Réalisé en 1966, «La fête et les invités» fait partie de ce mouvement de contestation, porté par les intellectuels et artistes tchécoslovaques, dénonçant la main mise et le contrôle total du pouvoir communiste sur les médias et la culture, mouvement qui conduira à la timide libéralisation du Printemps de Prague. Le film de Nemec sera alors censuré par le régime pendant 2 ans. «La fête et les invités» est en effet une parabole politique puissante, évoquant, sur le registre surréaliste, les conditions d’une société totalitaire. L’argument est très simple (le film n’excède pas 70 minutes) : un groupe d’amis traverse la campagne pour se rendre à une fête. En chemin, ils sont contrariés par un groupe d’individus étranges qui les soumet à un jeu quelque peu malsain et humiliant. Ils sont finalement libérés par leur hôte qui les conduit sur le lieu de la fête. Mais l’un des invités, probablement pris de panique suite à la mascarade précédente, décide de s’enfuir, ce qui va contrarier l’hôte et l’ensemble des convives et précipiter la fin du repas. Si le propos de Nemec cible, de manière à peine voilée, le pouvoir communiste (notamment par une allusion très nette au bien être du groupe, de la collectivité, troublé par la volonté d’un seul homme), le film possède suffisamment de qualités pour dépasser très largement son contexte historique. Nemec déploie ici avec brio un art raffiné de la suggestion. Sans jamais céder à la violence directe, en gardant un aspect lisse, bon enfant, et non dénué d’humour, «La fête et les invités» diffuse cependant un malaise croissant. Il nous semble que tout peut advenir et on sent que le film peut, à tout moment, basculer dans l’horreur. Mais Nemec a l’intelligence de garder une distanciation absurde et ironique jusqu'au bout, ce qui renforce le côté dérangeant du film. Le jeu, ou la farce dont sont victimes les invités, nous fait ressentir la terreur intérieure des personnages et suggère l’état d’oppression d’une population sous un régime totalitaire. Cet état conduit ensuite les invités, dans la seconde partie du film, à une complète démission intellectuelle les mettant en position d’accepter toute situation. «La fête et les invités» est une parfaite illustration de ce cheminement psychologique guidé par la peur et revêt ainsi une portée universelle et atemporelle. On pense à Kafka, les dialogues de la première partie évoquent Ionesco, et l’essence surréaliste du film rappelle immanquablement Buñuel («L’ange exterminateur» notamment). On notera également la photographie impeccable de Jaromír Sofr et l’interprétation admirable de Jan Klusák en homme enfant terriblement inquiétant. L’une des grandes réussites du cinéma tchèque des années 60, qui réserve décidément de magnifiques découvertes.
[3/4]
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