dimanche 7 août 2011

« Blow-up » de Michelangelo Antonioni (1966)

Dans «Blow-up», Thomas, le protagoniste, vit avec un ami peintre qui est un peu son modèle artistique, lui qui vit avec répugnance de la photographie de mode alors qu’il aspire à la photographie d’art. Cet ami peint des œuvres abstraites, que l’on devine quelque part entre le cubisme et le pointillisme. Lorsqu’il les peint, il affirme ne rien y voir, ne pas savoir ce qu’elles signifient. Ce n’est que bien plus tard qu’il y découvre des choses et que ses toiles se révèlent à ses yeux. Pour l’une d’elles, il explique qu’elle est trop récente, qu’il est encore trop tôt pour qu’il la déchiffre. Cette anecdote au cœur du film est un avertissement d’Antonioni au spectateur, ou en tout cas c’est ainsi que je l’interprète désormais, car après avoir revu une troisième fois «Blow-up», je me rends compte que mes précédents visionnages, s’ils étaient nécessaires, étaient trop précoces. Ce n’est que maintenant que le film s’est révélé à mes yeux… Certes, dès le premier visionnage, j’avais été subjugué par les qualités esthétiques du film, avec une utilisation tout simplement prodigieuse de la couleur, et l’impressionnante maîtrise du cadre, de l’espace et des mouvements de caméra dont fait ici preuve Antonioni. Si le film, dès le départ, avait su toucher et éveiller comme rarement mes sens (il faut aussi noter ici le travail remarquable du son), l’ensemble paraissait à mes yeux trop théorique, un bloc de sens réalisé avec perfection certes, mais trop peu ouvert. En réalité, c’est totalement l’inverse. «Blow-up» est bien au contraire un film complètement ouvert à l’interprétation et aux différentes subjectivités de ceux qui le regarde. A chaque vision, le film réussit à prendre un sens différent et pousse le spectateur à regarder plus loin: si l’intrigue au cœur du film se fait de plus en plus limpide à chaque fois, les interrogations soulevées par le cinéaste sur les rapports entre la réalité et ce que l’on en perçoit se font plus profondes. Sous l’apparence de la simplicité (certains ont qualifié le film de «minimaliste»), avec une intrigue réduite et des séquences qui semblent au premier abord superflues, se cache un film où rien n’est laissé au hasard, où chaque élément est là pour pousser le spectateur à questionner son regard. A l’instar de l’expérience vécue par Thomas dans le film, «Blow-up» est un parcours initiatique pour le spectateur qui apprend ici à interroger toujours davantage le réel. Cette épreuve conduit et le protagoniste du film, et le spectateur, à se rapprocher un peu plus du regard de l’artiste, celui qui a parfaitement intégré le caractère illusoire de la réalité, dont la reconstitution ne peut être qu’une question de point de vue. Le film cherche ainsi à nous apprendre à adopter le regard de l’artiste. Les apparences sont trompeuses, nous dit Antonioni, et pour poser un regard juste sur le monde, il faut trouver la bonne distance. On en a ici la superbe illustration lors de la séquence centrale de l’agrandissement qui donne son titre au film: trop loin, Thomas ne voit pas ce que cache la photo, il en a une vision d’ensemble trop sommaire. Trop près, le grain de l’image est trop gros, on ne voit plus rien que des tâches qui rappellent les peintures abstraites de son ami… Je ne reviendrai pas sur le milieu dans lequel se déroule le film, le Londres psychédélique de la fin des années 60, même si le cinéaste ne se contente pas de retranscrire l’ambiance de l’époque mais pose un regard tout personnel (et assez cynique) sur cet univers, regard du cinéaste qui pourrait faire l’objet d’une analyse intéressante. La puissance de ce chef d’œuvre réside bien plus dans le travail de «révélation» de l’image que propose le cinéaste via la multiplicité des regards qu’il convoque. La séquence finale, qui correspond à la prise de conscience de Thomas sur le monde qui l’entoure, reste à ce titre un pur morceau d’anthologie. Indispensable.

[4/4]

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