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lundi 4 juin 2012

« Habemus Papam » de Nanni Moretti (2011)

    Un film léger, assez sympathique mais un peu court. « Habemus Papam » c'est l'histoire d'un Pape qui ne peut assumer sa charge, et aller à la rencontre des fidèles sur le célèbre balcon du Vatican. Tout est bon alors pour le ramener à la raison, la mystification comme le recours à la psychanalyse, par l'entremise d'un éminent professeur, en la personne de Nanni Moretti. Les résultats hélas ne seront pas à la hauteur des attentes des légats du Pape. Ce sera malgré tout l'occasion pour nous d'assister à une représentation fantaisiste de l'entourage du Pape, de tous ces cardinaux réunis en un conclave qui s'éternise. Plusieurs séquences d'un humour presque enfantin dépeignent le quotidien de ces hommes dont la charge est souvent bien lourde pour leurs épaules âgées. Nanni Moretti, avec un talent certain, nous offre une image d'Epinal du Vatican, perturbé par ce Pape qui n'ose se montrer. La mise en scène, sobre, est bien travaillée. Le scénario se déroule sans accroc, bien qu'on puisse lui reprocher son manque de consistance. Et les acteurs, Michel Piccoli en tête, sont excellents. Mais Nanni Moretti peine à dépasser le stade de la bonne idée de scénario. Son histoire évoque avec justesse la charge énorme qui incombe au Pape. Il se permet de surcroît des incursions vers le théâtre. Mais rien de bien renversant. « Habemus Papam » est donc un bon petit film, et c'est déjà beaucoup. Mais j'en attendais un peu plus...

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vendredi 1 juin 2012

« Moonrise Kingdom » de Wes Anderson (2012)

    Un sympathique long métrage, quoi qu'un peu ennuyeux. Wes Anderson est de ces cinéastes systématiques, voire obsessionnels, possédant un univers visuel bien à eux, quitte à réaliser d'une certaine façon toujours le même film. On retrouve ainsi la mise en scène habituelle du réalisateur américain, faite de plans soigneusement construits, de panoramiques, de cadres serrés, le tout avec une certaine poésie de l'image, tendance rétro. On retrouve en effet les teintes surannées si chères à Wes Anderson, qui emplissaient « La Vie aquatique » ou « A bord du Darjeeling Limited ». On est donc en terrain connu si j'ose dire. Hélas, c'est peu dire que Wes Anderson ne se renouvelle pas : sa mise en scène est trop rigide et codifiée pour laisser libre cours à son imagination, le film se résume peu ou prou à une suite de miniatures vivantes assez amusantes, mais qui restent en surface. Anderson soigne l'image, mais celle-ci n'a aucune profondeur, sans compter que le montage est assez lâche, si bien que les scènes s'enchaînent sans garder cette pertinence qui nous empêcherait de bailler aux corneilles. Finalement, donc, « Moonrise Kingdom » est comme une suite d'instantanés type Polaroid, guère plus. Car si l'on en vient à considérer l'intrigue, ce n'est pas non plus de ce côté là que l'on trouvera notre bonheur. Wes Anderson nous offre une malicieuse histoire d'amour entre un boy scout et une fille de 12 ans, tous deux « perturbés mentalement » (sic). Une histoire qui se déroule de façon assez monotone : on sourit sans rire aux éclats, et on s'ennuie poliment. Les acteurs ne sont pas mauvais mais ne brillent pas non plus par leur excellence. En bref un film moyen, plutôt bien réalisé mais manquant singulièrement de chair et d'âme.

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jeudi 26 janvier 2012

« Maître du monde » d'Enrico Giordano (2011)

    Un homme, seul, égaré dans une nature sauvage. Un homme en quête de rédemption nous dit-on. Richard Cruzot, seul personnage de ce film minimaliste, est un trader, en français un courtier, qui cherche à échapper au monde de la finance pour se retrouver face à lui-même. Mais difficile de voir une quelconque rédemption dans ce parcours somme toute bien aride. On voit le héros de ce film brûler sa chère cravate rouge, se nourrir, se baigner, marcher, le tout dans un silence assourdissant et une terrible solitude. C'est tout. Qu'arrivera-t-il à ce personnage à la fin du long métrage ? Nous n'en saurons rien. La fin reste tristement ouverte, comme pour signifier la défaite du réalisateur, qui délaisse son personnage. Un personnage à qui il n'aura pas réussi à donner chair. Boris Baynet est censé porter le film à lui tout seul, nous ne verrons qu'un acteur jouer au Robinson Crusoë des temps modernes, abandonné dans une nature photographiée comme dans une pub de luxe. L'esthétique déployée par Enrico Giordano n'aide pas à humaniser ce film, presque étouffant tant il n'a rien ou presque à nous dire sur le sort de cet homme (ou de l'Homme). Voilà une oeuvre bien désenchantée, à la vision de laquelle on ne ressort gère grandi...

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lundi 16 janvier 2012

« A la recherche de Drimé Kunden » de Wanma Caidan (2009)

    Film tibétain sorti en 2009, « A la recherche de Drimé Kunden » nous conte les pérégrinations d'un réalisateur et de son équipe, en quête d'un acteur pouvant jouer le rôle traditionnel de Drimé Cunden, dans la pièce éponyme. L'occasion de découvrir un pan de la culture tibétaine aurait pu nous être donnée, malheureusement elle a été manquée. Le cinéaste en reste trivialement au premier degré de son propos : on le suit sur les routes, traversants villes et monastères, comme dans une sorte de road trip contemporain. Et c'est tout. Ça aurait pu être au Tibet comme n'importe où ailleurs... L'esthétique reste très sobre, quelques beaux plans pointent ici et là (rarement il faut le dire), mais finalement on reste sur sa faim. On n'apprendra pas grand chose du Tibet, sinon qu'il s'occidentalise comme bien des pays asiatiques. Dommage...

