mardi 31 mai 2011

« La reconstitution » (Anaparastasi) de Theo Angelopoulos (1970)

Un homme, émigré grec travaillant en Allemagne, est de retour au domicile familial, dans un petit village d’Epire. Là, il est assassiné par sa femme et l’amant de celle-ci. Le film d’Angelopoulos est la reconstitution de ce meurtre, ou plutôt les reconstitutions de ce meurtre. C’est ainsi que l’on assiste à pas moins de 5 points de vue du même forfait : la version de la femme, la version de l’amant, l’investigation des journalistes basée sur les témoignages des villageois, l’enquête de police qui tente une reconstitution du crime et enfin la fiction tournée par Angelopoulos qui, par le biais de plusieurs flashbacks, nous montre l’avant et l’après meurtre. Le cinéaste ne dévoilera cependant jamais la clé de l’intrigue, à savoir qui des deux complices a réellement commis l’acte meurtrier, en étranglant la victime. Dans la très belle séquence finale, Angelopoulos nous propose sa version du crime, qu’il laisse totalement hors-champ : tout reste caché derrière la porte… Les différentes strates du récit s’entremêlent dans une narration éclatée et non linéaire, qui, en tuant le suspense, déplace l’enjeu du film vers des ambitions bien plus hautes: il ne s’agit plus dès lors de savoir comment («La reconstitution», comme son titre pourrait le laisser penser, n’est pas un film policier), mais de comprendre pourquoi. Angelopoulos dessine quelques pistes en imprégnant son film d’une forte dimension sociale, évoquant, parfois dans un registre proche du documentaire, les problématiques de la migration de travail, de la misère dans les villages et du vieillissement des campagnes. Le film s’ancre ainsi dans un contexte géographique et temporel précis, sentiment renforcé par l’utilisation d’une musique traditionnelle. Nous ne sommes cependant pas là en terrain naturaliste ou réaliste. Filmé en plans séquences dans un très beau noir et blanc, le film distille une ambiance particulière, avec cette pluie et cette fange, ce ciel souvent menaçant, ces pierres grises, ces vieillards bossus épiant derrière les fenêtres... Le décor naturel, ce village accroché à la colline, prend une âme et une personnalité singulières. Dès sa première réalisation, Angelopoulos fait preuve d’une maîtrise formelle certaine. Il s’attarde dans les interstices du récit, sur les visages, les déplacements des personnages, invitant le spectateur à prêter son attention sur les gestes, les regards, les lieux. «La reconstitution» est un très beau film, improbable mariage cinématographique entre Bela Tarr et Kiarostami, jugé fort justement en son temps comme particulièrement prometteur.

[2/4]

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