A l’origine, Ettore Scola voulait tourner un documentaire sur les borgate, ces baraquements de fortune qui ont pullulé dans l’Italie d’après-guerre, peuplés de chômeurs et d’ouvriers pauvres. Il a finalement abandonné cette idée pour tourner une fiction, mais le film garde les traces de cette première aspiration, comme par exemple la significative minceur du scénario. La fiction n’apparaît finalement que comme un prétexte sur lequel le cinéaste s’appuie pour nous montrer de l’intérieur le monde des bidonvilles. Le film est ainsi construit comme une succession de saynètes qui présentent la vie quotidienne dans ces taudis, et il faut attendre une heure de film pour qu’une véritable intrigue se mette en place. Tout en évitant le militantisme et le propos idéologique, Scola cherche bien ici à dénoncer la pauvreté matérielle ainsi que la misère intellectuelle et culturelle de ces bidonvilles, condamnant la bourgeoisie en la mettant face à ses responsabilités, comme pour dire : «Voici ce que vous avez créé». Car le cinéaste ne fait ici aucune idéalisation du pauvre, qui est présenté comme n’ayant plus aucune valeur morale. Dans une société de consommation, qui a diffusé sa propagande consumériste et qui a imprégné les imaginaires collectifs, il ne fait pas bon être miséreux : les rêves de consommation sont quand même là, mais inaccessibles, ce qui conduit au plus grand désœuvrement et anesthésie toute velléité révolutionnaire, toute conscience politique. «Affreux, sales et méchants» se place ici en butte contre l’idéal chrétien du pauvre ainsi que contre la vision marxiste politisée du prolétariat. Le titre du film ne ment pas et illustre parfaitement son contenu : le quotidien d’une famille de pauvres, moches, agressifs, réduits aux plus bas instincts animaux. Mais Scola parvient à éviter, malgré la rudesse du propos, tout misérabilisme et tout pathos, notamment grâce au caractère burlesque du film, qui permet une certaine distanciation. Car il arrivera au spectateur de rire devant le pourtant triste spectacle proposé par ces misérables... Il faut également signaler le travail de mise en scène intéressant réalisé par le cinéaste, avec notamment deux plans séquences virtuoses qui ouvrent et clôturent le film, deux panoramiques à 360° à l’intérieur de la baraque. Le premier plan peut d’ailleurs constituer un excellent aperçu du film, plantant admirablement le décor, et fait un peu d’ombre au reste du film qui ne parvient que rarement à retrouver cette force initiale. Car «Affreux, sales et méchants» peut pêcher par répétition, semble parfois tourner en rond et manque cruellement de poésie. Il n’y a qu'à comparer avec le «Dodes’kaden» de Kurosawa, film très proche thématiquement mais porté par un souffle poétique qui en fait une œuvre d’une toute autre dimension, pour percevoir les faiblesses du film de Scola. Ou encore comparer la scène onirique du film à celle de «Accattone» de Pasolini, auquel le film de Scola fait référence, qui apparaît beaucoup plus triviale et fait preuve de bien moins de finesse. C’est que Scola a voulu réaliser ici un brûlot, là où les deux cinéastes précités cherchaient à tourner une œuvre d’art…
[2/4]
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