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vendredi 13 janvier 2012

« Tempo di viaggio » de Tonino Guerra et Andreï Tarkovski (1983)

«Tempo di viaggio» est une sorte de carnet de voyage cinématographique, mais pas vraiment. Il n’y a en effet ici nulle interrogation du réel, ni quelconque trace d’un périple à vocation ethnographique ou anthropologique. Ce n’est pas vraiment un documentaire non plus, tant tout y semble faux et truqué, ni même un carnet de notes cinématographiques à la manière de Pasolini. On dira que c’est un document visuel sur Tarkovski, alors en repérage en Italie au côté du scénariste Tonino Guerra pour le tournage du chef d’œuvre «Nostalghia». Ce qui m’a beaucoup gêné, c’est que le document ne parvient jamais à capter une réalité, un instant. Tout y semble fabriqué de toutes pièces, mis en situation, organisé (à l’exception d’une seule séquence dans laquelle Tarkovski et Guerra partagent le repas de pêcheurs). Tout y sonne faux. Parvient quand même à transparaître, derrière tout ce factice, la divergence de sensibilité des deux hommes dans leur appréhension des décors italiens. Guerra ne cache jamais son enthousiasme à faire découvrir au cinéaste les beautés de l’Italie, beautés que celui-ci ne parvient pas à ressentir. Tarkovski peine à trouver une âme, une profondeur à la majesté des sites italiens qu’il visite, d'une beauté qui lui apparaît superficielle. Il se sent touriste, donc inévitablement étranger, ce qui alimente en lui une profonde mélancolie. Etre éloigné de sa terre et de sa famille semble l’affecter, et il ne donne jamais vraiment l’impression d’être présent. Ce sentiment, Tarkovski parviendra à le transfigurer à un haut degré de poésie dans «Nostalghia». Ici, rien de tel. On y voit un Tarkovski quelque peu neurasthénique, se baladant en short et en sandales et qui, malgré tout le sérieux qu’il accorde à son travail, ne parvient pas à sentir ce que Guerra s’efforce vainement de lui évoquer. «Tempo di viaggio» nous montre l’amont, les origines du film qui naîtra de ce voyage, mais reste d’un intérêt très limité. On y apprendra principalement quels sont les réalisateurs de cinéma qui ont la grâce de Tarkovski et quels sont, selon celui-ci, les fondements essentiels du métier de cinéaste. Guerra se piquera de deux petits poèmes que Tarkovski appréciera poliment mais qui ne parviendront pas à le sortir de son apathie… Dès lors, pour en savoir plus le cinéaste, mieux vaut se tourner vers la lecture de son journal, qui constitue même un document essentiel dans la compréhension de l’intimité de l’artiste.

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jeudi 12 janvier 2012

« Les âmes fortes » de Raoul Ruiz (2001)

L’année 2001 n’était décidément pas un bon cru pour Raoul Ruiz. Après l’anecdotique «Comédie de l’innocence», Ruiz s’attaque à un grand roman de la littérature française, «Les Âmes fortes» de Jean Giono. Après son adaptation de La Recherche de Proust (voir la chronique du «Temps retrouvé»), dans laquelle le cinéaste était parvenu à saisir et à s’approprier l’esprit de l’œuvre, même si l’ambition démesurée du projet le vouait à l’échec, on pouvait légitimement attendre beaucoup de la vision que le cinéaste allait nous donner du roman de Giono. Autant dire que la déception est grande, tant le film est un échec complet, un ratage sur toute la ligne. Incapable de s’accaparer l’œuvre littéraire, Ruiz s’est retrouvé coincé entre son style cinématographique et l’adaptation littérale de l’œuvre. Ne sachant quel parti prendre (faire un film personnel ou une retranscription fidèle), il propose un film qui est un mauvais Ruiz et une mauvaise adaptation… Mauvais Ruiz, car la mise en scène du film fait preuve d’un classicisme et d’un conventionnalisme attristant. Le cinéaste tente bien de placer ici ou là quelques unes de ses signatures stylistiques habituelles (personnages et décors en mouvement injustifié sur des rails, gros plans insolites sur des objets et accentuation de la profondeur de champ, jeux de miroirs, etc…), mais elles apparaissent ici comme de vaines autocitations. Le casting, qui n’est décidément pas le point fort de Ruiz, est lui aussi bien désolant, avec notamment un très mauvais Diefenthal campant un improbable Firmin et une Laetitia Casta qui, si elle correspond bien physiquement à l’idée que l’on peut se faire de Thérèse (notamment pour sa rondeur et ses belles joues rouges collant bien à la ruralité de cette femme), ne parvient pas à se départir d’une ingénuité caractéristique de la comédienne et qui nuit dramatiquement à la complexité du personnage. Et je passe sur l’évanescent John Malkovich et l’exubérante Arielle Dombasle… Mauvaise adaptation ensuite, car on ne retrouve pas ici une once de l’ambigüité fascinante du roman, probablement le meilleur roman de Giono après «Un roi sans divertissement». Aucune trace de la portée mystique et métaphysique du roman, cette peinture noire d’une âme humaine animée par des passions supérieures qui la dépassent. Car Giono est trop souvent encore considéré, à tord, comme un écrivain bucolique louant les beautés des paysages provençaux. Il suffit de lire ses derniers ouvrages pour se convaincre de la grande richesse de son œuvre, plus proche de Dostoïevski que de Pagnol! Ruiz, surtout lui, aurait du être capable de révéler cette richesse, presque transcendantale, de l’œuvre de l’écrivain. Mais rien. Là où le livre de Giono nous conduit aux questionnements essentiels de l’existence, le film de Ruiz se contente, en y parvenant que laborieusement qui plus est, à relater le parcours de l’ambitieuse et calculatrice Thérèse, comme si «Les Âmes fortes» n’était qu’un banal feuilleton rural. On ne retrouve pas non plus dans le film le versant social, proche de la satyre, du roman et Ruiz, qui pourtant est très brillant dans ce registre, s’avère incapable de rendre hommage au talent de conteur de Giono. «Les Âmes fortes» est en effet un récit parlé, proche du conte, narré par une vieille femme au cours d’une veillée funèbre. C’est un récit proche en cela d’une certaine tradition orale aujourd’hui disparue. Ruiz reprend cette forme du récit pour en faire un simple prétexte narratif de plus, un traitement extrêmement classique du flash-back. Une grande déception donc, que ne peut consoler que la relecture du roman d’origine.

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mercredi 11 janvier 2012

« Comédie de l’innocence » de Raoul Ruiz (2001)

