lundi 4 juillet 2011

« Falstaff » (Campanadas a media noche) de Orson Welles (1965)

«Falstaff» marque à mon sens les limites de la manière de Welles metteur en scène. Le matériau très riche du film aurait dû en faire un chef d’œuvre entre les mains d’un tel cinéaste (Welles considère d’ailleurs ce film comme son chef d’œuvre), mais une mise en scène trop dense, trop envolée, reposant exclusivement sur un montage haché et rapide, peut donner une impression quelque peu brouillonne de l’ensemble. Cette manière n’est pas nouvelle chez Welles, qui nous a habitués à beaucoup de bruit, de vacarme et d’énergie dans sa façon de filmer. Mais ici, cela conduit à une certaine confusion qui submerge le spectateur qui peut se sentir noyer sous le texte, sous la rapidité d’enchaînement des plans et des séquences, et qui tue toute émotion (à l’exception bien entendu de la séquence finale, sur laquelle repose grandement les mérites du film). A partir d’un travail remarquable d’adaptation parallèle et croisée de 4 pièces de Shakespeare, Welles dresse le portrait de Jack Falstaff, gros homme, bon vivant, dont l’imposante carrure cache un être sensible et touchant. Proche ami du prince Hal, futur héritier du trône d'Angleterre, Falstaff est une figure qui représente une certaine conception de la vie festive, de l’innocence préservée, de la générosité du cœur et des sentiments, conception qui s’avèrera en contradiction avec la réalité du pouvoir qu’exercera Hal. Celui-ci devra alors trahir son ami pour accéder au trône, trahir ce père d’adoption et de cœur pour se réconcilier avec son père de sang, le roi d’Angleterre. La figure de Falstaff est alors l’occasion pour Welles d’exprimer sa propre conception de la vie, des relations humaines et d’amitiés, en opposition à l’esprit calculateur et rigoriste d’une certaine modernité. A travers Falstaff, c’est bien sûr Welles qui s’exprime, réalisant au passage sa plus belle prestation de comédien, imposant une présence physique remarquable au personnage. On comprend alors combien ce personnage de théâtre pouvait toucher au plus profond le cinéaste et on rage d’autant plus sur la lourdeur du travail de mise en scène. Réalisé avec peu de moyens, le film est à la lisière entre le beau et le «trop» et se révèle parfois quelque peu assommant. En témoigne parfaitement la scène centrale de bataille, magnifique dans les premiers instants, rappelant le meilleur des batailles de Eisenstein ou de Kurosawa, avant de devenir presque indigeste à force de répétition. Si le procédé rend difficile l’éclosion des émotions, Welles se rattrape largement dans la séquence finale, celle dans laquelle Falstaff prend conscience de la trahison du prince. Le plan séquence qui introduit la scène est superbe, s’achevant sur une vue en contre plongée de Falstaff agenouillé, suppliant le prince. Le regard de Falstaff/Welles est ici saisissant, résume à lui seul le propos du film, un adieu à l’innocence et à l’enfance, et constitue le sommet émotionnel de l’œuvre du cinéaste. On regrette alors à peine le côté quelque peu chaotique de ce qui a précédé.

[2/4]

« Simon Werner a disparu… » de Fabrice Gobert (2010)

