Je crois bien que je suis en train de me réconcilier un peu avec Visconti. Je n’ai jamais été un adepte du classicisme et de l’académisme de la mise en scène du cinéaste italien, ni de son penchant pour la tragédie grand spectacle et les grandes fresques historiques. Mais après la découverte de «La Terra trema» et de «Le Notti bianche», puis désormais de ce chef d’œuvre qu’est «Vaghe stelle dell’Orsa», Visconti remonte sérieusement dans mon estime. «Vaghe stelle dell’Orsa», donc, est probablement la tragédie la plus intimiste de Visconti, un film d’une remarquable sensibilité. Réalisé avec une économie de moyens qui s’avère salutaire et bénéfique, nous épargnant ces scènes grandioses visant beaucoup plus le spectaculaire que l’émotion, le film s’inspire de la mythologie familiale des Atrides et retranscrit admirablement l’essence de la tragédie grecque. Le style classique du metteur en scène est ici parfaitement adapté à la pudeur et à la délicatesse qu’imposait la thématique du film, l’inceste, évitant tous les sentiments faciles et les tentations au pathos que pouvait appeler ce sujet. Porté par une caméra mobile et très proche des personnages, avec une utilisation intelligente et pertinente du zoom rapide, le film touche au cœur du drame intime des personnages, avec une finesse de l’émotion que l’on ne retrouvera malheureusement dans aucun autre film du cinéaste. Cette réussite totale doit grandement à l’excellent niveau de l’interprétation, avec certainement la plus belle prestation de Claudia Cardinale, qui parvient à donner une ambigüité fascinante à son personnage. On peut ainsi louer l’étrange gestuelle de la comédienne et la richesse des multiples expressions de son visage, soulignées par un maquillage remarquable, reproduisant parfaitement l’image de la statuaire grecque. On relèvera également la qualité du noir et blanc et de la photographie, avec un superbe travail sur la lumière, les ombres et les contrastes. Le cinéaste, contrairement à ses habitudes, délivre ici un film condensé (une durée de 1h45 assez inhabituelle chez Visconti), abrupt, d’une noirceur saisissante laissant échapper un magnifique rayon de lumière lors de la superbe séquence finale. «Vague stelle dell’Orsa» est à mon sens le film le plus juste de Visconti, celui ou son art de la tragédie est le mieux maîtrisé grâce à une sobriété de la réalisation qui fera défaut à ses films ultérieurs (pour ceux que j’ai vus). Le chef d’œuvre méconnu du cinéaste, à découvrir impérativement.
[4/4]