«Comédie de l’innocence» est un Ruiz mineur, comme il y en a quelques uns dans la prolifique filmographie du cinéaste. Raoul Ruiz a l’art de rendre presque tous ses films attirants, séduisants, en les enrobant dans un écrin d’étrangeté qui peut s’avérer à lui seul fascinant, par le simple ludisme qu’il procure. Mais lorsqu’on connaît le cinéma du monsieur, on est en droit d’attendre bien plus qu’une simple distraction formelle ou le simple plaisir de se laisser embarquer dans un puzzle, sans solution la plupart du temps. Il faut alors gratter les apparences pour découvrir les véritables motivations du cinéaste et les véritables ressorts thématiques et poétiques de ses films, qui s’avèrent parfois d’une grande richesse, et parfois, comme c’est le cas ici, quasi inexistants, ou d’une décevante banalité. "Tout ça pour ça" se diront beaucoup de spectateurs à la fin de la projection… Et pourtant, le cinéaste, comme toujours, avait bien su nous appâter avec une accroche scénaristique qui laissait entrevoir un lent dérèglement des personnages, un progressif basculement dans la folie. Le jour de son anniversaire, un enfant de 9 ans pose une question pour le moins incongrue à sa mère : "Et toi, maman, tu étais où le jour de ma naissance ?". A partir de là, l’enfant semblera possédé par une force mystérieuse, peut-être par l’esprit d’un autre enfant du même âge décédé quelques années auparavant, prétendra avoir une autre mère que la sienne, ne reconnaîtra plus son prénom, etc… Le film semble alors glisser dans le fantastique, ce que suggère de nombreux indices semés par le cinéaste (comme les visions d’un autre enfant, que l’on suppose imaginaire, ou comme l’attitude étrange de la servante qui nous apparaît de plus en plus être une sorcière). Mais tout cela n’est que fausses pistes. Ruiz prend plaisir à semer le spectateur en accumulant des signes d’étrangeté, pour au final le ramener vers un dénouement parfaitement rationnel, une explication qui casse clairement les possibilités d’interprétations de l’œuvre, et donc les possibilités d’y chercher plus qu’une simple histoire de mensonges enfantins. Lorsqu’on s’est accoutumé à ces manies du cinéaste de semer de faux indices, on finit par s’en lasser, surtout lorsqu’on pressent qu’elles tournent à vide. Quant au monde des rêves abordé, il ne constitue en réalité jamais une composante du film, un peu comme une porte dont on verrait la poignée s’abaisser mais qui jamais ne s’ouvrirait. Cela ne créé que frustrations et déceptions chez le spectateur, qui peut éprouver le sentiment de s’être fait balader inutilement. Les quelques éléments de réflexion du film sont trop faibles pour vraiment éveiller l’intérêt. Ruiz nous parle de l’enfant qui se construit par le mensonge et le jeu, en s’inventant une histoire, qu’il filme qui plus est (la représentation même pas métaphorisée du cinéaste). Quelques trouvailles viennent donner un peu de vie à une mise en scène pour le reste très académique, presque fade (c’est inhabituel chez Ruiz). La direction d’acteur laisse elle aussi à désirer, avec notamment une Isabelle Huppert absente qui semble traverser le film comme un fantôme, peu concernée par ce qui s’y passe (heureusement que Jeanne Balibar est là pour réanimer tout ça). On a même le sentiment que Ruiz lui-même, qui se contente simplement de faire ce qu’il sait faire, semble éprouver peu d’intérêt pour ce qu’il filme… «Comédie de l’innocence» est un faux film fantastique. Et on regrette au final que ça n’en soit pas un vrai.

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mardi 3 janvier 2012

« Le vent de la nuit » de Philippe Garrel (1999)

Une quinquagénaire suicidaire, mariée à un homme pour lequel elle n’éprouve visiblement plus grand chose, tente de combler son ennui existentiel abyssal et son manque cruel d’amour et d’affection en se laissant embarquer dans une relation charnelle sans lendemain avec un jeune étudiant en art. Celui-ci, de son côté, cherche un sens à donner à sa vie, tente de se sentir vivant dans ce type d’aventure sexuelle, et essaie vainement de décoller de sa triste réalité en s’adonnant aux drogues, sans y trouver le plaisir recherché. Au cours d’un déplacement en Italie, il rencontre un architecte torturé, ex soixante-huitard ravagé par les désillusions (amoureuses et politiques), dont la femme s’est tuée et qui cherche à se donner la mort… Chez Garrel, c’est bien connu, on ne rigole pas beaucoup. Mais avec «Le vent de la nuit», on atteint de tels sommets dans le caractère dépressif de son cinéma qu’on en viendrait presque à s’inquiéter pour la vie du cinéaste, un survivant dans une génération de suicidés. On retrouve ici les thématiques habituelles de Garrel : la rupture sentimentale, la drogue, la jeunesse perdue, la fin des utopies politiques, la nostalgie d’une révolution manquée… Mais la froideur de la mise en scène (que ne parviendra pas à réchauffer cette Porsche rouge un peu trop grossièrement symbolique) et l’aridité du propos recouvrent le tout d’un impénétrable voile de désespoir. On peine à s’intéresser à ces personnages caricaturaux, déjà morts, et on n’éprouve que peu d’empathie à l’égard de leur souffrance. Toute cette neurasthénie, qui traduit principalement un refus de vieillir, peut paraître au final bien futile, d’autant que Garrel assomme son film sous une gravité et un sérieux trop solennels pour générer une quelconque émotion. Alors certes, émerge de cette résignation totale et sans issue, de cette usure des personnages, une certaine impression neo-romantique, une mélancolie de la nostalgie et du désespoir qui peut ne pas laisser totalement indifférent. Mais ce sentiment est purement mortifère, ne débouche sur rien, ne dit rien, reste l’affaire personnelle de personnages qui ne me concernent pas. Là où Eustache balayait la question du suicide par une pirouette dans «La maman et la putain» (c’est trop sérieux pour qu’on en parle), Garrel ose s’y confronter et met en image son désespoir. Mais il se complaît peut-être un peu trop dans sa souffrance... On peut souhaiter que «Le vent de la nuit» ait eu une vertu thérapeutique pour son auteur mais en tant que spectateur, on reste grandement extérieur à ce malaise. A force de nous marteler que la vie est triste et ne vaut peut-être pas la peine d’être vécue, on finit par se dire que ce film ne vaut peut-être pas la peine d’être vu.

[1/4]

samedi 29 octobre 2011

« Trans-Europ-Express » de Alain Robbe-Grillet (1967)