Le film nous apprend une chose, de manière décisive : ce n’est pas de côté-ci qu’il faut regarder si on veut chercher le renouveau ou même l’avenir du cinéma français. «Simon Werner a disparu…» est un film d’une médiocrité sans nom, réalisé par un jeune cinéaste qui doit nécessairement avoir pour lui d’être un sacré baratineur et un petit malin. On peut en effet se demander comment Gobert a réussi à obtenir les financements pour réaliser une telle supercherie, mais surtout comment il a fait pour embarquer dans l’aventure Agnès Godard, la photographe attitrée de Claire Denis, et le groupe new-yorkais Sonic Youth… Non pas qu’Agnès Godard ait déjà participé au moindre chef d’œuvre, ou que Sonic Youth soit un grand groupe de musique (ils le furent un jour cela dit), groupe qui s'affirme comme spécialiste des bandes originales de navets français (ils étaient déjà à l’œuvre dans le catastrophique «Demonlover» d’Assayas), mais quand même, quand on voit à quel point le film est de mauvais goût et comment il révèle la futilité du projet cinématographique de Gobert, on peut s’interroger. Pour être plus clair, le scénario n’a rien à envier à un banal épisode d’un quelconque feuilleton télé français pour adolescents pré pubères, avec tous les clichés possibles dans le portrait dressé de la jeunesse lycéenne : le beau gosse, l’homo, la «gothique» et ses cheveux rouges, la bombe du lycée, le fils de prof coincé avec la raie au milieu, etc… Tous ces clichés interprétés par des non-acteurs, certes mauvais, mais en possession d’un texte qui n’est pas là pour les aider (je n’ai pas souvenir qu’au lycée je parlais de mes camarades en citant leur nom et prénom comme le font les ados du film: «Peut-être qu’on devrait aller à la fête de Jérémie Legrand ?»…). Quant à la forme (mais aussi toujours au fond finalement), Gobert cache mal sa fascination pour le gugusse du cinéma indépendant américain, celui qui fait des films à partir de rien, le bien nommé Gus vent Sant et son film palmé «Elephant». On peut même parler franchement de plagiat : Gobert ne se contente pas de reproduire le principe des mêmes séquences remontrées sous différents points de vue mais pousse le vice jusqu’à faire des plans séquences dans les couloirs du lycée en suivant les personnages de dos… Même si le film de van Sant n’était pas un chef d’œuvre, ses plans séquences avaient quand même une autre allure que le pauvre spectacle offert par ce navet. Gobert se rêverait d’être le van Sant français (rêve déjà, en soi, bien attristant et révélateur d’une misère artistique certaine), mais il n’en est qu’un ringard avatar. «Simon Werner a disparu…». Espérons qu’il en sera de même pour Fabrice Gobert à l’affiche de nos salles de cinéma.

[0/4]

dimanche 3 juillet 2011

« Voyage à Tokyo » (Tōkyō monogatari) de Yasujirō Ozu (1953)

    Un chef-d'oeuvre. Voilà ce que l'on peut qualifier sans trop se tromper de perfection cinématographique. Un film qui refuse la dramaturgie traditionnelle et tout effet lacrymogène pour se concentrer sur l'indicible, le temps qui passe, la désintégration de la cellule familiale, la reconstruction du Japon d'après-guerre, le passage d'une génération à une autre, l'isolement, l'amour filial, des sentiments qui peinent à s'exprimer par les gestes ou les mots, un rythme lent et contemplatif... C'est le cours de la vie qu'Ozu dépeint, dans toutes ses contradictions, ses joies et ses peines, avec une subtilité qui force l'admiration : tout n'est que suggestion et retenue, une extraordinaire pudeur. Il est d'ailleurs bien difficile de décrire ce que l'on peut éprouver en tant que spectateur en regardant une telle oeuvre, sinon une sensation de discrète mélancolie, calme et douce, un émerveillement attendri devant la beauté indescriptible de ces plans inimitables, de ces personnages si humains et ce montage si organique... Le « Voyage à Tokyo » fait partie de ces films atteints par la grâce, réalisés par des artistes en pleine possession de leurs moyens, mais s'apparentant à tout sauf à une « démonstration de force ». Le dépouillement, voire l'austérité de la manière d'Ozu surprend au premier abord, mais pour qui se laisse porter par cette façon de faire si simple et si riche à la fois, voilà un film qui promet un moment bien émouvant. La mise en scène est magistrale, cet art de la composition du plan, fait de plein et de vide, est décidément tout japonais, et la façon particulière dont Ozu se sert du cinématographe lui permet de s'attarder sur ce que l'on a tendance à négliger, aussi bien d'un point de vue artistique et visuel, que d'un point de vue sentimental : ici l'affection des enfants envers leurs parents. Le « Voyage à Tokyo » est loin d'être le seul chef-d'oeuvre d'Ozu, à vrai dire nombreux sont ses longs métrages à l'égaler aisément, ce n'est donc pas à proprement parler le sommet de sa filmographie (il était d'ailleurs agacé que l'on puisse en voir le summum de son art, et il n'avait pas tort), mais l'une des multiples réussites qui émaillent sa carrière cinématographique. Incontournable.

