« Les Yeux du silence » ou « The Look of Silence » est un documentaire remarquable et particulièrement dur. Joshua Oppenheimer, cinéaste américano-britannique, tourne de nouveau en Indonésie, après « The Act of Killing », autre documentaire qui forme un diptyque avec « Les Yeux du silence », tous deux abordant frontalement les massacres qui eurent lieu en Indonésie dans les années 1960, qui auraient causé entre 500 000 et 1 million, voire même 2 millions de morts.
Alors que « The Act of Killing » filmait les tortionnaires, rejouant les scènes où ils torturaient et assassinaient leurs compatriotes, « The Look of Silence » donne davantage la parole aux victimes et à leurs familles. On suit notamment Adi, ophtalmo itinérant, ainsi que sa famille, son frère ayant été tué par les bourreaux en 1965.
On ne peut être qu'impressionné par le courage d'Adi, qui accompagné de Joshua, se rend chez d'ex-bourreaux, en leur posant des questions très précises sur les meurtres et les exactions qu'ils ont commis. Signe de la très grande impunité de ces meurtriers, qui détiennent encore le pouvoir en Indonésie aujourd'hui, ils racontent presque tout, avec force détails, jusqu'à parfois (souvent même) s'en vanter.
Les révélations sont traumatisantes, on apprend que ceux-ci n'hésitaient pas à couper leurs victimes en morceaux à la machette, et même à boire leur sang (sic) : deux hommes révèlent l'avoir fait, et c'était apparemment une pratique courante. C'est dire l'horreur ultime de ces massacres, dont on n'entend pas ou très peu parler en Occident...
Ce qui n’est guère étonnant, car les puissances occidentales ont été complices, notamment les États-Unis et le Royaume-Uni, mais pas que. Même la France a adopté un silence complice. Le but était officiellement d'éradiquer les « communistes » là-bas, mais par « communistes », on regroupait pêle-mêle une majorité d'innocents et d'opposants politiques pour la plupart pacifistes. Cette justification bien commode permettait surtout à toute une clique d'assoir son pouvoir et son emprise sur la population, par la violence et par la peur, et aux puissances occidentales de piller les ressources du pays.
Les meurtriers étant toujours au pouvoir aujourd'hui, il est impossible d'accéder à des archives de l'époque, filmiques, photographiques, audio ou écrites. Joshua Oppenheimer a donc fait preuve, avec ses deux longs métrages documentaires, d’œuvre de mémoire. Son travail constitue à présent des archives de ces massacres, sur lesquelles les générations futures pourront s'appuyer pour faire éclater la vérité. Joshua et Adi ont été menacés de mort à de nombreuses reprises, et Joshua est désormais interdit de territoire en Indonésie. La situation politique y est toujours très compliquée. Espérons que la démocratie finisse par réellement s’y établir, et que la lumière soit faite sur ces terribles événements, toujours frappés du sceau du silence aujourd’hui. En effet, familles de bourreaux et familles de victimes vivent côte-à-côte, dans un statut quo profitant avant tout aux premiers, qui détiennent le pouvoir à la fois politique et économique…
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