dimanche 16 mars 2025

« Quatre nuits d’un rêveur » de Robert Bresson (1971)

 

Fidèle à lui-même, Robert Bresson livre avec « Quatre nuits d'un rêveur » un film déconcertant, qui n'a pas très bien vieilli. Nombreux furent les rires gênés dans la salle, moqueurs ou exaspérés, face à ce style ampoulé et kitsch au possible...

Le non-jeu des acteurs, ces dialogues réduits à leur simple fonctionnalité, ce fétichisme des mains et des pieds, malaisant quand on regarde ces êtres humains ramenés à des poupées monocordes face à ce cinéaste démiurge, la femme presque réduite à un objet, cette masculinité passablement toxique... Il y a beaucoup de choses à dire de ce film, et pas forcément en bien...

Pour autant, comme toujours chez Bresson, il y a des passages renversants. Brefs, mais inoubliables. Comme ces vues de Paris, la nuit, de la Seine, des quais et des bateaux qui s'élancent dans l'obscurité, absolument sublimes. Ou encore ces gestes gracieux, captés par une caméra maniériste. Ou bien sûr, cette adaptation intelligente de la nouvelle de Dostoïevski, dont Bresson garde les différents degrés de lecture, l'immense tristesse, l'humour amer et la grande cruauté.

Bresson s'aventure aussi à dépeindre ses contemporains, entre joueurs de bossa nova et hippies musiciens. Tout en manifestant aussi son attrait pour la peinture moderne, lui qui rêvait d'un cinéma moderne, presque abstrait. Le tout fait parfois un peu composite, et s'éparpille un peu trop, multipliant les moments bancals. Mais mis bout-à-bout, cela en fait une œuvre témoin d'une époque révolue.

A mon sens, avec « Une femme douce », « Quatre nuits d'un rêveur » figure dans le ventre mou de la filmographie tardive de Robert Bresson. Il s'essaie à la couleur sans toujours en tirer grand-chose, et livre des films intéressants, mais inégaux. Avec « Lancelot du Lac », il nous offrira un film là encore très décrié, mais que j'ai beaucoup aimé. Et ses deux derniers longs métrages, « Le Diable probablement » et « L'Argent », le verront asseoir sa maîtrise du cinématographe, avec deux œuvres sombres et puissantes.

Pour autant, la ressortie en salles (et sans doute bientôt en support physique) de « Quatre nuits d'un rêveur » est bien un petit événement cinématographique. Petit car ce n'est pas l'un des meilleurs films de Bresson, mais événement, car il était introuvable depuis plusieurs dizaines d'années, et parce qu’il constitue un des chaînons manquants de sa filmographie, dans cette transition vers la couleur. Tout en reprenant l'une de ses influences majeures : l'écrivain tourmenté Fiodor Dostoïevski, dont il avait déjà adapté « Crime et Châtiment » pour son chef-d’œuvre « Pickpocket », et la nouvelle « Une femme douce ».

[3/4]

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