Dans les paysages magnifiques de la Cote d’Opale, Bruno Dumont filme un homme mutique, "le gars", et une jeune fille un peu paumée qui le suit, le nourrit et aimerait bien coucher avec lui. Ensembles ils se promènent inlassablement dans la campagne, s’agenouillent devant les pâturages, dans une sorte de recueillement : tandis qu’il semble prier, comme touché par la grâce, elle reste silencieusement à ses côtés, respectueuse des étranges pratiques de son ami, qui est aussi son protecteur. Différents évènements qui animeront la triste tranquillité de ce petit village seront l’occasion de s’interroger sur ce personnage énigmatique : fou ou envoyé de Dieu? Avec «Hors Satan», Dumont réalise un film visuellement très beau, porté par un riche travail sur le son naturel et une mise en scène toute en contrastes. Le cinéaste alterne ainsi plans larges et plans serrés, violences assourdissantes des rafales de vent et silences pesants. Ce mariage des contraires permet de souligner toute l’ambigüité du personnage masculin, à la fois incarnation du mal et figure héroïque à dimension christique. Le film s’inscrit pleinement dans la continuité des films antérieurs du cinéaste et ne fait qu’en prolonger les thématiques et les questionnements en procédant par une certaine épure et une certaine simplification. Le cinéaste est ici moins bavard, et donc en dit beaucoup plus. Mais malgré toutes ces indéniables qualités, ça ne marche pas vraiment, et on reste irrémédiablement à distance. Rares sont les scènes qui éveillent l’émotion, et le film devient une sorte d’objet froid, inerte. Tout y apparaît trop calculé, trop prémédité. Dumont se révèle comme un cinéaste qui a appris sa leçon, un bon élève, mais qui affiche ici son incapacité à devenir maître lui-même. Il récite. Il rejoint en cela le cercle de ces cinéastes prometteurs assommés par leurs références et incapables d’avoir la hauteur d’âme et d’esprit de leurs maîtres. Je pense à des réalisateurs comme Carlos Reygadas («Hors Satan» rappelle par bien des aspects «Japon» et «Lumière Silencieuse», sans en posséder pour autant la poésie et la beauté), Andreï Zviaguintsev ou Nuri Bilge Ceylan. Mais Dumont est aussi le maillon faible de cette génération de cinéastes, n’ayant pas encore réussi à réaliser un "semi chef d’œuvre" comme les autres, et prouvant avec ce film l’impossibilité qu’il y parvienne un jour... L’impression que donne «Hors Satan» est celle d’un cinéaste qui s’est dit, en se levant un beau matin : "Tiens, et si je faisais un film mystique". Mais la mystique impose au préalable une certaine forme de croyance, et ce n’est qu’en s’investissant dans cette croyance, en cherchant à filmer le mystère et l’invisible que naît alors la magie et la poésie qui peuvent conférer une aura mystique à un film. Dumont, lui, ne semble pas beaucoup croire aux mystères qu’il filme. Et comment le spectateur pourrait-il y croire si le cinéaste lui-même n’y croit pas? Il ne suffit pas de se prétendre "mystique" pour l’être, et même au contraire, l’affirmer ouvertement relève plutôt d’une simple posture esthétique. Le mysticisme athée du cinéaste souffre d'un manque cruel de véritable fondement spirituel. Sous la caméra de Dumont, la guérison miraculeuse ou la résurrection deviennent des figures de style, des citations (Dreyer bien sûr) que le cinéaste ne se réapproprie jamais. Dans «Hors Satan», plutôt que de faire naître un certain mysticisme de l’insondable mystère naissant des images, Dumont cherche directement à filmer "du mystique". Entreprise fallacieuse nécessairement vouée à l’échec, et qui fait de «Hors Satan» un film ampoulé qui n’est pas à la hauteur de sa prétention. Un beau film certes, mais sans âme.
[2/4]
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