Radu Jude joue avec la patience et même les nerfs du spectateur. « N'attendez pas trop de la fin du monde » est interminable, sa longueur de 2h43 n'étant clairement pas justifiée. Le film est complètement inégal. Il y a un certain nombre d'excellentes séquences, mais aussi beaucoup de passages inutiles. Du moins en apparence. Car Radu Jude nous livre une expérience cinématographique en tant que telle. Il nous confronte à l'ennui, à la banalité et parfois même à la médiocrité de notre vie, loin des paillettes et du glamour hollywoodien. Avec de la musique bien débile à fond la caisse pour nous maintenir éveillés, littéralement.
Une fois de plus, c'est un cri du cœur du cinéaste roumain face à la bêtise et à la méchanceté de notre monde contemporain, pris en étau entre l'ultralibéralisme qui gangrène nos sociétés, et le cancer du fascisme/populisme, qui croît à une vitesse fulgurante partout dans le monde, y compris dans notre Occident soi-disant civilisé. Il faut dire que les fléaux du 20e siècle n'ont pas été totalement vaincus. Il y a pas mal de monde en Europe aujourd'hui, et pas seulement à l'Est, qui regrette le nazisme et le communisme lénino-stalinien. La France n'est bien sûr pas épargnée, la Roumanie non plus.
Face à ce constat qui incite au désespoir, Radu Jude sort deux armes : l'humour et l'intelligence. Il se moque outrageusement des fascistes contemporains – Orban, Poutine et compagnie – mais aussi des capitalistes hypocrites et vénaux, prêts à tout pour exploiter les êtres humains jusqu'à ce qu'ils en crèvent. Le cinéaste roumain use aussi beaucoup d'humour absurde, dans le ton de notre époque complètement folle, comme lors de cette séquence hilarante où l'héroïne raconte un contentieux juridique à propos d'une exécution par balles.
Radu Jude s'en remet également à l'intelligence de ses semblables. D'abord par la culture, son film regorgeant de citations lettrées, souvent amusantes et décalées, mais propices à la réflexion. Comme un moyen d'honorer la richesse culturelle et la complexité de notre continent, les hommes et femmes de savoir – pour ce qui est des bien intentionnés – ayant aidé l'humanité à progresser ne serait-ce qu'un peu. Ensuite, il place au cœur de ses œuvres l'Histoire. Il rappelle les tragédies passées, pour ne pas oublier et faire en sorte qu'elles ne se reproduisent pas (rien n'est moins sûr). Mais aussi car l'Histoire et la mise en lumière des faits et des idéologies du passé permettent d'éclairer et de mieux comprendre le présent, voire même de prévoir en partie l'avenir. A titre d'exemple, même s'ils n'ont pas été crus, certains avaient anticipé l'invasion russe en Ukraine de février 2022, dont les fondements, parmi lesquels ce fameux nationalisme impérialiste russe, remontent à plusieurs siècles en arrière.
Mais Radu Jude ne verse pas pour autant dans le didactisme simpliste. Il prend les spectateurs à rebrousse-poil, choque pour secouer et réveiller des Occidentaux endormis par la lâcheté et le poison des fake news, ces vérités alternatives, qui disloquent nos démocraties. Les films de Radu Jude se méritent, il faut passer outre la vulgarité de façade et l'apparent cynisme, pour discerner l'angoisse d'un cinéaste et artiste face à un monde en décomposition... Sans doute faut-il adopter l'attitude de son anti-héroïne Angela, dire fuck aux tyrans, promouvoir la vérité même la plus crue... et travailler pour faire advenir un monde plus humain, à notre mesure, malgré nos compromissions et nos faiblesses.
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