[4/4]

samedi 2 juillet 2011

« Pink Floyd : The Wall » d'Alan Parker (1982)

    Il est indéniable que ce film démontre une grande ambition de la part de Roger Waters et Alan Parker. Sa structure même, les thèmes qu'il aborde, les différentes techniques utilisées lui donnent une ampleur certaine. Et il faut bien le dire, son propos reste, du moins pour une part, encore d'actualité, quant à cet enfermement dans une société qui emmure en lui-même l'individu, pour n'en faire plus qu'une sorte de consommateur passif, « confortablement engourdi ». « The Wall » comporte donc d'excellents passages, terrifiants, et qui plus est accompagnés d'une bande-son connue de tous, appréciable dans ses meilleurs moments. Voilà pour les qualités de ce long métrage. Maintenant, si l'on s'attarde sur les défauts l'on ne peut que regretter la surabondance d'effets, de passages outranciers pas du meilleur goût, et autres clichés qui plombent la qualité du film dans son ensemble, qui reste très morcelé en passages différemment réussis... Rien que la bande-son, l'album des Pink Floyd, est inégale : à mon sens c'est loin d'être leur meilleur opus. A l'image du film, il s'agit avant tout d'un concept, et c'est trop souvent l'idée qui prime sur l'art, un regard sur la société et soi-même exprimé avec une certaine acuité, mais qui se fond fort mal dans des images et des sons dénués trop souvent d'une quelconque retenue ou beauté. « The Wall » est très daté : certes les thèmes qui le traversent ont quelque peu traversé le temps, mais son esthétique typique des années 80, sa symbolique franchement lourde, et finalement sa forme en font une curiosité qui vaut le détour, voire un sympathique essai, mais pas grand chose de plus...

[1/4]

vendredi 1 juillet 2011

« Tomboy » de Céline Sciamma (2011)

    Troublant! A défaut d'avoir totalement transformé l'essai, Céline Sciamma nous offre un film fascinant, parvenant à nous tenir en haleine avec trois fois rien 1h 30 durant. En premier lieu, saluons l'interprétation de la jeune héroïne, tout simplement parfaite. La petite fille qui joue sa soeur n'est pas en reste, elle est mignonne comme tout! Mais son « mérite » est tout autre (à cet âge là un enfant n'a guère besoin de « jouer » pour captiver l'attention), la jeune Zoé Héran par contre fait forte impression! Pourtant Céline Sciamma ne force jamais le trait (ou si peu), et tout reste d'un naturel bienvenu. Les autres enfants sont eux aussi bien trouvés, les parents par contre sont un peu moins convaincants, même s'ils restent dans le ton du film. Un film tendre et cruel à la fois, comme l'est l'enfance, laissant planer un suspense continuel : on vit véritablement à travers l'héroïne, et l'on appréhende comme elle les événements. Longtemps après le film, on reste encore interdit face aux nombreuses questions que pose le film, et surtout face au malaise qu'il installe chez le spectateur. La réalisatrice aborde en effet de nombreux aspects de l'enfance dans lesquels on peux souvent se reconnaître, notamment dans tout ce qui touche à l'acceptation de soi et au regard des autres. Céline Sciamma parvient ainsi à installer une atmosphère, à faire vivre ses personnages, et plus encore, à faire de son long métrage davantage qu'une simple bonne idée, grâce à son équipe donc et aux talentueux interprètes, mais aussi par sa jolie mise en scène, simple et sobre. Néanmoins, au vu du sujet et des cartes dans sa main, Céline Sciamma avait de quoi faire un grand film, plus terrible et plus ambigu encore. A vrai dire la trame du long métrage est un peu trop linéaire, sans grande surprise, et l'on attend durant tout le film le moment qui viendra tout bouleverser, pour lui conférer une dimension supplémentaire. Ce moment ne viendra pas, mais ce n'est peut-être pas si mal : l'équilibre du film, déjà fragile, aurait certainement été rompu. Pas un chef-d'oeuvre donc, loin de là, mais un plutôt bon film!