Dans le train Paris-Anvers, un cinéaste (Robbe-Grillet lui-même) et son équipe imaginent le scénario d’un film policier qui prend forme sous nos yeux. «Trans-Europ-Express» est un film en construction, on pourrait dire un film au présent, puisqu’il se développe et se conçoit dans sa propre temporalité intradiégétique. Le prétexte est très simple : Robbe-Grillet imagine au fur à mesure du film, ou de son trajet dans le train, les aventures d’un trafiquant de drogue débutant, faisant transiter la marchandise entre Paris et Anvers à bord du Trans-Europ-Express. Dans le scénario imaginé par le cinéaste, les thèmes policiers traditionnels sont à peu près tous respectés (drogue, messages codés, filatures, trahison, etc…) et ce n’est pas sur l’histoire proprement dite que Robbe-Grillet brille par son imagination. La mise en scène est quant à elle très classique, voire plate (à l’exception encore d’un travail remarquable sur le son, décidément le point fort de Robbe-Grillet). Non, la particularité du film tient principalement à l’aspect ludique de sa narration, et à la fascination affirmée du cinéaste pour l’érotisme et le sado-masochisme. Le trafiquant de l’histoire présente en effet certains troubles se manifestant par des pulsions sexuelles complètement exacerbées. C’est ainsi qu’il profite de ses allées et venues à Anvers pour entretenir des relations mêlant sexe et soumission avec une jeune prostituée (?), accessoirement complice du trafic. Ces séquences gentiment érotiques (Marie-France Pisier en dessous) semblent d’ailleurs être autonomes de l’histoire inventée par Robbe-Grillet, comme dépendantes de la volonté propre du personnage fictif du trafiquant. L’utilité de ces séquences peut donc laisser dubitatif lorsqu’on goûte peu à l’univers de l’érotisme sado-masochiste, puisqu’elles ne se doublent d’aucune réflexion autre et ne tiennent pas un rôle précis dans la trame narrative du film. Elles apparaissent plutôt comme le simple désir du cinéaste de filmer un monde qui l’attire, ou de mettre en image certains de ses fantasmes. «Trans-Europ-Express» peut alors prendre des allures de film quelque peu nombriliste, sentiment renforcé par la présence à l’écran de Robbe-Grillet dans son propre rôle et par la vacuité certaine du propos. Le côté décalé du film, qui n’est pas dépourvu d’humour, permet cependant d’oublier cette faiblesse et «Trans-Europ-Express» se laisse suivre avec plaisir. Le développement de l’histoire sous forme de jeu de piste s’avère même assez prenant et Robbe-Grillet parvient à nous tenir accrochés jusqu’au bout, malgré la légèreté de l‘ambition. «Trans-Europ-Express» se révèle au final être un bon divertissement, mais un film anecdotique, qui a en grande partie perdu de l’originalité à laquelle il pouvait prétendre à sa sortie, celle-ci ne reposant que sur une forme ludique de narration, aujourd’hui assez banale. Une curiosité à découvrir, éventuellement.

[1/4]

jeudi 13 octobre 2011

« Drive » de Nicolas Winding Refn (2011)

Auréolé d’un prix de la mise en scène à Cannes, «Drive» est un film de série B, dans le genre du polar noir, qui doit sa bonne réputation en grande partie au fait qu’il souffre peut-être un peu moins que le reste de la production hollywoodienne des tics de réalisation du cinéma américain. Mais rassurez-vous, le «Stabilo hollywoodien», utilisé pour bien souligner chaque émotion, n’a pas été mis à la poubelle pour autant… Un jeune homme, qui n’ouvre la bouche que lorsque cela est vraiment nécessaire, loue occasionnellement ses services de pilote à des gangsters. Alors qu’il cherche à venir en aide au mari de sa voisine, dont il est amoureux, il se retrouve pris dans un engrenage de violence, une tragédie de l’irrémédiable qui l’accule à la répétition de meurtres. Droit dans ses bottes, avec une éthique et un code de conduite personnel lui permettant de s’imposer dans cette jungle urbaine, le «Driver» n’est pas sans rappeler le personnage du «Ghost Dog» de Jarmush, film avec lequel «Drive» possède de nombreux points communs (si bien qu’on pourrait en voir une sorte de variante). N’exprimant quasiment aucune émotion sur son visage, extrêmement fidèle en amitié, prêt au sacrifice de soi pour protéger les êtres aimés, pilote hors pair, capable de déchaînements de la violence la plus bestiale, le «Driver» correspond à un certain prototype du héros mâle, tel qu’on en a déjà croisé chez Carpenter ou Scorcese. En se plaçant dans le registre du film de genre, le cinéaste peut se dispenser d’étoffer son scénario, léger comme une feuille morte, et peut s’autoriser de nombreux raccourcis et improbabilités scénaristiques. Peu importe la vraisemblance du tout, l’essentiel est dans la retranscription d’une certaine ambiance mélancolico-noire et dans la volonté de créer un personnage mythique. Toute l’esthétique du film est donc au service d’une ambition artistique bien pauvre, que le cinéaste parvient temporairement à masquer par une mise en scène très tendance. On est là dans un cinéma de l’archétype, qui tourne à vide. Là où c’était pleinement assumé chez Jarmush, qui faisait de son film un hommage au cinéma et à ses maîtres, on est ici dans quelque chose de vaguement tape à l’œil, faussement rutilant, avec des manières de réalisation très à la mode dans le nouveau cinéma américain, mais qui cache mal sa vacuité fondamentale. Tout le succès d’un film comme «Drive» vient de certaines astuces de mise en scène qui prolifèrent un peu partout dans le cinéma américain de ces 10 dernières années, notamment chez Tarentino, Scorcese, James Gray, les derniers Cronenberg ou Sofia Coppola, et dont le cinéaste fait ici une sorte de synthèse. On retrouve dans «Drive» cette tendance à la mélancolie facile de la manière «bobo» de ladite Coppola, avec grand renfort de musique branchée chez les jeunes adultes. Ici c’est une B.O électronique, avec des sonorités qui rappellent les synthétiseurs des années 70-80 (on voit bien le public trentenaire visé), à l’instar des musiques composées par Carpenter pour ses films. Dans ce cinéma-là, le «DJ» d’un film tient une place tout aussi importante que le cinéaste. Winding Refn y rajoute cette âpreté de ton qui a fait le succès des films de Gray et des derniers Cronenberg, et une petite touche personnelle, très «gus-van-santienne», avec l’usage répété de ralentis. Cela nous vaut alors des images d’une mélancolie dont l’ineffabilité est surlignée au marqueur (ainsi de la scène d’ascenseur)… Ne le nions pas, «Drive» est un film qui se laisse agréablement regarder, et qui peut, par sa dimension archétypique, dispenser du visionnage de presque tout le reste de la production américaine actuelle. Mais «Drive» appartient à un cinéma de consommation qui ne m’intéresse guère, et qui s’oublie bien vite. Cela dit, le cinéma américain est t’il capable de proposer autre chose aujourd’hui ?

[1/4]

mardi 4 octobre 2011

« L’œil qui ment » de Raoul Ruiz (1993)

