Avec « Mahjong », Edward Yang livre une leçon de cinéma. En 2 heures seulement, il reprend le dispositif du film choral qui lui est cher, pour dépeindre la trajectoire de plusieurs personnages, qui tentent tant bien que mal de vivre, ou plutôt de survivre – et aimer – dans le Taïpei de ce 20e siècle qui s'achève et de ce 21e siècle qui commence à se dessiner.
Edward Yang fut un visionnaire. Lui qui a étudié aux États-Unis et bénéficiait d'une grande ouverture au monde, avait compris dès 1996 (et probablement avant), que le 21e siècle serait celui de l'argent roi, comme déifié, et de l'Asie, devenue un nouveau Far West où les personnes peu recommandables cherchent l'argent facile et le pouvoir... dont les cupides occidentaux.
« Mahjong » est un film surprenant et multiple, d'une très grande densité l'air de rien. Yang commence par poser les bases du récit lentement, en s'intéressant à des petites frappes qui cherchent à arnaquer des pigeons et à se faire de l'argent sur leur dos. Lorsqu’apparaît Marthe (lumineuse Virginie Ledoyen), une Française à la recherche de son amant Anglais, élément perturbateur qui va rebattre les cartes de ce jeu de dupes.
Peu à peu, les personnalités des personnages s'affirment, et on s'attache à eux, des plus honnêtes aux plus barrés. L'humour est omniprésent, et rend le film très plaisant à suivre. Mais le tragique fait irruption par moments, rappelant qu'Edward Yang avait beau être un grand sensible et un grand romantique, c’était aussi le cinéaste de la modernité désenchantée.
C'était aussi un esthète : la mise en scène est très maîtrisée, que ce soit dans le cadrage et la composition des plans, les mouvements de personnages et d'appareils, les choix de couleurs et de lumières... « Mahjong » est un portrait à la fois enamouré et rageur de la vibrionnante Taïpei, de ses nuits aux éclairages artificiels... et de ses habitants, notamment sa jeunesse, qui se perd dans des rêves tout aussi factices...
[4/4]