vendredi 27 mai 2011

« Mystères de Lisbonne » (Mistérios de Lisboa) de Raoul Ruiz (2010)

De «Mystères de Lisbonne» émane un réel plaisir de la narration et du récit. Le film est construit comme une succession d’anecdotes et d’histoires adoptant la forme des poupées gigognes, toutes reliées entre elles par des personnages en commun et tissant une toile autour du même centre, qui constitue le cœur de l’intrigue, un jeune enfant à la recherche de ses parents et de ses origines. On croise et recroise de nombreux personnages, on navigue dans un temps très étalé et pas toujours forcément identifiable, avec des retours en arrière permanents, de longues ellipses (parfois assez mal venues, on sent alors que le film est la version amputée d’une série). Cet enchaînement de récits, narrés par différents protagonistes, ne fonctionnent pas, comme souvent dans les séries télé, par accumulation d’informations et de rebondissements nous rapprochant chaque fois un peu plus du dénouement. Les différents récits prennent ici très vite leur indépendance, sont autant de parenthèses à la «grande histoire» qui est celle de l’enfant. On a alors le sentiment que le film pourrait ainsi être sans fin, que Ruiz pourrait indéfiniment ouvrir de nouvelles parenthèses... Mais ce sentiment, et c’est là que le film est remarquable, n’engendre pas l’ennui. Les tenants et aboutissants du film n’ont pourtant rien de bien originaux ni de très profonds, et correspondent parfaitement à ceux des feuilletons télé romanesques habituels. On a droit aux drames familiaux et amoureux, aux trahisons, aux vengeances passionnelles. Mais voilà, pour ceux qui en doutaient encore, c’est désormais une évidence : Ruiz sait filmer. Alors certes, ces mouvements d’appareils parfois un peu acrobatiques, ces cadrages ostentatoires, ces plans séquences de plusieurs minutes, ne sont pas toujours au service d’une idée précise de mise en scène, et on a parfois l’impression que Ruiz s’amuse aussi avec sa caméra, tout comme il s’amuse à nous raconter des histoires. Mais le plaisir qu’il prend est communicatif, et il paraît difficile de résister à la séduction qu’exerce le film. Même si l’esprit est souvent en sommeil (malgré une mise en abîme de la théâtralité qui fait sens), l’œil est flatté, et Ruiz parvient par ailleurs à donner une belle épaisseur à ses personnages. Il parsème ici ou là son film de quelques incongruités et bizarreries dont il est si friand et qui donnent une personnalité et une ambiance particulière à ces «Mystères de Lisbonne», qui constituent l’une des rares réussites d’un genre qui semblait réservé à la littérature. Au final, on en retient pas grand chose, si ce n‘est quelques plans à la beauté singulière, et puis la séquence finale, magnifique. Mais on a passé quelques 4h30 de cinéma très agréables. Et c’était pas gagné.

[2/4]

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