Félicien Pascal, un médecin ayant une approche réfléchie et scientifique du monde, se rend au Portugal pour régler l’héritage de son père. Il se retrouve alors dans un étrange village où les miracles sont choses banales et où son rationalisme est mis à dure épreuve... «L’œil qui ment» est une comédie légère qui traite du conflit entre un esprit scientifique positiviste et une sensibilité spirite, médiumnique. L’opposition entre ces deux appréhensions du monde est renforcée par le bilinguisme du film, le français étant utilisé pour le rigorisme scientifique tandis que l’anglais se place du côté des esprits, de l’absurde (on retrouve une certaine vision de l’humour anglais) et de l’ésotérisme. Entre les deux, il y a l’orthodoxie catholique, qui ne joue aucunement le rôle d’arbitre mais qui est bien plutôt caricaturée et moquée sans vergogne à travers la figure du personnage du prêtre, interprété par un Daniel Prévost fidèle à lui-même. Le choix des comédiens participe d’ailleurs pleinement de la tonalité absurde et décalée du film, avec un Didier Bourdon parfait en médecin ahuri et paumé, tandis que John Hurt colle impeccablement à la folie déguisée du marquis anglais. On a droit à un véritable festival de délires, un mélange de diverses thématiques médianimiques et fantastiques constituant un grand fatras, difficilement digeste il faut bien l'avouer : somnambulisme, hypnose, esprits, androgynie, plusieurs personnages habitant le même corps, apparitions de vierges (assez vilaines visuellement d'ailleurs), réincarnation, lévitation, tableaux sécrétant de la laine blanche et nécessitant des sacrifices humains… Ruiz étant un metteur en scène hors pair, ces thématiques sont servies par une mise en scène très riche, jouant notamment beaucoup sur les reflets de miroir, les effets de transparence et les surimpressions. Certaines situations sont tellement volontairement débiles qu’il semble difficile de contenir son rire (c’est une comédie après tout). Néanmoins, et comme toujours chez Ruiz, ce fatras est bel et bien au service d’une réflexion plus profonde, notamment sur le rapport entre le sens de la vue et la croyance (auquel renvoie le titre du film). On sent bien qu’il est grandement question du rapport de l’homme à ses sens (le toucher est explicitement représenté par un immense doigt de plâtre transperçant le plafond) mais j’ai eu beaucoup de mal à m’y intéresser davantage. La tonalité globale du film fait qu’il est bien difficile de le considérer au sérieux. Le film souffre par ailleurs d’un gros problème de rythme, si bien que j’ai du me faire violence à plusieurs reprises pour rester attentif et concentré. Au final, «L’œil qui ment» ne laissera pas une trace indélébile dans ma mémoire…

[1/4]

vendredi 30 septembre 2011

« Le temps retrouvé » de Raoul Ruiz (1999)

Adapter Proust semble logique dans le parcours cinématographique de Ruiz, tant chacun de ses films est hanté par la mémoire et le temps qui passe. Ruiz aurait pu faire sienne la métaphore tarkovskienne du cinéma comme sculpture d’un bloc de temps, ses films en étant la parfaite illustration. Le cinéaste n’en était donc pas à son premier essai pour tenter de retranscrire, par les moyens du cinéma, la logique du souvenir. Il parvient clairement ici à mettre en scène de façon remarquable, grâce à son inventivité et son astuce, certains concepts typiquement proustiens, comme la mémoire involontaire (voir le pavé de Venise ou la scène de rencontre avec Chalus), ou encore comme la marque du temps sur les visages (la scène remarquable du Bal de têtes). Ces effets proustiens sont même, osons le dire, beaucoup plus efficaces dans le langage du cinéma que dans l’œuvre littéraire, où ils sont noyés sous des centaines de pages et ne sont pas toujours forcément bien compris. On peut donc saluer ici la performance de Ruiz qui est parvenu à révéler le potentiel véritablement cinématographique de l’œuvre de Proust. On notera également l’approche du temps fondamentalement proustienne du cinéaste, notamment dans l’éclatement chronologique du film, constitué de différents moments temporels qui se croisent et se télescopent et qui illustrent parfaitement les caprices de la mémoire. Ces moments se succèdent et s’enchaînent selon une logique sensorielle faite d’impressions et de correspondances liées aux différents sens du narrateur. A ce propos, il faut souligner l’utilisation fort judicieuse des sons (à défaut de pouvoir, cinématographiquement, retranscrire les odeurs) pour introduire certaines séquences mémorielles. «Le temps retrouvé» s’impose donc comme un film particulièrement fidèle à l’esprit de Proust et, de ce point de vue, constitue une belle réussite. Mais Ruiz aurait mieux fait de s’en tenir à la méthode proustienne, transposée dans le cadre d’un scénario original, plutôt que de chercher à adapter les histoires de l’œuvre, avec l’ambition d’englober rien de moins que les 7 tomes de la Recherche (!). C’est d’ailleurs l’atmosphère globale de la Recherche (et sa haute société décadente) ou même les séquences complètement inventées par le cinéaste (l’enterrement de Saint-Loup ou l’épilogue final), qui s’avèrent finalement les plus réussies, aux dépens de l’adaptation fidèle des anecdotes du livre. Comment Ruiz a t’il pu imaginer transposer une œuvre aussi colossale en 2h30 de film ? Le voilà alors obligé de choisir des passages, de les trier et de les enchaîner le plus rapidement possible afin d’en présenter le plus grand nombre, si bien que l’on a l’impression de voir une compilation, un «best of» de moments proustiens. Le film perd ainsi toute dimension émotionnelle et une bonne partie de sa portée artistique propre, et ne devient qu’un exercice ludique pour le spectateur, invité à se remémorer certains passages du livre. Ce n’est pas la volonté de Ruiz d’adapter la Recherche dans sa quasi intégralité que je critique, car sur un format beaucoup plus long, étendu (un peu à l’image de son récent «Les mystères de Lisbonne») et grâce à l’intelligence de sa mise en scène, il aurait certainement pu réaliser quelque chose de grand, et proposer son interprétation personnelle de l’œuvre (à n’en pas douter fort intéressante). De ce point de vue là d’ailleurs, je ne peux que critiquer les inconditionnels de l’œuvre littéraire, qui condamnent le film de Ruiz pour de forts mauvaises raisons. Les adaptations cinématographiques des œuvres littéraires mythiques ne conviennent de toutes façons jamais aux «extrémistes de l’original», qui en attendent l’impossible, et surtout l’inutile, à savoir la même œuvre. Il est sans intérêt de refaire ce qui est déjà. Non, ce qui fait du «Temps retrouvé» un film mineur de Ruiz, c’est son ambition démesurée et non suivie d’effets, qui aurait nécessité un film d’une toute autre ampleur. Les moyens mis en place ici ne sont pas à la hauteur du projet. On se retrouve alors face à un film plaisant mais complètement plombé par un sentiment d’inachevé, de superficiel, et même de gâchis. On ne peut dès lors que regretter la disparition du cinéaste, et se contenter, en voyant «Le temps retrouvé», d’imaginer le film proustien parfait, mais qui ne verra jamais le jour.

