dimanche 7 avril 2013

« Cato Zoulou » (Cato Zulu) d'Hugo Pratt (1988)

    « Cato Zoulou » se déroule en Afrique du Sud à la fin du XIXème siècle. L'album est scindé en deux parties. La première raconte la fin absurde et tragique du jeune prince Eugène Louis Napoléon. On y retrouve l'attrait d'Hugo Pratt pour les destinées romantiques : idéaliste, épris de bravoure, le Français courra à sa perte. L'auteur italien en profite pour introduire un nouveau personnage, Cato Milton, tout aussi rustre et indiscipliné que le prince est distingué. Une autre facette de Pratt : le goût pour la bouffonnerie et le grotesque, parfois même pour le graveleux. L'autre partie de l'album est consacrée à la fuite de Cato, qui trouve refuge dans une caravane Boers, ne tardant pas à être attaquée par des Zoulous. « Cato Zoulou » compte parmi les œuvres « martiales » d'Hugo Pratt. Sa grande connaissance de l'histoire, des armées de l'époque, ainsi que des différentes cultures européennes et africaines, lui permet de faire revivre l'espace de 80 pages une histoire oubliée, avec un réalisme et une relative poésie appréciables. « Cato Zoulou » ne compte pas parmi les meilleurs bandes dessinées de Pratt, mais il s'agit néanmoins d'une solide aventure, où le goût du détail et de l'exotisme du dessinateur italien forcent l'admiration.

[2/4]

jeudi 4 avril 2013

« La Légende de la forteresse de Souram » (Ambavi Suramis tsikhitsa) de Sergeï Paradjanov et Dodo Abachidzé (1984)

    Quelle merveille! « La Légende de la forteresse de Souram » est une splendeur de tous les instants. Chaque image est soigneusement composée, restant pendant longtemps en mémoire. Paradjanov n'a pas son pareil pour dynamiser le cadre, pour faire se mouvoir avec grâce ses acteurs, utilisant au maximum tous les plans de l'image, de sorte que malgré la fixité du cadrage, elle semble animée d'une vie propre. C'est comme si le film vivait de lui-même, je ne trouve pas de meilleur mot pour exprimer la puissance évocatrice du cinéma de Paradjanov. Visuellement, ce long métrage est donc très riche, d'autant plus qu'il regorge de symboles. On ne retrouve un tel foisonnement pictural, une telle exubérance contrôlée, que dans les meilleurs œuvres de Fellini. Mais là, l'art du cinéaste arménien sert une vieille légende géorgienne, trahissant son goût pour les contes et le folklore traditionnel. Histoire d'amour déçu, ou d'abnégation d'un peuple et de ses héros, « La Légende de la forteresse de Souram » fait défiler chapitres et tableaux mystérieux près d'1h30 durant. Bien que simple, la trame est un peu nébuleuse, on se perd dans les personnages, les fils d'untel ou d'untel. Mais cela ne fait qu'ajouter au charme de l'ensemble, à son atmosphère onirique, insaisissable. La réalisation de Paradjanov ose tout, quand on croit avoir tout vu, on est encore surpris... Ce film est d'une poésie rare, que l'on ne retrouve que chez les plus grands, autant dire une poignée. Ce n'est peut-être pas avec ce long métrage qu'il faut découvrir Paradjanov (préférez « Les Chevaux de Feu », ou même « Sayat Nova », plus cohérent, encore que très original et déroutant dans sa narration), mais il se hisse aisément au panthéon du septième art, et il est donc indispensable, à mon sens, pour tout amoureux du cinéma qui se respecte, de l'avoir vu.

[4/4]

Citation du jeudi 4 avril 2013

« On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux. »

Antoine de Saint-Exupéry 
(Le Petit Prince, 1943)

samedi 30 mars 2013

« Amok » d'Atoms For Peace (2013)

