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«La beauté réside dans la vérité même de la vie, pour autant que l'artiste la découvre et l'offre fidèlement à la vision unique qui est la sienne.» Andreï Tarkovski, Le Temps Scellé (1989)
mardi 29 mars 2011
« L'Etrange affaire Angélica » (O estranho caso de Angélica) de Manoel de Oliveira (2011)
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samedi 26 mars 2011
« The house » de Sharunas Bartas (1997)

« The house » est un film qui m’a laissé un sentiment étrange et contradictoire, celui de voir un très beau film raté. Là où les films précédents de Bartas donnaient cette impression grisante d’assister à un nouveau cinéma, on se retrouve ici très vite en terrain connu. C’est ainsi que je n’ai pas réussi à me débarrasser de cette sensation plombante qui empêchait toujours le film de décoller du registre citationnel (et grandement auto-citationnel d’ailleurs), et qui marque comme un essoufflement de la créativité du cinéaste. Dès le générique introductif, je ne regardais plus « The house » en tant que tel, je regardais un film de Bartas qui me parlait d’autres films. Déjà, je pense (mais cela est totalement subjectif je le concède) que l’on ne peut pas, après « Le sacrifice » de Tarkovski, utiliser l’ « Erbarme Dich » de Bach pour le générique d’un film. Et lorsque l’enjeu du film est une maison (thématique très chère à Tarkovski, et pas seulement dans « Le sacrifice »), alors l’association mentale est automatique et inévitable, ce qui nuit à l’autonomie artistique du film en question. Et puis, quelques petites minutes plus tard, alors qu’on ne s’est pas encore débarrassé de ce sentiment de filiation tarkovskienne et que le film n’a encore rien montré qui lui soit propre, Bartas filme son acteur se regardant dans le miroir et en profite pour se laisser volontairement apparaître à l’écran, dans le reflet. On est alors envahi par l’impression flagrante d’une grande immaturité artistique, et la distance entre nous et le film se creuse encore davantage. N’est-ce que détails et faut-il passer outre ? Je ne demande pas mieux mais malheureusement, la suite du film ne m’enlèvera plus cette sensation et c’est à distance (c’est à dire sans aucun investissement émotionnel) que se déroulera le reste de la projection. Rajouté à cela une accumulation de petits défauts dont l’un d’eux, et non des moindres, étant certainement le très mauvais niveaux des comédiens (l’acteur principal est catastrophique dès qu’il se met à jouer), il s’avère que je n’ai pas été convaincu comme je l’avais été pour les précédents films du cinéaste. Il n’empêche, et on ne peut pas passer outre, que « The house » reste un film absolument magnifique, regorgeant de merveilles esthétiques (tous les plans à contre-jour d’une fenêtre sont superbes, avec cette lumière bleutée « fumée de cigarette »), et est à ce jour, visuellement, le plus beau film du cinéaste que j’ai pu voir. Le talent de portraitiste de Bartas (même s’il n’atteint pas les sommets des « gueules » de « Few of us ») reste indiscutable. Même si, encore une fois, le principe du film ramène à un autre film (le « Korridorius » du même cinéaste), cette déambulation dans une maison mentale est également riche d’ouvertures possibles vers du sens, pour peu que le spectateur accepte de s’y aventurer sans filet ni aucune tutelle directrice (Bartas, comme à son habitude, est bien peu causant quant à ses intentions, ce qui fait d’ailleurs l’une des grandes forces de son cinéma). La fin du film est beaucoup plus convaincante, et nous fait passer par des émotions étranges, quasi fantastiques, avec ces feux d’artifice, ce défilé masqué que l’on croirait sorti d’un film d’horreur, et cette chute étonnante qui recontextualise l’ensemble du film (mais en en diminuant peut-être aussi la portée). Un film à revoir dans quelques années pour voir si, comme le bon vin, il s’est bonifié avec le temps.