[1/4]

vendredi 23 septembre 2011

« Généalogies d’un crime » de Raoul Ruiz (1997)

Au départ de presque chaque film de Ruiz, il y a une histoire, d’origine souvent littéraire, parfois légendaire, ou, comme ici, une histoire réelle. Le cinéaste s’inspire donc de l’histoire de Hermine Hug von Hugenstein, cette célèbre institutrice autrichienne qui voulu appliquer la psychanalyse aux enfants. Elle prit alors son propre neveu comme sujet d’étude et diagnostiqua très tôt chez lui des tendances criminelles. Elle finit tragiquement, étranglée par son neveu alors âgé de 18 ans. Cette fin put être considérée comme une validation par les faits des observations de la psychanalyste et alimenta considérablement l’argumentaire des partisans des thèses sur la prédétermination. Ruiz ne propose pas ici une adaptation cinématographique de la vie de Hermine et de son neveu, mais met en abyme cette histoire, la répétant deux fois, avec deux femmes différentes. L’histoire semble ainsi s’incarner dans différentes femmes, les posséder (on pense bien sûr à la fausse possession de Madeleine dans «Vertigo», et le film de Ruiz évoque d’ailleurs à plusieurs reprises l’univers hitchcockien). Le sujet est pour Ruiz, outre de mettre à l’épreuve son érudition pour proposer une réflexion intéressante sur la psychanalyse des enfants et la prétention à déterminer le comportement des gens (dont on observe aujourd’hui les dangereuses dérives), l’occasion surtout de créer de multiples univers fictionnels. On se laisse alors facilement intrigués par ce monde étrange de société psychanalytique secrète (avec un parfait Michel Piccoli en gourou amnésique), de rêves prémonitoires, d’hypnose, et de thérapies familiales. La mise en scène de Ruiz, bien que beaucoup plus académique qu’à l’accoutumée, permet de déployer cette étrange étrangeté, jouant sur les associations d’idées, et qui fait toute la personnalité de son cinéma. Mais si «Généalogies d’un crime» est certainement l’un des films les plus limpides et les plus simples dans sa trame narrative de la filmographie du cinéaste franco-chilien, il en est aussi l’un des moins passionnants. On a ici l’impression que cette limpidité est comme imposée au cinéaste et que celui-ci, contraint dans le cadre d’un cinéma sage et classique qui n’est pas le sien, ne parvient pas à retrouver la poésie et l’originalité de ses autres films. La présence de Catherine Deneuve au casting n’est peut-être pas étrangère à cette impression de film propret, qui contient en permanence sa folie, et qui rappelle la platitude bourgeoise du «Belle de jour» de Buñuel. Pour être encore plus sévère, ce classicisme plat n’est parfois pas sans évoquer le cinéma hollywoodien le plus fade et le plus insipide (je pense notamment à Mankiewicz). Même si le talent de Ruiz est ici encore nettement visible, il semble contrôlé, maîtrisé par la volonté (de Ruiz? des producteurs?) de rester dans les clous d’un cinéma accessible au plus grand nombre. La scène du repas chez la mère par exemple, contient quelques uns de ces plans fantastiques qui, par le décentrement, la surcharge et le grand angle créent une atmosphère très intrigante. Mais là où ces plans impressionnaient et se révélaient saisissants dans «La ville des pirates», là où ils alimentaient le décalage surréaliste de «Trois vies et une seule mort», ils apparaissent ici comme des marques de fabrique, des tentatives un peu vaines d’insuffler de l’étrangeté à un film qui ronronne sa monotonie… Décevant.

[1/4]

mercredi 31 août 2011

« La Piel que habito » de Pedro Almodóvar (2011)

    Un long métrage terrifiant! « La Piel que habito », s'il n'en a pas l'air au premier abord, est un véritable film d'horreur. La façon nonchalante dont Almodóvar y malmène le corps humain donne froid dans le dos, d'autant plus lorsque l'on sait que de telles opérations chirurgicales sont aujourd'hui réalisables! C'est là sa grande force : sa vraisemblance dans son extravagance délirante. Il s'agit en effet d'un film hautement obsessionnel et fétichiste (Almodóvar semble être un émule d'Hitchcock), et par ailleurs tout à fait décomplexé sur des thèmes quelque peu sordides, bravant les interdits sexuels les plus profondément ancrés dans l'imaginaire collectif pour mieux étourdir le spectateur, un peu comme dans le « Salo » de Pasolini. D'un autre côté, venant contrebalancer le scénario haut en couleurs, la sobriété voire l'académisme de la mise en scène, d'une froideur chirurgicale, se révèle fort à propos, permettant ainsi de donner vie à cette vision cauchemardesque de la science, et de rendre tout à fait crédible le personnage d'Antonio Banderas (bien qu'il reste volontairement schématique). Si le dernier long métrage d'Almodóvar lorgne par certains aspects du côté des « Yeux sans visage » de Franju ou du « Visage d'un autre » du japonais Teshigahara, il s'en éloigne toutefois en ce qu'il ne donne plus lieu à des interrogations métaphysiques sur l'identité et le « moi », mais provoque un malaise bien plus physique et inexprimable. Un sentiment de dégoût profond en somme, qui n'est pas étranger au franchissement de certaines « limites » que s'autorise Almodóvar, assez frontalement de surcroît. Il finit de la sorte par brasser beaucoup de choses, tournant cependant toujours autour de la sexualité (le désir, l'identité sexuelle, les traumatismes enfantins,...). Là ou le bât blesse, c'est dans la concision de l'ensemble. On rit parfois de bon coeur, et les personnages sont pour certains d'entre eux délicieusement incarnés, mais certaines séquences sonnent faux ou s'avèrent de trop, si bien qu'Almodóvar ne parvient pas à se hisser à la hauteur de ses références par sa trop grande trivialité. C'est là l'autre grand défaut de ce film en effet : son manque de retenue, son goût pour la surenchère (mais c'est ce qui fera son charme pour d'autres...). Pas mal de déjà-vu et de facilités donc, ainsi que des passages à vide qui l'empêchent de prétendre au titre de « grand film » pour lequel il semble concourir, en dépit d'une maîtrise formelle appréciable.

[1/4]

mercredi 24 août 2011

« Melancholia » de Lars von Trier (2011)

    Dans la droite lignée d'« Antichrist », « Melancholia » est un film profondément désespéré, sorte d'anti-« Ordet » à tous points de vue. Tout dans ce film ramène l'homme à l'état d'erreur de la nature, transitoire et périssable sur la Terre (avec en plus cette noire ironie du danois qui ne laisse pas grand monde indemne)... On retrouve de surcroît la représentation de l'angoisse humaine qui parcourt toute la filmographie du cinéaste, et qui ponctue ici et là le long métrage à grands renforts de crises, pleurs et autres situations sordides. De ce point de vue, Lars von Trier est le digne héritier de Bergman et de son existentialisme tourmenté : il adopte une vision on ne peut plus crue sur la vie et parvient une fois de plus à tétaniser le spectateur sur son siège avec une histoire pourtant difficilement crédible sur le papier. Mais il ne l'égale pas à mon sens, d'une part parce qu'il n'a pas l'économie de style du cinéaste suédois, d'autre part car il ne parvient pas à dépasser ses obsessions sexuelles pour offrir des films plus profonds et plus riches. « Melancholia » est parfois inspiré visuellement parlant, mais les quelques plans savamment composés sont d'une laideur à faire pâlir n'importe quel photographe outré à la mode (et Dieu sait qu'il y en a). Le reste du temps, nous avons le droit à une photographie joliment éclairée, mais qui peine à se départir des canons publicitaires. L'interprétation quant à elle est appréciable, mais demeure sans réel éclat... Kirsten Dunst a reçu un prix d'interprétation à Cannes, ça devient une routine maintenant... On reste sur sa faim, et l'on commence à se dire que l'ami Lars n'a plus grand chose à dire, sinon qu'il se sent mal, et pour cela n'a pas de honte à nous le faire comprendre avec grossièreté et emphase... Bref, c'est kitch et dépressif au possible : Lars von Trier à au moins le mérite de tenter un nouveau mélange cinématographique, même si c'est peu dire qu'il ne lui réussit pas.