[1/4]

jeudi 30 juin 2011

« Le Narcisse noir » (Black narcissus) de Michael Powell et Emeric Pressburger (1947)

    Un film sensuel comme un bloc de marbre... Je ne peux m'empêcher de penser au « Fleuve » de Renoir, et comparer ces deux oeuvres, voire les deux « nations » qui se confrontent de cette façon : peut-on voir en ces deux longs métrages l'un britannique et l'autre français (du moins pour ce qui est de leurs réalisateurs respectifs) un bon aperçu des différences culturelles qui nous séparent? C'est peut-être un raccourci hâtif... Toutefois une chose est certaine, « Le Narcisse noir » est un film raide comme ses décors en carton pâte, froid car mécanique et artificiel, sans âme et sans passion. C'en est même fascinant tant chaque plan est savamment construit et élaboré par nos deux compères, sûrs de leur bon goût et de leur raffinement, tandis qu'à chaque fois un petit détail vient désamorcer le sérieux (hilarant malgré lui) du film : un arrière-plan tremblant dans des passages censés nous couper le souffle par leur cadrage vertigineux, un humour lourdingue, des nonnes d'un ridicule, un mâle, un vrai au torse velu, et trottinant sur un poney trop bas pour lui (inoubliable), des éclairages qui ne trompent aujourd'hui plus personne, des protagonistes écrits à la truelle, clichés au possible, une sorte d'histrionne édentée qu'on voudrait jeter du haut de la falaise factice du couvent... Bref, « Le Narcisse noir » est un monument d'académisme cinématographique, un film où tout est lisse et bien à sa place, mais qui n'a absolument aucune raison d'être. A vrai dire je ne suis guère étonné à présent que Powell ait pu « commettre » cet horrible film puritain qu'est « Le Voyeur » : c'est la même sensibilité si j'ose dire qui émane de ce film, baignant constamment dans un second degré trivial sous ses atours de  chef-d'oeuvre de magnificence et de psychologie. Un film assez bête il faut bien le dire, ou plutôt niais : voilà le mot qui convient le mieux au « Narcisse noir ». Je ne peux m'empêcher de songer à un autre film portant sur un sujet relativement similaire : « Mère Jeanne des anges », de Jerzy Kawalerowicz, autrement plus inoubliable! Et pour revenir enfin à la comparaison avec « Le Fleuve » de Renoir : ce dernier est non seulement passionnant, profond et formidablement émouvant. Mais il est aussi beau à chaque instant qui s'écoule. En dépit de sa photographie sophistiquée et de sa pompe orchestrée à grands coups d'archets hollywoodiens, « Le Narcisse noir » ne peut même pas en dire autant. Hélas, le « beau » cinématographique ce n'est pas seulement filmer de beaux décors et de beaux acteurs à l'aide de beaux cadrages...

[1/4]

« Week-end » de Jean-Luc Godard (1967)

    Hum... Que dire devant ce véritable suicide cinématographique? Je ne sais même pas si ça vaut la peine que j'en parle, il faut le regarder, tout simplement : le voir pour le croire. Ce n'est ni bon ni mauvais, ou plutôt si, c'est à la fois bon et extrêmement mauvais, et le résultat est à peine moyen. Mais on rit beaucoup, c'est déjà ça! On retrouve tout l'humour godardien, se jouant des codes sociaux comme cinématographiques dans un esprit résolument régressif. « Week-end » est une plaisanterie adolescente, mais quelle plaisanterie! Une sorte de mauvaise farce rimbaldienne, trainant avec elle son lot de tics exaspérants, de bêtise insondable... et de moments réjouissants, et même touchants (bien qu'ils soient rares, je le concède). Je vois dans ce film l'équivalent soixante-huitard (à peu de choses près) du « 99 Francs » de Jan Kounen. Un truc à la fois d'un mauvais goût savamment cultivé, fascinant et vomitif à la fois, et d'une justesse certaine, dans sa capacité à capter l'esprit d'une époque dans ses pire défauts et apparences, et à en faire quelque chose... d'aussi contradictoire. Bon, ce quelque chose vaut ce qu'il vaut, mais malgré tout (et surtout malgré lui) il invite quelque peu à la réflexion, notamment sur ce qui nous entoure et la société dans laquelle on vit : « Week-end » est encore d'actualité, c'est étonnant à quel point, et je ne sais pas s'il faut s'en réjouir... Bref, dans « Week-end » Godard s'amuse comme un sale gosse, et on le suit la plupart du temps. Certains passages sont vraiment ratés, et laissent entrevoir les rouages de la mécanique godardienne (le côté improvisation théâtrale qui n'a rien à dire et fait tout pour attirer l'attention du spectateur. Horrible). D'autres par leur répétition viennent amoindrir la puissance du film (pourquoi cette manie de répéter des passages qui ont bien marché au début du film? C'est une énigme pour moi...). Et puis d'autres encore, sont tout bonnement irrésistibles. C'est loin d'être le meilleur Godard, mais il vaut le coup d'oeil! Attention à l'indigestion toutefois...