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lundi 14 mars 2011
« L'Esprit de la Ruche » (El Espiritu de la Colmena) de Victor Erice (1973)
dimanche 13 mars 2011
« Pickpocket » de Robert Bresson (1959)
jeudi 10 mars 2011
« Les diamants de la nuit » (Démanty nocy) de Jan Nemec (1963)

Y a-t-il eu, dans la brève histoire du septième art, décennie plus foisonnante, plus riche, plus innovatrice que les années 60 ? Je ne le pense pas. Et le cinéma tchèque, qui naquit en amont et en aval du printemps de Prague, en est une des fort nombreuses illustrations. «Les diamants de la nuit» de Jan Nemec (1963) prend place parmi les nombreux bijoux que nous ont offerts une génération de réalisateurs au pays de Kafka, avant que le pouvoir communiste n’y impose sa sinistre «normalisation». L’argument du film est très simple. Aux alentours de l’année 1943, deux jeunes hommes sautent d’un train de déportés. Ils doivent se trouver quelque part dans la région de Carlsbad (aujourd’hui Karlovy-Vary en Tchéquie) peuplée de Sudètes germanophones et rattachée au Reich en 1938. Affaiblis, épuisés, tenaillées par la faim, la soif et le froid, ils fuient à corps perdu dans la forêt et luttent pour leur survie avec une énergie animale. Ils finissent par trouver un village où ils obtiennent à boire et à manger d’une fermière. Mais celle-ci les dénonce et ils font alors l’objet d’une véritable chasse à l’homme menée par tous les vieillards du village (on imagine les hommes plus jeunes au front). Rattrapés, ils sont condamnés à mort pour finalement faire l’objet d’un simulacre d’exécution. Le film vaut cependant moins par ce contenu très ténu que par sa mise en scène magistrale où éclate tout le talent de Nemec. Son ouvrage relève stylistiquement de ce que Deleuze appelle l’image-cristal, c’est-à-dire d’une image où le réel et le virtuel se confondent jusqu’à devenir indiscernables. Le réel, ce sont les perceptions actuelles des personnages, portant sur une réalité «objective». Le virtuel, ce sont les perceptions issues de leur imagination et qui portent sur les nappes de passé peuplant leur mémoire et sur les projections fantasmatiques de leur avenir. Deleuze assigne un statut cristallin aux images d’un film lorsque celles-ci mêlent de la sorte le réel et le virtuel, au point que le spectateur ne puisse plus décider de l’objectivité de sa perception. C’est très exactement ce qui se passe dans «Les diamants de la nuit». Tout est filmé du point de vue subjectif des deux personnages et Nemec alterne sans cesse perceptions actuelles, souvenirs récents ou plus anciens, ainsi que projections imaginatives de l’avenir espéré, au point qu’on ne puisse plus toujours décider avec une absolue certitude du statut de chaque image. On voit ainsi l’un des deux héros fantasmer à diverses reprises l’assassinat de la fermière, lequel n’aura en réalité pas lieu. On voit d’autre part le rêve récurrent d’une porte à Prague, celle d’un espoir non dit et qui ne sera jamais ouverte. On voit enfin l’image des deux jeunes gens assassinés pour comprendre finalement plus loin qu’il ne s’agissait à nouveau sans doute que d’un fantasme. Ce désordre vécu de la vie perceptive est bien évidemment motivé par la faim, les angoisses et les espoirs des personnages et le talent de Nemec est de nous le faire ressentir de l’intérieur. Sa caméra colle d’ailleurs au plus près des corps, saisissant leurs douleurs, leurs contorsions et toute la gamme des émotions qui les étreignent. La bande-son quant à elle, minimaliste, quasi muette, dépourvue de musique, se contente d’enregistrer les bruits de la nature, la respiration haletante des deux protagonistes ou encore les rires narquois et les chants de leurs chasseurs. Il s’agit d’un film terrible dans sa simplicité et son extrême concision (il dure à peine 65 minutes). Il nous montre deux adolescents réduits à un état de survie animale et nous rappelle, par le portrait répugnant qu’il nous brosse de leurs bourreaux — «les braves vieillards sudètes», que les monstres ne sont pas des extraterrestres, mais des gens parmi les plus ordinaires et les plus quotidiens, ceux-là même qui pourraient se réveiller, si l’on y prend garde, en chacun d’entre nous. Un film à découvrir absolument, comme beaucoup d’autres édités dans la remarquable collection tchèque de Malavida. [3/4]
mercredi 9 mars 2011
« Shutter Island » de Martin Scorsese (2010)