[1/4]

jeudi 28 juillet 2011

« Citizen dog » (Mah nakorn) de Wisit Sasanatieng (2004)

    « Citizen dog » ou le summum du kitch comme esthétique. La façon dont Wisit Sasanatieng conçoit le cinéma est assez singulière : c'est comme s'il cachait sous une montagne de mauvais goût, de dixième degré et d'artificialité sa sensibilité. On peut donc tout aussi bien être touché par ce long métrage ô combien excessif, qu'exaspéré devant un film en un sens guère original sous son vernis tape-à-l'oeil. En fait on ne sait jamais si on doit rire ou prendre le cinéaste thaïlandais au sérieux, et c'est ce qui donne à « Citizen dog » sa saveur si particulière : Wisit Sasanatieng fait preuve d'un humour extraordinaire, pour dire des choses belles et tristes. On n'est donc jamais subjugué, et on ne rit pas vraiment, on sourit et on est attendri devant la créativité d'un cinéma qui récupère à sa façon le pire des codes visuels en vigueur pour mieux les détourner. « Citizen dog » est à la fois un conte sur la vie, l'amour, le fossé entre la ville et la campagne, et tant d'autres sujets d'envergure mine de rien. C'est aussi un instantané tantôt caustique tantôt naïf sur le monde d'aujourd'hui. Mais c'est avant tout un grand moment de n'importe quoi cinématographique « contrôlé ». Comédie musicale et drame intimiste à la fois, long métrage publicitaire et d'auteur dans le même temps, histoire d'amour et satire sociale, « Citizen dog » fait le grand écart parfois à grand peine, mais reste toujours cohérent. Cohérent dans l'invraisemblance totale... C'est ce qui fait à la fois sa force et sa faiblesse : l'empathie reste assez superficielle devant un tel spectacle, malgré toute la bonne volonté de l'auteur et de ses interprètes. Un film profondément ambivalent donc, qui mérite néanmoins le coup d'oeil. (A noter qu'il m'est apparu bien meilleur tout de même qu'« Amélie Poulain », vu que tout le monde semble comparer ces deux films...)

[1/4]

mercredi 27 juillet 2011

« Le sang des bêtes » de Georges Franju (1949)

Ce court documentaire de 21 minutes reste aujourd’hui encore, près de 60 ans après sa réalisation, l’une des œuvres les plus violentes jamais réalisées sur le monde des abattoirs. Cette puissance est directement liée à la nature des images filmées, bien plus qu’au talent de mise en scène du cinéaste. Celui-ci se contente, dans un registre hyper réaliste, d’enregistrer des images qui restent habituellement cachées aux yeux du public : éviscération de chevaux, décapitation de veaux, égorgements de vaches, abattage à la chaîne, etc… La violence des images peut choquer (c’est d’ailleurs clairement le but recherché par Franju) et ce choc induit chez le spectateur une réflexion sur la violence faite aux animaux, sur les dessous de la consommation de viande et le monde secret des abattoirs. Cet accent mis sur l’autre facette d’un monde insouciant et paisible, sur la face cachée de la ville de Paris, est l’une des plus belles idées de cinéma du film ou, tout du moins, la seule vraiment réussie. Pour le reste, Franju se laisse emporter à la facilité de la force de ses images, et ne parvient pas à garder la neutralité et la distance qu’il semble vouloir s’imposer au départ. Petit à petit, le cinéaste impose ainsi sa révolte personnelle à son film, en se laissant ici ou là aller à des commentaires plus que suggestifs ou à des images complaisantes. «Le sang des bêtes» devient alors un objet cinématographique qui hésite dans la direction à suivre, qui cherche à s’engager mais sans aller jusqu’au bout, en feignant de garder une neutralité pourtant perdue. En voulant s’abstenir de condamner, Franju finit même par dire quelques bêtises, comme «mais il faut bien se nourrir», alors que ce n’est sûrement pas la faim qui nous impose de consommer du cheval. Les défenseurs de la cause animale qui attendent un engagement, un propos virulent du cinéaste, seront déçus par la réflexion toute superficielle de Franju qui n’aborde aucunement la question des habitudes alimentaires occidentales. Ceux qui pensent avoir à faire à un documentaire neutre et objectif seront déçus par les vagues sous-entendus du cinéaste. Reste cette fascination de Franju pour les gestes du travail, qui donne au film une certaine valeur historique. Au final, on regrette que la force du film ne repose que sur le simple enregistrement d’images, certes très évocatrices (on parvient parfois même à imaginer les odeurs émanant des vapeurs de sang). Et c’est dommage, car le contraste entre la concentration, le calme des bouchers et la véritable barbarie des actes qu’ils commettent, rappelle ces «tueurs sans haine» dont parle Baudelaire et peut très vite déboucher sur une réflexion sur la mort qui dépasse largement le cadre des abattoirs. Il semble ainsi difficile de ne pas songer aux camps de concentration, d’autant plus que Franju ose le parallèle des trains de la mort. Si «Le sang des bêtes» a si bonne réputation, c’est suite au jugement à chaud et encore sous le choc des diverses critiques. Néanmoins, lorsqu’on prend du recul et que l’on étudie l’objet filmique, on s’aperçoit que Franju ne maîtrise pas son film... A voir si vous hésitez à vous convertir au végétarisme !