    Depuis plus de 10 ans, et le basculement de Radiohead dans la musique électronique avec « Kid A », Thom Yorke use jusqu'à la corde une esthétique désincarnée. Épurant toujours plus sa façon de faire, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des « blips blips » synthétiques en guise de mélodie, sur fond de percussions tout aussi artificielles, le tout rehaussé par des miaulements dépressifs, ayant pris la place de toute voix humaine... En solo, accompagné d'un super-groupe (comme c'est ici le cas), ou avec Radiohead, la musique de Thom Yorke perd année après année en âme et en consistance, pour s'enfermer dans des tics et l'auto-parodie la plus crasse. L'oxfordien ne surprend plus, malgré ses tentatives avant-gardistes. Il avait pourtant un certain talent, que l'on retrouve dans telle ou telle ligne mélodique (bien évidemment ensevelie sous un amas électronique d'un goût plus ou moins sûr), tel ou tel rythme décalé (Stuck Together Pieces, seule chanson où l'on perçoive la présence d'un réel musicien, en l'occurrence un percussionniste latino-américain), ou une chanson comme Before Your Very Eyes (le titre inaugural d'« Amok », et de loin le meilleur). Les singles ayant précédé la sortie de l'album (Default, Ingenue et Judge Jury and Executioner) sont d'une banalité affligeante. Le reste n'est peu ou prou que remplissage (Dropped, Unless, Reverse Running, Amok). Et que dire des paroles, tristes et absconses à mourir... Serait-il temps pour l'ami Yorke de quitter la scène musicale ?

[0/4]

jeudi 21 mars 2013

« Shara » (Sharasojyu) de Naomi Kawase (2003)

    Au risque de me répéter, le cinéma de Naomi Kawase me laisse indifférent. Non pas qu'il n'ait aucun intérêt (encore que), mais ses personnages désincarnés, taciturnes, le regard vide, peinent à me toucher. D'autant que la spiritualité que tente d'incarner la cinéaste japonaise demeure au stade de joli cliché. A trop épurer son art, il n'en reste pas grand chose. Peut-on parler de scénario ? Peut-on parler de cadrages ? Peut-on parler de réalisation ? Peut-on parler de film ? « Shara » laisse un goût d'inachevé dans l'esprit du spectateur. Pourtant, il abonde en idées, hélas non approfondies. Bien que bancale, la séquence d'ouverture du film réserve quelques belles images, et est empreinte de mystère. La scène de la danse de Basara, là encore inégale, est le point culminant du film : pleine d'énergie, c'est peut-être le seul moment qui justifie l'existence de ce long métrage. On se laisse hypnotiser par la musique lancinante, et la jeune et jolie Yuka Hyodo. Mais après, que reste-t-il ? Une caméra portée maladroite et exaspérante, un sentiment de paresse de la part de l'auteure et réalisatrice, et de vide total... Sans parler de cet aspect factice dont son art ne semble décidément pas pouvoir se défaire. On ne croit pas aux personnages (allez, sauf peut-être en l'héroïne), on voit juste des acteurs amateurs, tentant d'exister malgré une absence criante de dialogues (sans compter que les rares paroles échangées sonnent faux). Du coup, ils posent... Les comparaisons avec Tarkovski et Erice ne sont pas sérieuses : ce qui manque au cinéma de Naomi Kawase, c'est une âme! En lieu et place, elle nous offre un pâle essai new age... 1/4 pour le film, et 1/4 pour la scène de la danse : nous arrivons péniblement à deux.

[2/4]


samedi 9 mars 2013

« Les Petites Filles modèles » de la comtesse de Ségur (1858)

    Un autre livre admirable de mon enfance. « Les Petites Filles modèles » est un ouvrage charmant, d'une fraicheur intemporelle. La comtesse de Ségur y conte avec grâce et bienveillance les aventures de quatre petites filles plus ou moins sages. Camille et Madeleine de Fleurville sont la bonté même, altruistes, généreuses et raisonnables. Marguerite de Rosbourg, quant à elle, est une petite fille plus spontanée, qui se laisse parfois rapidement emporter. Sophie, pour finir, est turbulente, nerveuse et gauche. Battue par sa belle-mère, l'odieuse et ridicule Madame Fichini, elle court de bêtises en bêtises. L'action se déroule au château de Fleurville, tenu par la vertueuse Madame de Fleurville, veuve de son état, et par ses loyaux domestiques. « Les Petites Filles modèles » est un instantané d'une époque révolue, aux images quelque peu surannées. Néanmoins il condense de façon universelle la candeur de l'enfance, ses joies, ses peines, sans jamais se départir d'un regard tendre et généreux. La comtesse de Ségur y emploie un français simple mais distingué. Et les différentes scénettes qu'elle égrène le long de son ouvrage sont réjouissantes par leur naïveté et leur caractère initiatique pour ses jeunes héroïnes. Un vrai petit classique.