Le conformisme absolu érigé en manière cinématographique. Et qu’on ne vienne pas me parler « d’hommage » au cinéma américain de Lynch ou de Kubrick (version « Shinning »), car le film de Scorsese non seulement ne propose rien mais ne dit même rien sur ses références (ce qui éventuellement serait l’intérêt de ce fameux hommage). « Shutter Island » est un film qui ne sert à rien (même pas à divertir), déjà fait avant d’être tourné, déjà vu avant d’être projeté. Scorsese réalise ici un film paresseux, rassurant pour le spectateur en cela qu’il ne lui demande aucun investissement et qu’il lui permet de se retrouver dès les premières minutes en terrain connu. Même dans ses références, Scorsese reste très frileux et bien peu aventureux, comme s’il digérait enfin, avec 20 à 30 ans de retard, les propositions cinématographiques de ses contemporains américains (Lynch par exemple, dont on en vient à regretter qu’il n’ait pas réalisé ce film, preuve s’il en est de notre désœuvrement). Si l’on demandait à Scorsese de nous parler de l’art contemporain, peut-être nous parlerait-il du cubisme et de Picasso… Je serai même plus intransigeant encore en disant que tout est pitoyable dans « Shutter Island » : les scènes oniriques nous font soupirer d’exaspération (avec les pétales de fleurs qui tombent au ralenti, avec le faux réveil dans le rêve), le traitement de l’image par filtres rappelle Amélie Poulain (sous ma plume, cette référence est une insulte), le twist final est prévisible au bout d’une heure de film et ne parvient en aucun cas à sauver l’incohérence de l’ensemble, les quelques incursions de Scorsese dans le numérique sont d’une laideur très datée, qu’on aurait pu penser dépassée depuis belles lurettes… Si vous voulez voir ce qu’est devenu le « grand » cinéma américain (n’oublions pas que Scorsese a de hautes prétentions artistiques, ou, en tout cas, la critique les lui attribue), alors observez le spectacle attristant proposé par ce film mièvre qui illustre à merveille cette asphyxiante médiocrité de cœur et d’esprit qui caractérise le cinéma made in USA. J’avais déjà eu une impression quasi similaire en voyant le film qui signait le retour de Coppola, « L’homme sans âge », mais à l’époque j’avais eu un peu de peine pour le cinéaste ce qui m’avait permit d’éviter le sentiment d’agacement. Je pourrai en dire de même du dernier Polanski, « The Ghost Writer », et je suis sûr que si j’étais un peu plus spectateur de ce cinéma-là, la liste pourrait être longue. Ces films sont tous les mêmes et sortent tous du même moule : celui d’un cinéma en roue libre qui a abandonné toute réflexion sur lui-même (cela pourrait être une définition de la mort du cinéma). Je le disais en introduction, c’est un cinéma conformiste. Ce qui est déprimant, c’est qu’il est en cela conforme aux attentes du public…
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lundi 14 février 2011
« Journées d’éclipse » (Dni zatmeniya) de Alexandre Sokourov (1988)

Une vaste évocation poétique, aux innombrables et inépuisables niveaux de lecture, portée par un travail sur l’image et le son proprement hallucinant. « Journées d’éclipse » (ou « Le jour de l’éclipse », selon les traductions) est un film-monde. La critique pourrait s’arrêter là, en abdiquant face à cette tâche insensée : tenter de retranscrire et de faire entrevoir au lecteur ce qui ne peut être perceptible que par les seules voies de cet au-delà du sens qu’est la poésie. Toutefois, sans rentrer dans le détail d’une analyse du film (travail à faire un jour, mais impossible après une seule vision – à quand une édition DVD ?!?), je peux sans risque avancer quelques remarques générales sur cette œuvre. Libre adaptation d’une nouvelle des frères Strougatski, les maîtres de la science-fiction russe, « Journées d’éclipse » ne peut cependant pas être qualifié de film de science-fiction. La toute dernière séquence peut éventuellement, si cela lui plaît, orienter le spectateur vers une relecture fantastique du film : dans un plan sensationnel (qui n’est pas sans rappeler l’ultime plan de « Solaris »), Sokourov fait disparaître le lieu du drame, ce village turkmène emboîté dans la montagne. N’était-ce finalement qu’un mirage? Il s’agirait alors peut-être de reconsidérer le niveau de réalité de ce que nous venons de voir, et de décrypter dans un impossible travail d’interprétation (impossible en terme d’objectivité, car cette interprétation ne peut être que personnelle), la signification des différentes apparitions de l’étrange qui parsèment le film : une discussion avec un mort, un corps se mouvant tel un animal, d’étranges créatures que l’on conserve dans de la gelée, etc… Il faudrait aussi considérer ces nombreuses allusions à l’effondrement du communisme dans les républiques soviétiques, à la peur de la répression, à cette atmosphère inquiétante de violence sourde et de menaces diffuses. On parviendrait certainement à