« ABC Africa » a ceci de particulier qu'il ne prétend pas à une vérité objective, contrairement à nombre de documentaire soigneusement commentés par une voix-off lénifiante. Comme bien souvent chez Abbas Kiarostami le geste, l'éthique de celui qui est amené à filmer est remis en question, soupesé, ostentiblement mis en avant pour éviter tout malentendu et pour proposer matière à réflexion. Il s'agit donc d'un documentaire certes, mais du point de vue d'un étranger se rendant pour un temps limité en terre africaine, découvrant avec nous un pays, un peuple, des femmes et des enfants rescapés des guerres civiles et de l'épidémie de SIDA en Ouganda, ainsi que les gens qui les aident. La gêne que l'on peut ressentir à certains moments lorsque sont filmés des moments intimes, banals ou difficiles, c'est celle de Kiarostami et de son équipe, c'est celle que rencontre tout documentariste qui ne peut qu'espérer dépasser son statut de « voyeur » en gagnant la confiance de ceux qu'il enregistre sur pellicule. Car inutile de le nier, et c'est d'ailleurs ce que Kiarostami a le courage de montrer, on s'immisce véritablement chez des personnes qui sont contraintes d'accepter, souvent sous l'effet de la surprise, la présence envahissante d'une caméra. Une fois de plus Kiarostami n'hésite pas à déjouer le processus filmique, à dévoiler les ressorts d'une telle entreprise et à littéralement afficher l'effet de la caméra sur le sujet filmé, son interaction avec lui. Le plus bel exemple en sont ces séquences dans la rue où les enfants, intrigués, viennent s'agglutiner face à la caméra de nos reporters, sautillant, grimaçant, riant devant cet objet qui les regarde. C'est d'ailleurs amusant car on a l'impression que c'est notre propre présence qui fait cet effet, on se sent véritablement à la place des caméramans et Kiarostami nous implique ainsi complètement dans son projet : s'il questionne son regard, il interroge tout autant le nôtre! Les films de Kiarostami nous incitent à méditer sur le cinéma, ses documentaires font donc de même quant au « genre » auxquels on les rattache (sans compter qu'avec le cinéaste iranien la frontière documentaire/fiction est de toute façon plus que poreuse). Une fois encore je ne peux que saluer l'intelligence et l'honnêteté de la démarche, d'autant qu'« ABC Africa » est un documentaire d'une beauté et d'une force remarquables.
[2/4]
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