement assumé chez Jarmush, qui faisait de son film un hommage au cinéma et à ses maîtres, on est ici dans quelque chose de vaguement tape à l’œil, faussement rutilant, avec des manières de réalisation très à la mode dans le nouveau cinéma américain, mais qui cache mal sa vacuité fondamentale. Tout le succès d’un film comme «Drive» vient de certaines astuces de mise en scène qui prolifèrent un peu partout dans le cinéma américain de ces 10 dernières années, notamment chez Tarentino, Scorcese, James Gray, les derniers Cronenberg ou Sofia Coppola, et dont le cinéaste fait ici une sorte de synthèse. On retrouve dans «Drive» cette tendance à la mélancolie facile de la manière «bobo» de ladite Coppola, avec grand renfort de musique branchée chez les jeunes adultes. Ici c’est une B.O électronique, avec des sonorités qui rappellent les synthétiseurs des années 70-80 (on voit bien le public trentenaire visé), à l’instar des musiques composées par Carpenter pour ses films. Dans ce cinéma-là, le «DJ» d’un film tient une place tout aussi importante que le cinéaste. Winding Refn y rajoute cette âpreté de ton qui a fait le succès des films de Gray et des derniers Cronenberg, et une petite touche personnelle, très «gus-van-santienne», avec l’usage répété de ralentis. Cela nous vaut alors des images d’une mélancolie dont l’ineffabilité est surlignée au marqueur (ainsi de la scène d’ascenseur)… Ne le nions pas, «Drive» est un film qui se laisse agréablement regarder, et qui peut, par sa dimension archétypique, dispenser du visionnage de presque tout le reste de la production américaine actuelle. Mais «Drive» appartient à un cinéma de consommation qui ne m’intéresse guère, et qui s’oublie bien vite. Cela dit, le cinéma américain est t’il capable de proposer autre chose aujourd’hui ?
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