construire quelque chose d’approximativement cohérent. Mais là n’est pas l’essence du film. La plupart des commentateurs y ont vu une métaphore sur l’impossible liberté et l’annihilation de toute créativité dans le cadre d’un système totalitaire. Cette lecture est à mon sens réductrice et ne s’appuie que sur quelques unes des évocations que provoque la vision du film. «Journées d’éclipse» est une œuvre qui se vit et se ressent plus qu’elle ne s’intellectualise, une œuvre dans laquelle il faut se perdre, lâcher prise, se laisser emporter par les impressions poétiques fulgurantes qui envahissent chaque plan. Visuellement, le spectacle proposé est un éblouissement esthétique de chaque instant, Sokourov réalisant un travail proprement insensé sur la lumière et la couleur. Le traitement de la couleur rappelle ainsi le « Element of crime » de Von Trier, réalisé 4 ans auparavant, mais la comparaison s’arrête là, l’apocalypse sokourovienne ayant une densité et une profondeur du sens absentes du film danois. On est également surpris, lorsqu’on connaît Sokourov, par la nervosité de la caméra, vive et mobile, qui empêche au film de succomber dans la léthargie contemplative, et maintient une réelle tension dramatique. La richesse du travail sonore, avec une utilisation très pertinente du son et des voix hors champ, laisse pantois… Vous l’aurez compris, « Journées d’éclipse » est un chef d’œuvre, probablement le plus grand film que le cinéma russe nous ait offert depuis la disparition de Tarkovski.
[4/4]
« Syndromes and a century » de Apichatpong Weerasethakul (2007)

A mon sens, « Syndromes and a century » reste à ce jour ce que Weerasethakul a fait de plus convaincant, et c’est peu de le dire. Cela me conduit même à réévaluer sérieusement à la hausse le talent du jeune cinéaste thaïlandais, tant le film peut légitimement trouver sa place parmi les œuvres cinématographiques les plus passionnantes de ces 10 dernières années. Malgré les directions toujours inattendues que suit le récit (on a beaucoup commenté la césure centrale du film), « Syndromes and a century » est un film qui dégage une impression de grande limpidité, on pourrait dire de pureté, dans son déroulement dramatique. Certains diront à juste titre qu’il s’agit du film de la maturité pour Weerasethakul. Je préfère le terme de sérénité. « Syndromes and a century » est un film sage, à entendre au sens de la sagesse des philosophies orientales, et non pas comme un film ne prenant aucun risque. C’est même tout l’inverse, rares sont les films aussi surprenants, pouvant ainsi bifurquer à n’importe quel moment en fonction de ce qui intéresse, sur le moment précis, la caméra. On peut alors aussi dire que « Syndromes and a century » est un film libre, tant on a l’impression d’une autonomie de la caméra et du récit. Les conventions ordinaires n’ont pas cours ici : l’idée de personnages principaux ou secondaires n’a pas lieu d’être, nulle chronologie narrative, Weerasethakul concevant le temps n’ont pas comme linéaire, mais circulaire. Rien ne sert également de maintenir l’illusion d’une quelconque réalité cinématographique : dès la première séquence, alors que la caméra s’aventure lentement vers un espace naturel verdoyant, laissant hors champ les personnages discuter (on retrouve là cette impression d’autonomie), Weerasethakul juge inutile de couper les micros des comédiens qui commentent alors la scène qu’ils viennent de tourner… Puis en plein milieu, le récit repart du début, mais en inversé, comme si le film se regardait dans un miroir : le champ devient contre-champ et vice-versa. Seuls les décors ont changé, nous sommes passé d’un petit hôpital de campagne, en pleine nature, à un grand centre hospitalier moderne. On craint alors le piège du simple jeu formel (remontrer les choses sous un autre angle), ou du puzzle lynchien, mais très vite le récit repart sur des bases différentes, s’intéressant à des personnages délaissés dans la première partie (les comparaisons avec Lynch me semblent très abusives sur ce point, la poésie de Weerasethakul survole largement les petits jeux de déconstruction du cinéaste américain). La fin du film part dans la plus complète abstraction, Weerasethakul laissant déambuler la caméra dans les sous-sols de l’hôpital (un long plan sur une bouche d’aération se charge d’une densité poétique inattendue). Une référence beaucoup plus juste serait l’ultime séquence de « L’éclipse » d’Antonioni. Evidemment, après une pareille comparaison, la critique peut se dispenser de conclusions…
[4/4]
vendredi 11 février 2011
« Koyaanisqatsi » de Godfrey Reggio (1983)

« L’incompris » (Incompreso) de Luigi Comencini (1967)