[4/4]

lundi 4 mars 2013

Citation du lundi 4 mars 2013

« Qu’est-ce que dessiner ? Comment y arrive-t-on ? C’est l’action de se frayer un passage à travers un mur de fer invisible, qui semble se trouver entre ce que l’on sent et ce que l’on peut. Comment doit-on traverser ce mur, sachant qu’il ne sert à rien d’y frapper fort ? A mon avis on doit miner ce mur et le traverser à la lime, lentement et avec patience. »

Vincent van Gogh
(Lettre à Théo, 22 octobre 1882)

dimanche 3 mars 2013

« October » de U2 (1981)

    La musique de U2 a progressivement perdu sa qualité (et il faut bien le dire son âme) à mesure que le groupe a gagné en influence sur la scène internationale. « October » n'est que le deuxième album du groupe irlandais, mais pourtant il est avec « War » (encore plus abouti, et parsemé de succès planétaires) à mon sens le meilleur album de U2. Empli d'un souffle et d'une spiritualité peu communs alors pour un groupe rock (encore plus aujourd'hui), « October » comporte d'excellentes chansons tout en restant homogène. Au premier rang desquelles Gloria, qui ouvre majestueusement l'album. Bono chante avec sincérité et exaltation le Seigneur, dans l'un des tous meilleurs titres de sa carrière. Les paroles sont merveilleuses... et l'on peut en dire de même pour le reste de l'album. S'ensuivent I Fall Dawn et I Threw a Brick Throuh a Window, de très bonnes chansons. Rejoice est énergique, et annonce Fire, l'un des sommets de l'album. La musique est envoûtante, à la fois menaçante et mystérieuse, tandis que les paroles sont empreintes d'une poésie presque apocalyptique. Tomorrow est une chanson plus apaisée et personnelle, dédiée à la mère, décédée, de Bono. October est elle aussi une chanson calme, mélancolique, avec peu de paroles, mais ô combien déchirante. With a Shout (Jerusalem), est tout comme Gloria une chanson exaltée, habitée par la voix de Bono, au texte ouvertement chrétien. Stranger in a Strange Land comporte quant à elle des paroles plus sombres, évoquant la solitude la plus noire. Scarlett est évanescente, diaphane, énigmatique. Is That All, enfin, clôt l'album avec panache, chantée toujours avec la même foi par Bono. « October » est donc un albums accompli, à la fois sincère, profond et contrasté. Et tout simplement beau.

[4/4]

dimanche 10 février 2013

samedi 12 janvier 2013

« Épouses et concubines » (Da hongdenglong gaogao gua) de Zhang Yimou (1991)

    Un film très beau... et terrible à la fois! Zhang Yimou dénonce dans ce long métrage l'horreur de la condition des femmes chinoises au début du XXème siècle. Songlian est une jeune fille pauvre de 19 ans, qui a dû quitter l'université, où elle n'a étudié que six mois, faute d'argent. Elle choisit alors de se marier à un homme riche, et devient... sa quatrième épouse. Elle découvre un monde clos sur lui-même, étouffant (l'impression d'enfermement est renforcée par la mise en scène très insistante du réalisateur chinois), alors que les manœuvres de ses rivales pour s'approprier les faveurs du maître des lieux lui mènent la vie dure. Baigné par le rouge des lanternes, qui annoncent la favorite du seigneur et celle qui peut gouverner pour un moment les serviteurs de la maisonnée, « Épouses et concubines » brille par la beauté de sa réalisation. Les cadrages sont méticuleux, les plans choisis avec soins, évitant tout superflu, tout en suggérant avec une économie de moyens remarquable le drame intérieur de ces femmes livrées au bon vouloir d'un homme qui les possède et les rend folles de jalousie. Car ce que dépeint avant tout Yimou, c'est la bassesse des sentiments humains dans une situation où l'amour se marchande. Il y a bien peu d'espoir dans cette demeure où l'on ne sort jamais : les plans aériens de ces cours enserrées par les toits finissent par donner la nausée. D'ailleurs, pour renforcer ce sentiment d'abandon et d'humiliation, on ne voit jamais le visage du maître, toujours filmé de loin ou de dos. Il est ainsi proprement inhumain, comme l'est en un sens « Épouses et concubines », tant sous l'éclat de sa mise en scène il donne à voir une noirceur insoutenable. Notons pour finir la beauté de la musique qui accompagne l'image!

[3/4]