« La Vie aquatique » est le premier film de Wes Anderson que j'ai vraiment apprécié, sans avoir non plus été subjugué. Le premier long métrage que j'avais vu de lui était « A bord du Darjeeling Limited », à sa sortie en salle en 2007, et il m'avait laissé de marbre... Et je comptais vraiment délaisser ce cinéaste qui me semblait surcoté. C'est « La Vie aquatique » qui m'a empêché d'avoir un avis foncièrement négatif et définitif sur lui, par ses qualités bien réelles, qui me faisaient dire que Wes avait sans doute un minimum de potentiel.
Plus tard, « Moonrise Kingdom » et « The Grand Budapest Hotel » avaient plutôt confirmé mon manque d'intérêt pour ce cinéaste. Et c'est seulement récemment, alors que Wes était à l'honneur au Festival Lumière 2023 à Lyon, et cette année (2025) à Paris avec plein de rétrospectives et plusieurs expositions (dont celle de la Cinémathèque), que j'ai revu mon jugement sur sa filmographie... toujours en souvenir de « La Vie aquatique », qui m'avait positivement intrigué.
Maintenant que j'ai vu ou revu quasiment tous les films de Wes, dont la majeure partie en salle, et que je les aime tous à présent, je m'attaque de nouveau à « La Vie aquatique ». Et c'est de nouveau un coup de cœur. C'est une merveille d'humour, de poésie et de mélancolie. Les animaux marins sont particulièrement beaux et réussis : ces méduses, cet hippocampe, ces poissons... et bien sûr ce requin-jaguar... Wes a vraiment le sens de l'image et de ce qui marche au cinéma. Choisir d'animer ces créatures en stop motion, physiquement, de façon subtile et fragile, donne un cachet et un charme inimitables à ces séquences dont il a le secret et qui font tout le sel de ses films... comme celle plus récente de l'extraterrestre dans « Asteroid City ».
Revoir « La Vie aquatique » des années après, chez moi en DVD et après avoir découvert la quasi-intégralité de la filmographie de Wes, me fait forcément relativiser et le remettre davantage à sa juste place. C'est l'un des meilleurs films de Wes Anderson, mais pas forcément l'un des tous meilleurs. L'émotion est présente mais ne déborde jamais vraiment, et cet hommage explicite à Jacques-Yves Cousteau bride un peu le film par cet angle très particulier... Mais néanmoins très intéressant : Wes a eu le mérite de se renouveler d'un film à l'autre, malgré son style hyper reconnaissable, signe de son grand et indéniable talent. Il sait choisir ses sujets, souvent issus de ses propres obsessions ou marottes, dont un certain nombre datent de son enfance.
Wes est certainement resté un grand enfant, qui réalise ses rêves de gosses : comme ici, tourner un film-pastiche en hommage à l’une de ses idoles de jeunesse. Et pour cela, comme à son habitude, il y va à fond : la direction artistique de ce film est complètement hallucinante, comme dans la plupart de ses longs métrages. Le soin mis dans les décors, dans le moindre détail, dans les vêtements portés par les personnages, tous ces uniformes amusants, ces logos, ces badges, ce matériel qui semble véritable et usagé, ce décor de bateau en coupe, qu’on visite comme dans une BD…
Il y a vraiment un côté cartoon dans les films de Wes, je me demande d’ailleurs s’il connaît et apprécie Hergé et Tintin, car il y a beaucoup de similitudes entre ces deux artistes, notamment l’aventure et le rythme trépidant, la fantaisie, le perfectionnisme maniaque, et l’humour, car on oublie que les albums de Tintin sont souvent très drôles et regorgent de gags. Mais l’humour de Wes Anderson est plus adulte et plus mélancolique, parfois très cru aussi, dans la dérision permanente. On sait qu’Hergé était dépressif, il est possible que Wes le soit un peu, tant les personnages de dépressifs peuplent ses films.
Et quel meilleur acteur pour incarner le dépressif drôle malgré lui et attachant, le looser magnifique, que Bill Murray ? Le pauvre est un peu enfermé dans ce type de rôles, même chez Wes Anderson, mais on peut dire qu’il s’en acquitte à merveille. Et on sait depuis « Un jour sans fin » d’Harold Ramis que Bill Murray peut porter un film sur ses épaules. Ce qu’il fait ici très bien : il est la figure centrale du film et du récit, un aventurier roublard et ronchon qui utilise un peu ses proches pour ses projets fous. Mais qui sait aussi rassembler derrière sa bannière, en leader qui s’ignore. Autour de lui gravitent toute une galerie de personnages et d’acteurs/actrices, dont un certain nombre font partie de la troupe de Wes Anderson. Mention spéciale à Owen Wilson et Willem Dafoe, dans deux registres un peu différents : le premier dans l’émotion (véritable) et le second dans l’humour, tous deux en mal d’amour paternel.
« La Vie aquatique » est un régal du début à la fin, un festival de séquences tantôt drôles, tantôt trépidantes, parfois les deux en même temps. Avec cette belle idée, peut-être piquée à Jonathan Richman dans « Mary à tout prix » des frères Farrelly : ce musicien qui joue et chante lors d’intermèdes musicaux, ici le brésilien Seu Jorge, qui adapte des chansons cultes de David Bowie en portugais et en style folk/bossa nova… et c’est superbe.
En résumé, « La Vie aquatique » est un long métrage profondément fantaisiste et drôle, parfois vraiment touchant, qui atteint un niveau formel impressionnant par le talent de Wes Anderson et la façon dont il s’investit dans chacun de ses projets. C’est aussi un film décalé par son humour (typiquement andersonien) et surtout son sujet, atypique. Je ne le conseillerais donc pas pour débuter avec ce cinéaste, ou pour voir l’une de ses plus grandes réussites. Mais c’est un pas de côté très agréable, une des nombreuses pépites qui émaillent l’œuvre de ce cinéaste si sympathique.
[3/4]
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