[2/4]

« The Tree of life » de Terrence Malick (2011)

    Trop. Trop d'images, de sons,... Trop de plans, de choses inutiles, répétitives, forcées, trop de symboles, de pellicule, de musique (le grand Bach côtoie... la soupe signée Alexandre Desplat)... Et trop de déjà-vu. « The Tree of life » est un film raté, profondément raté. Pour faire simple, c'est le « Miroir » de Terrence Malick revisité par Gaspard Noé (cette caméra omnisciente qui plonge à n'en plus finir). Mais ce qui a été fait une fois ne peut l'être une seconde (en ce qui concerne « Le Miroir » j'entends), « The Tree of life » n'est donc qu'un film d'un réalisateur qui cherche à être autre, à être « le plus grand » : les seuls moments réussis et vraiment bouleversants du long métrage, ce sont certains moments dramatiques, concernant la famille, réellement « créés pour le film » (ou du moins ce sont les seuls passages à sembler l'être). Le reste est de l'art pour ceux qui ne croient que ce qu'ils voient. Malick choisit alors de montrer, beaucoup. Mais il est certaines choses que l'on ne peut pas montrer, que l'on ne peut, humblement, que suggérer. Qu'il emprunte (là aussi beaucoup) à Yann Arthus Bertrand (sic), à Brahms, à Tarkovski ou à Kubrick rien n'y fait, Malick s'est perdu dans ce projet gargantuesque, exactement le type de projets infaisables sur le papier, et qui gagnent à ne rester qu'un rêve. Une fois à l'écran, il s'agit d'une mécanique rutilante, de la poésie pour mangeurs de pop-corn (passez moi l'expression, mais l'on se demande souvent si Malick ne cherche pas trop à se faire comprendre, surtout d'un certain public). En fait, son chef-d'oeuvre, il l'a réalisé depuis bien longtemps. C'est « La Balade sauvage ». Question de forme et de concision sans doute, de sincérité et de spontanéité surement. Depuis, chacun de ses films n'a fait que ternir un peu plus son aura de réalisateur mythique. Le voilà en passe de devenir ringard, commun, vidé de toute émotion, embourbé dans une esthétique new age fatigante, et des tics de réalisation aujourd'hui clairement ostensibles... Dommage, vraiment. Il aurait mieux fait de ne pas sortir de son silence, et d'en rester à ce qu'il avait fait, et bien. Car oui, Terrence Malick est, ou était un grand cinéaste, mais peut-être ne le sait-il pas, et court-il après autre chose que du cinéma... Pour revenir à « The Tree of life », c'est un film non fini, auquel il faudrait retirer des heures et des heures (je vous l'accorde, il n'en resterait pas grand chose), et oui ce serait un grand film, immense même. De toute évidence Malick n'a pas su où couper, car tout aurait été à refaire en ce cas, ou d'un autre point de vue. La structure même du film le plombe, sans compter qu'elle n'est pas rattrapée par l'esthétique façon National Geographic ou pub pour voitures d'une « beauté » toute relative... En somme, un échec cinglant.