[1/4]

mardi 26 juillet 2011

« Attack the gas station! » de Kim Sang-jin (1999)

    Une réjouissante et délirante comédie, quoiqu'un peu kitch et datée, sur fond de critique sociale de la Corée du Sud de la fin des années 90. « Attack the gas station! » c'est l'histoire de quatre jeunes coréens désoeuvrés et plein de hargne, qui ne sachant pas trop quoi faire de leur peau, décident d'aller braquer une station d'essence... jusqu'à finir par déchaîner contre eux la société entière. Si l'on n'est pas trop allergique à l'esthétique MTV ou à l'humour excessif (souvent irrésistible mais parfois lourd), en somme si l'on n'est pas rebuté par les films de série B, voilà un long métrage qui promet un bon moment de divertissement. Le quatuor d'acteurs principaux est assez mémorable, leur charisme étant renforcé par une mise en scène dans le ton : plongées, gros plans et distorsions de l'image abondent, soulignant à l'excès les mimiques d'une galerie de singuliers personnages. L'humour ne fait pas toujours mouche (usant et abusant du comique de répétition), de plus il ne faut pas être rétif aux classiques scènes de combat, mais malgré tout Kim Sang-jin et ses interprètes s'en sortent plutôt bien, pour livrer un film sans grande prétention artistique, mais possédant une ambiance particulière, un propos un peu plus intelligent qu'il n'y paraît, et avançant sans temps mort. « Attack the gas station! » parvient tout de même à retranscrire avec humour un très fort (semble-t-il) sentiment de frustration sociale! Dans sa catégorie, un plutôt bon film donc, malgré ses tics parfois exaspérants.

[1/4]

lundi 25 juillet 2011

« La maison Nucingen » de Raoul Ruiz (2009)

Ne vous fiez pas au titre du film et à l’habitude de Ruiz des adaptations littéraires, nous ne sommes pas ici en présence d’une adaptation de l’œuvre éponyme de Balzac. «La maison Nucingen» est un film en équilibre sur un fil, et qui menace à tout instant de chuter et de sombrer dans le ridicule. Au final, si le film parvient à rester debout, c’est grâce au talent certain et à l’intelligence de Ruiz, qui réussit à créer un univers étrange attisant malgré tout la curiosité du spectateur. Mais avouons que le cinéaste a clairement frôlé la catastrophe, c’est à dire le véritable nanar. Réalisé avec des moyens très réduits et dans un format vidéo qui nous offre des images oscillant entre la plus vulgaire des esthétiques de feuilletons télé et quelques éclairs de beauté picturale rappelant la peinture de John William Waterhouse, «La maison Nucingen» propose un univers empreint de mélancolie et de romantisme et très imprégné de littérature gothique. Il est donc question de fantômes et de vampires dans une immense demeure, dont les intérieurs ne sont pas sans évoquer l’architecture d’une cathédrale, demeure gagnée lors d’une partie de poker par un jeune français et son épouse neurasthénique et hystérique. Ruiz parvient à créer un climat d’étrangeté intéressant, et ce par des moyens très osés : faux raccords, mixage sonore foireux, qualité de la photographie aléatoire (avec des extérieurs surexposés), phrasé littéraire maniéré, etc... Là où la plupart des critiques (qui ont d'ailleurs bien ravalé leur venin lors de la sortie des «Mystères de Lisbonne») ont vu de grossières erreurs de réalisation, il faut au contraire noter la malice d’un cinéaste qui n’a plus rien à prouver. Le choix de «La cathédrale engloutie» de Debussy comme unique musique du film s’avère fort judicieux, collant parfaitement à l’univers envoûtant mis en place par le cinéaste. Oui mais voilà, si l’on reste jusqu’au bout intrigué par l’ambiance des lieux, c’est tout de même avec déception que l’on constatera au final l’artificialité du propos de Ruiz et la vacuité de son film. C’est également avec difficulté que l’on réussira à passer outre le surjeu insupportable de Elsa Zylsberstein (actrice au combien mauvaise) et le cabotinage pénible de Laure De Clermont-Tonnerre que l’on croirait toute droit sortie des «Amours d’Astrée et de Céladon» de Rohmer. Si l’humour du cinéaste parvient à sauver la plupart des situations, il n’en demeure pas moins que «La maison Nucingen» ne fera sûrement pas l’unanimité et apparaîtra comme un vulgaire ratage à beaucoup. C’est effectivement un ratage, il paraît difficile de le nier. Il n’empêche que Ruiz propose avec ce film quelque chose d’original et de courageux qui malgré ses immenses défauts, ne laisse pas totalement indifférent.

[1/4]

samedi 16 juillet 2011

« La Ligne Rouge » (The Thin Red Line) de Terrence Malick (1998)

    « La Ligne Rouge » annonçait déjà « The Tree of Life », et l'exaspération d'une esthétique au premier abord originale, mais finalement tout à fait consensuelle et tristement plate. Pire, « The Tree of Life » ne fait que redire ce que disait déjà « La Ligne Rouge », les procédés restant les mêmes, et seule l'action changeant de cadre. Toujours ces voix-off qui doublent inutilement les images, cette caméra qui ne sait pas se poser, ces longueurs et cette fin qui n'arrive jamais, ces images de la femme aimée dignes de n'importe quelle pub du moment, cette hauteur philosophique d'où Malick ne délivre finalement que des vérités générales... La première fois que j'avais découvert « La Ligne Rouge » j'étais tombé en admiration devant cette nature sauvage, cet aperçu d'un autre monde enchanteur. Maintenant que je l'ai vu une seconde fois, j'ai eu tout le temps de m'appesantir sur le film en lui-même, sa construction et son propos. Et là, je n'ai vu que défauts, lourdeurs et platitudes. Une galerie de stars qui décrédibilisent totalement le long métrage, d'une car ils sont pour beaucoup mauvais acteurs, de deux car je ne peux réprimer un sourire dès que je vois Travolta ou Clooney à l'écran : je ne peux m'empêcher de penser à Pulp Fiction, à la Scientologie, à un nombre incalculable de navets ou à Nespresso... assez embêtant. D'autre part, dès « La Ligne Rouge » Malick ne savait de toute évidence plus choisir ses plans. Il lui faut beaucoup de temps et d'images pour faire passer une émotion... D'autant que ce qu'il nous dit n'est malheureusement pas à la hauteur de l'attente (sans compter que les plans en question ne s'avèrent pas d'une composition inouïe, loin de là)... Certes on peut relever une certaine approche poétique, si l'on considère le sens à peine caché de son film : peu ou prou la détresse humaine face au mal, la quête de Dieu dans un monde hostile. Sujet ambitieux s'il en est (encore qu'il ne soit guère nouveau), mais qui hélas adopte une forme manquant cruellement de retenue, pour verser dans le grandiloquent et l'épique « à l'américaine » (cherchant à concurrencer sur leur terrain les « Platoon » et autres « Apocalypse Now », dans le genre « film de guerre définitif »)... Viennent aussi de jolies prises de vues évoquant le paradis terrestre, mais elles ne suffisent pas à approcher véritablement le « beau » cinématographique, surtout quand le National Geographic ou Ushuaïa proposent sensiblement la même chose. Bref, en dépit de quelques qualités ici et là, un long métrage dispensable. A voir une seule fois à la limite...

[1/4]