[1/4]

mercredi 29 juin 2011

« Une Séparation » (Jodaeiye Nader az Simin ) d'Asghar Farhadi (2011)

    D'emblée, Asghar Farhadi nous place en position de juge : au tout début du long métrage, nous sommes au tribunal, le couple des protagonistes principaux nous faisant face, tandis que l'on entend en voix-off parler le magistrat chargé de régler leur différend. Et tout au long du film, nous serons à la fois témoins des événements : que s'est-il passé? disent-ils la vérité? sont-ils sincères? et juges des personnages : qui punir? pourquoi?... « Une Séparation » rappelle à notre bon souvenir « Rashômon » et plus proche encore par bien des aspects « Close up », d'Abbas Kiarostami. Différence de taille : « Une Séparation » accorde moins de place à la beauté de l'image, pour se centrer sur la dramaturgie de l'intrigue, excellente soit dit en passant. De plus, les interrogations qui nous assaillent ne sont pas du même ordre, même si bien des points communs sont dénombrables : les questions relatives à l'homme et à la femme, à l'état, à la justice, à la bureaucratie, au travail, à l'enfance, à la famille, et bien sûr, entre autres, à la vérité sont soulevées, mais surtout pour en faire un état des lieux de l'Iran d'aujourd'hui (par extension, la suggestion étant de mise ici). « Rashômon » et « Close-up » sont des films relativement abstraits, l'un dans le temps et l'autre dans sa narration. Ici Asghar Farhadi nous livre un film extrêmement réaliste quoique pudique, explicitement contemporain, et difficile de ne pas se retrouver parmi tous ces tracas qui accablent les protagonistes, tant la vie d'aujourd'hui n'est guère différente de celle qui se déroule à l'écran. De surcroît le réalisateur se garde bien de tirer des conclusions : les faits parlent d'eux-mêmes, du moins parlent-ils jusqu'à un certain point, et c'est là tout le problème. Je ne sais si « Une Séparation » méritait son Ours d'or, n'ayant pas pris connaissance de la sélection, mais une chose est sûre : il mérite le coup d'oeil. Quant aux interprètes, je ne crois pas non plus qu'ils aient volé leur prix, sans être extraordinaires ils sont très justes!

[3/4]

mardi 28 juin 2011

« La Prisonnière du désert » (The searchers) de John Ford (1956)

    Le western n'est pas vraiment ma tasse de thé, mais je concède volontiers que John Ford et ses célèbres « Searchers » ont fière allure! Il s'agit là d'un film épique digne de ce nom, d'une passionnante quête aussi bien spirituelle qu'initiatique, maquillée en divertissement de haute volée. Je ne peux que louer la qualité de l'écriture du long métrage, tant la galerie de personnages et le scénario réservent de nombreux moments de surprise! Les différents protagonistes sont en effet fouillés psychologiquement, et l'intrigue abonde en digressions et autres rebondissements des plus appréciables! De plus la mise en scène est de qualité, même si avec le temps elle a un peu perdu de son éclat en raison de son classicisme. Mais le fait est qu'elle sert le film, et que ce dernier demeure d'une harmonie bienvenue, Ford a donc réussi son coup si j'ose dire. Les interprètes sont bons, voire très bons, même si l'on pourra regretter de temps à autres des expressions empruntées. Il est vrai que le film fait parfois « fabriqué », on sent une mécanique bien huilée à l’œuvre, aussi bien dans les gags parfois maladroits et superflus (bien qu'ils soient souvent fort réjouissants!) que dans les scènes de dialogue et autres disputes. Eh oui, nous sommes bien à Hollywood, nul doute! Toutefois s'arrêter là serait faire preuve de mauvaise foi, car ce ne sont là que des défauts insignifiants au regard de la subtilité (si si!) du propos : « La Prisonnière du désert » est justement une œuvre qui intime de dépasser le premier abord et les faux semblants. Certes il s'agit d'un cinéma peut-être trop « romanesque » dans son écriture et sa dramaturgie, mais c'est aussi et avant tout un puissant récit, et il faut bien le dire un excellent film. S'il ne fallait voir qu'un seul western, ce serait donc peut-être bien celui-là (préférable aux Leone, plus clinquants au niveau de la mise en scène mais ô combien moins justes et profonds).

[4/4]